L’armée française n’échappera pas à la présence syndicale

Dans deux arrêts historiques rendus le 2 octobre, la Cour européenne des droits de l’homme impose à la France d’admettre les syndicats dans les armées. Le gouvernement va jouer la montre.

Le ministre de la Défense passant les troupes en revue.

Le ministre de la Défense passant les troupes en revue. © François Destoc / Maxppp
En matière militaire, les spécificités françaises sont nombreuses. Mais il en est une qui devra disparaître à moyenne échéance : l’interdiction du syndicalisme dans les armées. Le 2 octobre, la Cour européenne des droits de l’homme a rendu deux arrêts décisifs en ce sens. Dans la première affaire, un officier de gendarmerie, Jean-Hugues Matelly, avait subi de fortes pressions de sa hiérarchie pour qu’il quitte l’association Forum gendarmes et citoyens, qu’il avait mise sur pied en 2008 afin que les gendarmes en activité ou en retraite y trouvent un lieu d’expression.

Le Conseil d’État avait par la suite rejeté un recours exercé par l’officier contre cette décision. Il avait alors poursuivi la France à la CEDH. Celle-ci a estimé : « Si la Cour note que l’État français a mis en place des instances et des procédures spéciales pour prendre en compte les préoccupations du personnel militaire, elle estime toutefois que ces institutions ne remplacent pas la reconnaissance au profit des militaires d’une liberté d’association, laquelle comprend le droit de fonder des syndicats et de s’y affilier. » (Lire ici l’arrêt Matelly.)

Atteinte à la liberté d’association

Dans la seconde affaire, l’Adefdromil (Association de défense des droits des militaires) avait saisi la CEDH afin qu’elle statue sur son droit à représenter des militaires adhérents que lui avait dénié le Conseil d’État au motif qu’elle agissait à ses yeux comme un syndicat. La Cour – qui cite dans son arrêt un article du Point du 22 novembre 2002 (NDLR : attention, la date indiquée sur le site est erronée) – a donné raison à l’association en jugeant qu' »en lui interdisant par principe d’agir en justice en raison de la nature syndicale de son objet social, sans déterminer concrètement les seules restrictions qu’imposaient les missions spécifiques de l’institution militaire, les autorités internes ont porté atteinte à l’essence même de la liberté d’association ».

En se réjouissant de cette décision qui couronne une quinzaine d’années d’efforts, l’Adefdromil note : « Ces arrêts ouvrent enfin la porte à la création d’associations professionnelles dans les armées et la gendarmerie. »

Interdit d’interdire

Ces deux cas sont hautement symboliques, et la CEDH conteste donc à la France le droit de s’en tenir, concernant les militaires, à une interdiction « pure et simple de constituer un syndicat ou d’y adhérer ». Cette prohibition figure néanmoins noir sur blanc dans la loi française, et précisément dans l’article L 4121-4 du Code de la défense. Depuis plusieurs années, sous la pression notamment de l’Adefdromil, organisation honnie par la hiérarchie militaire, de nombreuses innovations ont été introduites par les autorités politiques pour améliorer les structures de représentation du personnel militaire.

Mais elles demeurent très imparfaites en se trouvant peu ou prou soumises à la double hiérarchie militaire et politique. Du coup, lorsque les revendications collectives ne sont pas satisfaites, la cocotte explose. On en a connu des exemples flagrants avec la révolte des gendarmes en 2000, avec les restrictions indignes apportées à l’indemnisation de militaires blessés en service, ou plus récemment avec les délires du logiciel de paye Louvois ou le nombre d’affaires de harcèlement sexuel. Entre autres.

Engagements

Les revendications des partisans d’une présence syndicale dans les forces sont relativement modérées. Contrairement à ce que laissent entendre les opposants – clairement majoritaires – à cette introduction dans les armées d’une structure basique de la vie politique et sociale française, les grandes centrales syndicales qui avaient élaboré une charte commune en ce sens en 2001 n’ont jamais réclamé le droit de grève des hommes et des femmes en uniforme. Elles admettent aussi que des restrictions au droit d’expression – droit de manifester, par exemple – seraient parfaitement acceptables.

Pour autant, les gouvernements successifs se sont tous opposés à cette évolution que l’Europe leur impose désormais. Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense, a été on ne peut plus net en déclarant : « Les syndicats dans l’armée, ce n’est pas à l’ordre du jour, ça, je peux vous le dire ! » Sauf que si la France entend respecter les engagements européens dont elle est porteuse, il faudra bien qu’elle y passe. Que le gouvernement le veuille ou non.

Source : Le Point

 

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