Le « pacha » prenait sa frégate pour son yacht

Le 19 novembre 2013 Profession-Gendarme publiait ici deux articles sur le suicide d’un sous-officier de la Marine intitulés :

Un ancien commandant de la frégate La Fayette jugé pour harcèlement moral après le suicide à bord d’un officier marinier

A propos de harcèlement : Victimes et bourreaux (par Roland Pietrini)

Ce jour Profession-Gendarme a tenu à vous donner les suites de cette affaire dramatique.

French Navy Commander of the frigate "La Fayette", Eric Delepoulle, waits for the start of his trial on November 18, 2013 in the criminal court of Marseille, southern France. Delepoulle is accused of psychological harassment after the suicide in 2010 of non-commissioned officer Sebastien Wancke, who was under his command. AFP PHOTO / ANNE-CHRISTINE POUJOULAT

French Navy Commander of the frigate « La Fayette », Eric Delepoulle

Un an de prison et 6 000 € d’amende ont été requis à l’encontre d’Éric Delepoulle qui commandait la frégate « La Fayette » à l’époque du suicide d’un sous-officier de Buxy lui servant de maître d’hôtel.

Louis XIV sur le yacht à Bolloré. Les images ont fleuri hier au procès de l’ancien « commandant suprême » de la frégate légère furtive La Fayette, décrit comme un chef hautain et méprisant qui n’avait pas de respect pour son équipage qu’il appelait ses « petites mains ».

La peine maximale d’un an de prison « éventuellement assorti du sursis » et de 6 000 euros d’amende ont été requis hier en chambre militaire du tribunal correctionnel de Marseille qui jugeait cet ancien « commandant suprême » de la frégate légère furtive La Fayette de décembre 2008 à son débarquement en juillet 2010.

Le capitaine de vaisseau Éric Delepoulle, 45 ans, qui s’est présenté en civil contrairement aux usages, a nié tout « harcèlement moral » sur ses deux marins dont son maître d’hôtel, Sébastien Wanke « poussé au suicide », retient l’ordonnance de renvoi. Épuisé physiquement par la charge de travail au carré des commandants, miné par les brimades et les dénigrements systématiques du « pacha » qui jetait parfois à la poubelle sous ses yeux, les mets qui lui déplaisaient, ce second maître de 32 ans, originaire de Buxy et diplômé d’une école hôtelière prestigieuse, s’était donné la mort le 15 juin 2010 à bord du navire alors en mission de lutte contre la piraterie dans l’Océan indien. Il n’avait pas supporté la note et les commentaires du pacha le qualifiant de « maître d’hôtel désabusé », stigmatisant son « absence d’investissement clairement identifiée » ou encore le « manque de propreté des locaux qui lui incombaient ». « On l’a retrouvé pendu comme un misérable dans le local à champagne du pacha », a décrit Me Jean-Jacques Rinck pour la maman, son second fils et les trois oncles de Sébastien, venus en famille réclamer justice. « Je suis là pour son honneur, sa fierté pour qu’aucun commandant ne s’acharne plus sur ses militaires », a dit Martine sa maman. « Il mettait tout son cœur dans son travail mais tout ce qu’il faisait n’était pas bien. Le commandant s’acharnait. Sébastien ne voulait pas repartir en mission. »

« Lui mon fidèle Wanke »

« C’est le procès d’un homme qui a trahi. Son comportement a été d’un bout à l’autre une trahison de la Marine nationale », l’a rejoint le vice-procureur Emmanuel Merlin. « 73 marins depuis le matelot de base jusqu’à l’officier supérieur ont témoigné à charge. On n’a jamais vu une telle unanimité. L’état de délabrement moral de ce navire est un exemple unique. Il était enfermé dans sa bulle, c’était un Roi Soleil, un Dieu totalement déconnecté de son navire et de son équipage. Ce navire qu’il considère comme sa résidence secondaire, son équipage comme son petit personnel. On vient presque au secours de la Marine en requérant ! », a lancé le représentant du ministère public sidéré devant pareil tableau. « C’est la faillite de la culture d’un commandement archaïque, rétrograde contraire aux valeurs républicaines », analysait Me Jean-Jacques Rinck, avocat de la famille. « Les témoignages contre ce pacha qui abusait de son pouvoir absolu pour harceler ses hommes par des actes humiliants et dégradants, d’une bassesse et d’une hypocrisie ignoble, sont un véritable testament laissé par Sébastien qui n’était pas un héros mais un super-technicien, quelqu’un au-dessus du panier. » « Les pouvoirs de ce commandant ont été dévoyés » : 78 punitions entre juillet et décembre 2009 sur un effectif de 150 hommes. Du jamais vu qui a alerté l’état-major. « Son bateau, c’était son yacht, sa propriété privée comme Bolloré. » En deux ans de commandement, il a reçu 185 personnes à bord, « son beau-frère, son plombier, son banquier, des magistrats de la cour d’appel, les 80 camarades d’école de ses 6 filles, etc., tout cela au frais de la princesse et de Sébastien ! », s’est indigné Me Rinck.

« J’étais très content du service. J’ai lu qu’il me détestait. Je n’ai pas eu cette perception pendant l’ensemble de mon commandement. Des points m’ont entretenu l’idée du contraire », a nié Éric Delepoulle débarqué avant d’être promu capitaine de vaisseau. « Je suis véritablement très affecté par ce qui s’est passé et pas une seule journée où je ne pense pas en particulier à Sébastien Wanke. C’est pas évident », a-t-il ajouté. La présidente Chapus-Bérard s’étonne : « Il avait perdu 12 kilos en quelques mois, ça ne doit pas passer inaperçu quand même ? Il y a un vrai problème de gestion d’hommes. Vous n’échangiez jamais une parole avec ceux qui vous servez… Le lieu choisi pour se donner la mort avec une bouteille de champagne à ses pieds, c’était un message particulier qui vous était destiné. » « Il semble que vous étiez dans votre tour d’ivoire sans pouvoir prendre conscience de la rupture de confiance avec votre équipage. Vous n’étiez plus reconnu », ajoute un des juges assesseurs. « La politique de punitions a été discutée en équipe », soutient le pacha déchu. Son avocat , Me Pierre-André Watchi-Fournier, dénonçait une « œuvre de sape menée par vengeance » et accusait : « Comment voulez-vous que ça aille dans un bateau quand le second sape l’autorité du commandant ? » avant de surprendre de maladresse : « Comment peut-on dire que je suis à l’origine de son trépas, lui mon fidèle Wanke, qui a organisé mon anniversaire surprise ? » Délibéré le 20 janvier 2014.

La famille s’est refusée à tout commentaire à la sortie de l’audience.

Source :  Le Journal de Saone et Loire

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