Le Préfet de police a «transformé par un tour de passe-passe bureaucratique des manifestants en délinquants»
Les Gilets jaunes célébraient le week-end du 16 novembre la première année d’existence de leur mouvement. Un anniversaire émaillé à Paris par de nombreuses violences. Alexandre Langlois, secrétaire général du syndicat policier VIGI, les déplore et dénonce au micro de Sputnik les responsabilités de part et d’autre.
Le 16 novembre, les autorités ont recensé sur tout le territoire français 28.000 Gilets jaunes, dont 4.700 à Paris pour le premier anniversaire de la mobilisation, l’Acte 53. «Le nombre jaune», organisme de comptage lié au mouvement de contestation a estimé de son côté la participation à 39.000 personnes, c’est-à-dire bien moins que l’an dernier pour la première manifestation, qui avait réuni près de 300.000 personnes dans toute la France.
Au-delà de l’habituelle guerre des chiffres, les rassemblements prévus dans la capitale ont tourné au chaos, notamment Place d’Italie, point de départ initialement prévu en accord avec les autorités. Sputnik était sur place et a assisté à ces violences, dont des voitures renversées ou incendiées, des engins de chantier et poubelles brûlés, des abribus saccagés, la destruction d’une stèle en hommage au maréchal Juin et de nombreux blessés, dont un journaliste et une personne blessée à l’oeil, deux selon certaines sources. Bilan de la journée, 173 gardes à vue. «Au vu des violences et des exactions», la Préfecture de police avait demandé l’annulation de la mobilisation à 14 heures, au moment même ou devait débuter la manifestation.
Si l’on peut difficilement occulter la présence de Black blocs, les forces de l’ordre et leur hiérarchie ont-elles manqué à la déontologie? Le secrétaire général du syndicat policier VIGI, Alexandre Langlois, a répondu à nos questions. Celui qui a été suspendu un an pour ses «critiques outrancières» pointe ainsi les erreurs, voire la politique délibérée du Préfet de police Didier Lallement.
Sputnik France: Face aux violences qui ont eu lieu durant les manifestations à Paris, quelle est votre première réaction?
Alexandre Langlois: «C’est toujours pareil. Il y a des groupuscules qui viennent s’infiltrer dans les cortèges de manifestations, dont certaines qui sont déclarées. Malheureusement, les policiers n’ont pas les moyens et les ordres pour faire le nécessaire pour interpeller ces criminels et ces délinquants, empêchant de fait la liberté de manifester en sécurité.»
Sputnik France: Un journaliste indépendant a eu le nez fracturé, vraisemblablement par un tir de grenade lacrymogène. Y a-t-il une faute de la part d’un fonctionnaire?
Alexandre Langlois: «C’est parfaitement illégal, c’est dans nos doctrines d’emploi, ils n’ont pas le droit. On peut utiliser également ces armes pour disperser un attroupement violent ou quand il y a des risques pour la vie ou des risques de blessures pour des personnes. Donc, le groupe qui a pris le tir, si on parle bien de la même vidéo, était au calme. Il n’avait aucune raison de se prendre un tir à ce moment-là. Je n’ai pas le retour pour le moment, si c’est un éclat de grenade ou si c’est un tir de LBD. Ça ressemblerait plus à un tir de LBD, vu l’impact, mais il faudra attendre confirmation du ministère.»
Alexandre Langlois: «Il y a des gens de la BAC qui sont infiltrés dans la manifestation qui peuvent être déguisés en casseurs, effectivement déguisés, mais qui n’interviennent pas. Parce que le but des BAC, c’est de faire du flagrant délit, c’est-à-dire d’interpeller les gens qui commettent une infraction. Donc s’ils arrivent en uniforme, il n’y aurait pas d’interpellation possible. Le but du jeu, c’est d’interpeller les auteurs d’infractions criminelles ou délictuelles.
C’est normal jusqu’à ce qu’ils interviennent et à ce moment-là, ils doivent sortir les brassards de police pour que leur qualité soit bien connue. Bien évidemment, ils n’ont pas le droit de participer à des actions délictuelles ou criminelles eux-mêmes, parce que c’est interdit en France. Mais je n’ai pas eu d’écho de collègues qui ont été pris à commettre ces infractions. Si c’était le cas, ça serait condamnable et délictuel. Donc pas de provocations. Il est interdit de provoquer des délits et crimes.»
Alexandre Langlois: «C’est surtout un manquement à la déontologie policière, pour commencer. Nous avons une neutralité du service public qu’il a complètement oubliée, c’est-à-dire que des fonctionnaires peuvent être sanctionnés pour ça. Lui se permet de choisir un point de vue politique, alors que la police n’a justement pas de point de vue politique et doit se permettre et d’accorder et de laisser les gens s’exprimer librement. Donc c’est une faute déontologique. Ensuite, cette faute rejaillit sur la Police nationale, donc il y a aussi une deuxième faute qui est une atteinte au crédit et au nom de la Police nationale. Et d’un point de vue pratique, c’est complètement idiot, ça ne fait qu’attiser de plus en plus les haines et les clivages entre chaque camp. Donc non, M. le Préfet de police n’est pas là pour lutter contre des délits d’opinion, mais contre des délits et des crimes définis par le Code pénal.»
Sputnik France: Selon vous, le choix de la Place d’Italie en travaux était-il judicieux pour le départ de la manifestation?
Alexandre Langlois: «Qu’elle soit en travaux ou pas, ce n’est pas la question. Si jamais elle est en travaux, il faut nettoyer tout ce qui est matériel urbain qui est mobile et tout ce qui est des travaux doit être déménagé, pavés, barrières, etc. Sinon, c’est une faute professionnelle et d’organisation. Cela n’a pas été fait. Donc c’est complètement contre-productif. C’est ce qui s’était passé aussi début décembre l’année dernière, donc en fait, on recommence les mêmes schémas sciemment. C’est vraiment une faute qui met en danger à la fois les policiers, les riverains et les manifestants. Donc c’est une honte que d’avoir fait le choix de ne pas nettoyer tous les engins de chantier.»
Sputnik France: Que penser de l’interdiction de la manifestation alors que celle-ci avait déjà débuté?
Alexandre Langlois: «Elle a été interdite une fois la manifestation commencée. C’est pareil, c’est la même chose. C’est quelqu’un qui est soit incompétent, soit par facilité, a fait ce choix, soit par une volonté de répression. Parce que ce n’est pas dans la manifestation qu’on va se renseigner si elle est interdite ou pas. Elle a été déclarée, c’est autorisé, on est présents. Donc maintenant il faut assumer l’encadrement. Le Préfet de police s’est justifié en disant que c’est parce qu’il y avait plein de casseurs, de délinquants et de criminels dans la manifestation.
Justement, c’est son travail d’assurer et de donner des ordres cohérents pour que la manifestation se déroule calmement et en sécurité. Il n’a pas voulu faire le choix de défendre les valeurs de la République, c’est-à-dire d’assurer la sécurité de la manifestation et des riverains. Il a fait le choix de mettre tout le monde dans le même panier, c’est-à-dire punition collective et de transformer par un tour de passe-passe bureaucratique des manifestants en délinquants. C’est une honte dans une République comme la France.»
Alexandre Langlois: «Nous avons toujours beaucoup de week-ends qui sont pris pour la sécurité du mouvement des Gilets jaunes. Nous avons toujours l’antiterrorisme qui est au plus haut niveau, donc nous sommes toujours pris. Les heures supplémentaires s’accumulent et le signal qui a été envoyé par M. Castaner, c’est que l’année prochaine, ça va empirer, car il a décidé de payer une partie de nos heures supplémentaires, mais moins cher que nos heures normales. Finalement, le gouvernement n’a pas intérêt à embaucher de nouveaux policiers, il a intérêt à nous faire faire des heures supplémentaires à outrance, car il ne nous les paie que 10,50 euros nets de l’heure, alors qu’un policier doit être payé entre 15 et 30 euros. Donc c’est une honte. On va être encore plus épuisé et d’ailleurs la Loi de finances le montre noir sur blanc. Il y a 2.475 emplois de moins pour la police nationale pour 2020, c’est-à-dire que l’épuisement professionnel va continuer pour des raisons d’économie budgétaire, ou d’incompétence, ou alors de volonté de provoquer des bavures. Parce qu’un policier qui est fatigué, comme n’importe quelle personne, est beaucoup plus irritable au bout de plusieurs semaines de travail d’affilée avec des horaires de vacation qui peuvent durer 20 h»
Source : Sputnik
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