Le médecin de la police, ses déboires judiciaires… et son lâchage
Poursuivi pour agression sexuelle, le docteur qui délivrait les habilitations de service aux policiers ne sera pas défendu aux frais du ministère de l’Intérieur.
Médecin de la police nationale, le Dr Christian F., 63 ans, comparaîtra la 14 mai devant le tribunal correctionnel de Reims (Marne) où il sera jugé pour « agressions sexuelles par personne ayant autorité ». Inspecteur régional du service de santé de la police nationale, il exerçait son autorité sur les dix départements de la zone de défense et de sécurité Est. Placé sous contrôle judiciaire avec interdiction d’exercer la médecine, il a été suspendu par son administration avec maintien de son traitement ; il encourt sept ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende. Lancées par le parquet de Reims, ces poursuites font suite à une enquête de l’IGPN, la « police des polices ». Dix plaignants – huit femmes et deux hommes – avaient témoigné contre lui et se sont constitués partie civile.
Élèves gardiens de la paix de l’École nationale de police de Reims ou adjoint de sécurité (ADS), tous racontent la même histoire : durant la visite médicale d’aptitude préalable à leur admission, le Dr F. se livrait à des gestes déplacés qui, selon les témoignages recueillis dans la procédure, dépassaient les strictes nécessités de l’examen médical : palpations insistantes et attouchements au niveau de la poitrine et des parties génitales, déshabillage prolongé, remarques blessantes… Les faits visés se seraient produits entre le 12 et le 14 juin, selon le quotidien L’Union de Reims et France Bleu Champagne-Ardenne, qui avaient révélé l’affaire. Neuf jeunes recrues de la police ont dénoncé les faits, une dixième plainte, enregistrée antérieurement à Mulhouse, a été jointe à la procédure.
« Droit de vie ou de mort » sur la carrière des fonctionnaires
« Il m’a demandé d’enlever mon soutien-gorge puis il a pris un appel téléphonique » ; « Je suis restée debout, en petite culotte, pendant une quinzaine de minutes, c’était très humiliant », ont témoigné deux jeunes femmes. « Il m’a dit : Je suis médecin de la police, si vous ne retirez pas vos dessous, il n’y aura pas validation », accuse une autre élève, citée par Le Parisien.
Plusieurs syndicats (Alternative police, Vigi) avaient signalé à leur administration les agissements du Dr F., lequel exerçait aussi, selon leurs termes, un « droit de vie ou de mort » sur la carrière des fonctionnaires en activité.
Quelques mois avant le déclenchement de la poursuite pénale, Vigi avait posté sur son site et sur les réseaux sociaux un pastiche de la série Game of Thrones dans lequel le Dr F. apparaissait sous les traits de l’irascible Seigneur du Pont, accusé de tous les maux et de toutes les turpitudes. Le médecin a fait citer en diffamation Alexandre Langlois, le secrétaire général de ce jeune syndicat contestataire – et souvent très irrévérencieux ; celui-ci a fait, par ailleurs, l’objet de poursuites disciplinaires pour « manquement au devoir de réserve ». Comme souvent en matière de diffamation, le tribunal correctionnel de Metz (Moselle), où l’affaire sera plaidée le 6 juin, a exigé que le Dr F. consigne la somme de 2 000 euros pour enregistrer sa citation contre le représentant de Vigi.
La consignation payée par l’État
La déclaration de consignation, que Le Point a pu consulter, porte la signature du chef du bureau du contentieux statutaire et de la protection juridique des fonctionnaires. En clair, c’est l’administration, donc le contribuable, qui a pris en charge les frais de justice du médecin dans cette procédure qu’il a lui-même intentée. « C’est parfaitement légal », estime un avocat spécialisé en droit public. « Quand il est poursuivi en justice par un tiers ou s’il est victime d’une infraction à l’occasion ou en raison de ses fonctions, l’agent public bénéficie de la protection fonctionnelle. L’administration se doit de le protéger en lui apportant une assistance juridique ».
Reste que les policiers ne bénéficient pas toujours de la même mansuétude, de la part de leur administration. « Les victimes auraient aimé avoir la même protection quand elles ont commencé à témoigner. Moi-même, j’en aurais eu bien besoin durant les longs mois où j’ai tenté de ferrailler contre la hiérarchie et cet individu, qui a ruiné les cinq dernières années de ma carrière », fulmine une policière de la région Grand Est, qui a engagé une procédure pour « harcèlement moral » à l’encontre du médecin-chef. Deux jours après le début de notre enquête, la jeune femme recevait le formulaire de demande de protection fonctionnelle qu’elle réclamait depuis des mois.
Hésitations
Le Dr F. bénéficie-t-il, comme pour son action en diffamation, d’une prise en charge de ses frais de justice pour préparer sa défense pénale en vue de sa comparution en correctionnelle ? Les faits de nature sexuelle qui lui sont reprochés sont-ils juridiquement rattachés à son service médical ou doivent-ils, au contraire, être considérés comme « détachables », vu la gravité des fautes commises ? Contacté, le préfet délégué de la zone de défense Est – dont il dépend – n’a pas souhaité nous répondre. Son avocat non plus, qui n’a pas donné suite à nos sollicitations. En revanche, le cabinet de Christophe Castaner nous a répondu après avoir consulté la direction des libertés publiques et des affaires judiciaires (DLPAJ), décisionnaire en la matière : « La protection fonctionnelle a été refusée [à l’inspecteur régional du service de santé] pour les faits pour lesquels il est poursuivi », a-t-il précisé.
Le début du lâchage ?
Source : Le Point
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