Le bouleversant récit d’un gardien de la paix
Il était au Bataclan
Photo d’illustration.
David gardien de la paix à la Bac de Paris, était l’un des nombreux policiers présents très rapidement sur les lieux des attentats. Il était au Bataclan, il nous raconte cette nuit d’horreur. Un témoignage bouleversant.
«Ce vendredi 13 novembre, il est 22h10, je vais prendre mon service, je roule sur le périphérique parisien. Un collègue m’appelle pour me prévenir des attentats. Il est affolé. Je rejoins ma base avant de repartir dans une voiture banalisée. Notre radio, sur la fréquence de la police, diffuse des messages très inquiétants, on annonce des tirs dans le centre de Paris… Pour être franc, nous sommes à ce moment-là déjà terrifiés par ce que nous entendons.
Nous arrivons sur le boulevard Richard Lenoir, à l’angle du boulevard Voltaire. Le secteur est déjà quadrillé par des policiers en tenue. Je suis positionné à l’angle de la rue Saint-Sébastien, nous avons très peu d’informations sur les événements. On nous dit » Attaque au Bataclan. Peut-être terroristes en fuite ». C’est confus, flou, imprécis. Je suis en civil, j’ai seulement mon gilet pare-balle et mon arme. Un jeune homme court vers moi en hurlant : « Aidez-nous ! Au secours ! Il y a des blessés ! » Je crois qu’à ce moment là, je ne réalise pas encore la gravité des faits. Ni vraiment la situation, mais il faut y aller.
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« Je les rassure, leur dit que des pompiers arrivent. Je leur mens »
On longe les murs. On entend les tirs, on ne sait pas vraiment d’où ça vient. J’aperçois deux victimes au sol, blessées mais conscientes. Aidés par des habitants, on les met à l’abri dans un hall immeuble. Puis je continue à avancer. Rue Saint Sébastian encore, puis rue Amelot. Nous sommes quatre policiers. On passe devant plusieurs bars, on demande aux passants de se réfugier à l’intérieur et aux patrons de protéger leur clientèle. On se positionne à l’angle de la rue Amelot et du passage Saint-Pierre Amelot. La sortie de secours du Bataclan donne sur cette rue… Au loin, j’aperçois des corps au sol, étalés, immobiles. C’est à ce moment précisément que je comprends. Quelle sensation terrifiante ! J’entends toujours des déflagrations. Je suis à 20 mètres de la sortie de la salle de spectacle, caché dans un recoin de hall. Derrière moi, une dizaine de personnes dont plusieurs blessés. Ils sont sortis de la salle grâce à un personnel du Bataclan qui a ouvert la porte de secours. Un homme, calme, me montre sa blessure, il a le mollet arraché. J’aide au mieux. Je les rassure, leur dit que des pompiers arrivent. Je leur mens. Je suis obligé de leur mentir, il faut qu’ils tiennent le coup. Mais tant que la zone n’est pas sécurisée, aucun secours ne peut intervenir.
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D’un coup, de l’autre côté de la rue, à la fenêtre de l’étage du Bataclan, j’aperçois le visage d’un individu, je croise son regard. Il a entre 20 et 30 ans, il sort la tête et nous hurle « Barrez-vous ! Dégagez ! », avant de repartir. C’est un des terroristes…
Dix minutes plus tard, des explosions, des coups de rafales. Autour du bâtiment, c’est la panique générale. Je croise des habitants qui me disent qu’ils ont des blessés chez eux, une femme au rez-de-chaussée a une balle dans une fesse. « J’ai cru que les tirs faisaient parti du spectacle », me dit-elle. A mes pieds, quatre morts, dont un jeune homme d’une trentaine d’années, une balle en plein front. Il a été exécuté.
« A l’intérieur du Bataclan, il y a une forte odeur de sang, de poudre, de mort »
Après avoir escorté jusqu’aux blessés les premiers pompiers, je me dirige vers l’entrée du Bataclan. Le portier est décédé, il git sur le trottoir. Les forces de la BRI et du Raid sont encore à l’intérieur, elles sécurisent la salle.
Je pénètre à l’intérieur. Au niveau du bar, une vingtaine de morts. Dans la fosse, sur le sol rougi, des dizaines de corps, les uns sur les autres, désarticulés comme des poupées en chiffon. Quand les visages des victimes ne sont pas arrachés par les balles, ils sont déformés par la peur, crispés par la terreur. Je ne m’attarde pas à les regarder. C’est trop dur. Je ne savais à quel point ces armes de guerre pouvaient déchiqueter les corps… Le silence est entrecoupé par les dizaines de sonneries de téléphone, les appels de proches des victimes. Il y a une forte odeur de sang, de poudre, de mort.
Enfin, nous avons l’autorisation d’évacuer les otages vivants. Un par un. Tous pleurent, ou crient. Je les prends par l’épaule, leur demande de fermer les yeux pour les protéger de ces terribles scènes. On zigzague entre les victimes, je les effleure à chaque passage. J’essaye de les éviter, mais je n’y arrive pas, ils sont trop nombreux. Je croise une femme vivante, son visage presque arraché. J’apprendrai plus tard qu’elle est décédée. Je n’ai pas encore réussi à pleurer. Je pense que ça va venir.»
Source : Paris Match
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