« Le droit (devoir) de réserve n’est pas défini législativement »
Dans la quasi-totalité des interviews menées pour ce dossier, une expression est revenue systématiquement : « Nous sommes corvéables à merci. »
Qu’ils soient en activité, sous-officiers, officiers, militaires du rang, ou même retraités, ils partagent ce sentiment. Mais attention, rares sont ceux à pouvoir le dire haut et fort. Les gendarmes, même placés sous l’autorité du ministère de l’Intérieur, restent des militaires. Ils obéissent aux ordres et ne peuvent pas donner leur point de vue à des civils. Cette histoire de déficit financier a permis une nouvelle fois de le vérifier. En région, interdiction formelle d’évoquer l’histoire devant la presse. Tous les gendarmes interrogés ont refusé d’apparaître à visage découvert.
Tous, sauf un. Il s’appelle Ronald Guillaumont. C’est un ancien gendarme, et il en ras le képi qu’on invoque le devoir de réserve pour éviter de répondre. « C’est utilisé à tort et à travers. Heureusement, le général Favier a tapé du poing sur la table. » Le souhait de Ronald Guillaumont : créer une association professionnelle pour les gendarmes. Le but étant de pouvoir porter quelques revendications, comme le ferait un syndicat pour les civils. Mais à chaque fois, la réponse qui lui est apportée reste invariablement : « Incompatible avec le droit de réserve. » Cet argument chauffe les oreilles de l’ancien gendarme. « Il n’est pas défini législativement ! Qu’on ne parle pas des enquêtes, et qu’on respecte le secret professionnel est tout à fait normal. Mais en quoi indiquer qu’il n’y a plus de ramettes de papier porte atteinte au devoir de réserve ? »
Avec internet, la donne a changé. Le 17 avril 2013, Ronald Guillaumont ouvre le site « Profession gendarme ». Cette page permet de relayer l’actualité des gendarmes, mais aussi d’ouvrir une tribune pour la grande muette. « Nous avons eu plus de 168 000 visites en quelques mois », se réjouit-il. Pour lui, cela signifie bien qu’il y a une demande et un besoin. Si les gendarmes respectent le plus scrupuleusement possible ce mutisme médiatique, cela s’explique simplement : « C’est la politique de la carotte et du bâton. Si un officier s’exprime à visage découvert, il aura un coup de bâton. Le militaire qui aura du courage, sera étouffé. »
Pour Ronald Guillaumont, le problème a plus d’incidences qu’une simple privation de liberté d’expression. Les gendarmes ne peuvent pas expliquer à la population leur quotidien et les difficultés qu’ils rencontrent. « On donne l’impression que les gendarmes ne sont que dans la sanction et la répression. Les liens avec la population sont coupés. » Pourtant, sur le problème d’effectifs, les gendarmes auraient pu expliquer que leurs missions ne cessent d’augmenter. « Les brigades sont devenues des zones dortoir où les gendarmes sont de moins en moins présents. » Ils sont sur le terrain pour remédier au manque de personnel. Ronald Guillaumont ne comprend pas pourquoi les policiers ont leur syndicat, et les gendarmes c’est « taisez-vous ». Il n’est pas le seul, loin de là, à vouloir que les militaires puissent expliquer leur quotidien. Ainsi, les retraités de la gendarmerie éditent L’essor. Ce magazine possède un ton très libéré et n’hésite pas à mettre les pieds dans le plat, quand la situation l’impose. Même élan du côté de l’armée où là aussi, internet permet de libérer un peu la parole avec le site armee-media.com.
La technologie aide les militaires à arrêter de se camoufler pour parler librement.
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