Le coronavirus va-t-il nous changer ?
Quand nous serons sortis victorieusement de la lutte contre le fléau, serons-nous les mêmes ?
Je ne voudrais surtout pas que la froideur des statistiques, le nombre de morts qui est égrainé, nous rendent indifférents aux compassions singulières, à ces multiples tragédies qui déjà ont endeuillé tant de familles.
Aussi je prendrai du bout de l’esprit et du coeur les rares propos qui cherchent à nous persuader trop vite que le coronavirus aura des effets positifs sur notre vie économique et sociale, sur notre vision du monde, sur notre perception de la mondialisation et la politique du pouvoir pour laquelle le « quoi qu’il en coûte » pourrait avoir remplacé le « combien cela va coûter ? ».
Je n’irai pas si loin. Mais il me semble pourtant évident que déjà l’important et l’accessoire ne sont plus les mêmes, qu’il y a notamment des mansuétudes par temps calme qui sont chassées, des indignations qui se limitent à des agacements et des absurdités qui auraient honte de venir troubler l’angoisse légitime et solidaire liée à notre futur.
Deux exemples.
Rédoine Faïd, qui a bénéficié tout au long de sa carrière criminelle – cour d’assises, évasion – d’une médiatisation vulgaire et choquante, avec un livre et des invitations médiatiques, avait été condamné par la cour d’assises du Nord à dix-huit années de réclusion criminelle pour une attaque de fourgon blindé. Il vient d’être sanctionné en appel à vingt-huit ans de réclusion, après avoir d’ailleurs refusé d’être extrait pour protester contre ses conditions de détention (Morandini).
Rien ou pratiquement rien dans les médias. La cour d’assises du Pas-de-Calais a, sans frémir, appréhendé les évidences de la gravité et de la dangerosité pour sortir d’un minimalisme pénal qui n’a que trop la cote dans les périodes tranquilles. Quand rien d’essentiel ne nous menace.
Le Syndicat de la magistrature (SM) – celui que dorénavant on ne connaît que par référence au Mur des cons – vient encore de s’illustrer en publiant un petit guide rouge de 72 pages (5 euros !) dont la vocation est « de vous dire vos droits », ceux en gros qu’il s’agit d’invoquer quand on est interpellé, contrôlé et fiché. Quand la police accomplit sa mission.
Il faut lire ! Le SM se veut « fidèle à sa tradition d’accompagnement des luttes et des revendications sociales » et aspire « à combattre le déséquilibre entre les pouvoirs de police et de justice afin de permettre un contrôle réel sur les services de police » (Le Figaro).
Rien de nouveau depuis la création de ce syndicat en 1968, me dira-t-on. Il n’empêche que cette dénaturation de la mission du magistrat est beaucoup plus grave aujourd’hui où sur le plan pénal, délinquance et criminalité ont fortement augmenté et où le problème capital entre justice et police est que cette dernière est incomprise, voire méprisée par la première qui aurait l’esprit propre quand les policiers auraient les mains sales.
On aurait pu rêver.
Que le SM mette en avant « une tradition d’accompagnement » pour les victimes, l’état de droit consacré d’abord à la multitude des honnêtes gens, pour satisfaire et rassurer le citoyen. Mais inconcevable pour ce syndicat en perte de vitesse, qui n’a rien appris de ses scandales, rien oublié de son idéologie.
Patrice Ribeiro, le patron de Synergie-Officiers, est trop aimable quand il déclare que « nous n’avons aucun problème avec ce type de document dès lors qu’il ne verse pas dans l’insulte aux agents et la provocation ». Comme si un magistrat conseillant la transgression plutôt que se battant pour l’innocence était dans son rôle !
Le secrétaire général de l’UNSA-Police, Philippe Capon, est plus pertinent quand il qualifie ce guide de « malheureux et maladroit ».
J’imagine combien cette démarche partisane, si contraire aux devoirs d’un magistrat à l’égard de la société, m’aurait indigné si je n’avais pas considéré qu’il y a, aujourd’hui, des préoccupations, des hostilités à évaluer, à relativiser et à maîtriser.
Comme on aurait encore célébré vulgairement Rédoine Faïd si le coronavirus n’avait pas remis le bon sens et une cohérente hiérarchie des sujets au premier plan !
Le coronavirus va-t-il nous changer ? Ce dont je suis sûr, c’est que la France ne sera plus la même, ni le pouvoir, une fois le fléau éradiqué.
Source : Le blog de Philippe Bilger
Laisser un commentaire