Le général Denis Favier, héros de la gendarmerie, soutenu par ses troupes après Sivens
La voix est monocorde et grave, le propos convenu. Le directeur général de la gendarmerie nationale (DGGN), Denis Favier, aurait pourtant des choses à dire. L’institution qu’il représente s’est retrouvée sur le banc des accusés, suspectée d’avoir voulu cacher les causes de la mort de Rémi Fraisse, ce jeune homme tué par une grenade lancée par un gendarme en marge d’une manifestation contre le barrage de Sivens (Tarn).
Au plus fort de la polémique, il s’invite sur BFM, RTL ou dans les pages du Parisien. « Que l’on dise que les gendarmes peuvent travestir la vérité, ce n’était pas acceptable, revient-il aujourd’hui. Les attaques étaient trop fortes, trop injustes. J’ai pensé qu’il fallait exprimer notre point de vue. Si je ne l’avais pas fait, cela aurait été un manquement à mes obligations de chef. Je ne suis pas fait de ce bois-là. » A-t-il eu peur de perdre son poste ? « Ce sentiment ne m’a jamais habité. »
En creux, on devine la fêlure. Un brin de fébrilité dans l’expression, un rire que l’on jurerait plus nerveux qu’à son habitude laissent deviner un Denis Favier ébranlé. L’homme qui, dans les médias, a pris avec aplomb la défense de ses troupes prévenait sur son blog « De vous à moi » sur l’intranet de la gendarmerie : « Il y aura des polémiques, parfois outrancières, dans lesquelles nous ne devons pas nous laisser entraîner. » Celui qui exhortait « au sang-froid » est mal à l’aise pour parler de lui.
Alors ce sont ses hommes qui, à leur tour, font front pour le protéger. Lorsque Le Monde s’apprêtait à publier, le 13 novembre, l’enregistrement des conversations des gendarmes à Sivens contredisant la version officielle des militaires, le service de communication a supplié de retarder notre appel afin de le faire réagir. « S’il vous plaît, ne le dérangez pas ! Pas ce soir… Appelez-le demain ! » Comme s’il fallait l’épargner, lui laisser le temps d’encaisser la nouvelle.
Dans le cadre de cette enquête, certains interlocuteurs ont été contactés par l’institution pour savoir ce qui s’était dit, quand certains interviewés n’ont pas pris d’eux-mêmes l’initiative de prévenir en amont. Une démarche inutile. On n’a jamais entendu quiconque dire autre chose que le plus grand bien du DGGN. Denis Favier est le héros de la gendarmerie.
« Ascendant naturel »
26 décembre 1994. Aéroport de Marignane. 173 passagers et membres d’équipage sont retenus en otage dans un Airbus d’Air France par un commando islamiste qui a déjà exécuté trois personnes. Le GIGN prend d’assaut l’Airbus, tue les terroristes et libère les otages. En première ligne, au milieu de ses hommes, Denis Favier, alors jeune commandant du « GI », pénètre dans l’avion et essuie le feu de l’ennemi. « Le matin, lors de la dernière répétition, il manquait du monde pour la passerelle. Il a simplement dit “Je viens”, la question ne se posait plus », se souvient Roland Môntins, un chef de groupe blessé lors de l’assaut.
Leur relation n’avait pas démarré sous les meilleurs auspices. Denis Favier a fait l’Ecole spéciale militaire de Saint-Cyr-Coëtquidan et surtout a été directement nommé à la tête du GIGN alors que la tradition veut que le chef passe d’abord par le poste d’adjoint de cette unité d’élite. « Je n’avais pas accepté son arrivée, avoue M. Môntins. Un officier saint-cyrien, ça sait tout, lui a cette intelligence de savoir s’adapter. Aujourd’hui, je le suivrais au bout du monde. »
Dix-huit ans plus tard, Manuel Valls, alors ministre de l’intérieur, fait de l’ancien patron du GIGN son conseiller gendarmerie avant de le nommer DGGN, le 11 avril 2013. Avec en prime le grade de général d’armée – cinq étoiles. « La gendarmerie a déjà eu des héros mais Denis Favier est le seul qui soit à la fois un homme d’action et qui soit capable d’administrer 90 000 personnes », résume le général de gendarmerie Jacques Morel, qui exerce désormais dans le privé.
Un camarade de classe de M. Favier à l’Ecole de guerre à Toulouse complète : « Il y a souvent eu un grand flic à la tête de la police nationale. Là, c’est la première fois que les gendarmes peuvent s’identifier à un chef charismatique. Favier, par le biais de Marignane, exerce un ascendant naturel. Je n’ai jamais ressenti une telle solidarité vis-à-vis d’un chef. »
Aura renforcée
D’autant plus que ce père de quatre enfants, marié à une institutrice, se veut discret – « il fait l’économie des phrases inutiles », résume dans une litote un officier de réserve – et modeste. A un homologue qui, une dizaine d’années plus tôt, avait réalisé une interpellation musclée de voyous de haut vol, il tend la main : « Je suis très flatté de te rencontrer. »« Cela fait drôle quand c’est quelqu’un qui est monté à Marignane qui te dit ça… », se souvient le destinataire de la poignée de main.
Lorsqu’il était au GIGN, M. Favier n’offrait pas le café à ses visiteurs dans son bureau, mais au bar de la caserne. « J’ai été frappé par sa simplicité, son humanisme, résume Richard Cléret, l’un des stewards de l’avion d’Air France qui devait être le prochain otage exécuté par les terroristes à Marignane. Il ne cherche pas à s’imposer, se place au même niveau que tout le monde. » Une proximité appréciée par la base. « On a l’impression qu’il s’occupe de nous, confie un gendarme en province. Il ne nous laisse pas tomber. A nos yeux, c’est important. »
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Paradoxalement, le drame de Sivens a renforcé son aura jusque dans les rangs des frères ennemis. « Quand il a été à la télé avec toutes ses médailles sur sa chemise blanche et qu’il a dit “Je soutiens mes hommes”, il s’est mis en bouclier, s’est comporté en vrai chef », admire un haut gradé de la police en poste à Beauvau. Dans l’hypothèse où il serait sacrifié malgré tout, des gendarmes qu’on ne peut pas suspecter d’avoir été briefés par leur état-major préviennent : ils « ne laisseront pas faire ». Denis Favier était le héros de la gendarmerie, il est devenu son commandeur tout-puissant.
Source : Le Monde
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