L’appel d’urgence des syndicats de police à Christophe Castaner
- Par David Le Bars (secrétaire général du Syndicat des commissaires de la Police nationale), Jean-Marc Bailleul (secrétaire général du Syndicat des cadres de la sécurité intérieure), Yves Lefebvre (secrétaire général de Unité SGP Police-FO), Philippe Capon (secrétaire général Unsa Police)
TRIBUNE – Dans cette tribune publiée dans le JDD, quatre syndicalistes appellent le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner à « réinventer » la police.Plusieurs syndicats réclament à Christophe Castaner l’organisation d’un débat pour réinventer la police. (Sipa)
Dans cette tribune publiée dans le JDD dimanche, David Le Bars (secrétaire général du Syndicat des commissaires de la Police nationale), Jean-Marc Bailleul (secrétaire général du Syndicat des cadres de la sécurité intérieure), Yves Lefebvre (secrétaire général de Unité SGP Police-FO) et Philippe Capon (secrétaire général Unsa Police) réclament « un signal fort » du ministre de l’Intérieur Christophe Castaner pour « réinventer la police ». « Nous souhaitons instamment qu’un débat ait lieu, au sein de la Police nationale, avec les personnels qui la servent, qui l’animent, la respectent et leur dédient leurs vies, pour penser la police de demain », écrivent-ils.
La Police nationale a connu ces dernières années des épisodes qui resteront parmi les plus durs de son histoire, du terrorisme aveugle ayant fauché des centaines de concitoyens, et parmi eux certains des siens, aux actions violentes des derniers mois à l’occasion du mouvement des Gilets jaunes.
Ces bouleversements sociétaux, les policiers actifs de tous grades, ADS, gardiens et gradés, officiers, commissaires y ont fait face, en constituant un rempart solide pour la liberté, mais un rempart fragile. Les policiers souffrent au sein d’une administration devant s’adapter en permanence aux injonctions souvent paradoxales du politique et de la société civile, dans une institution frappée par la disette budgétaire, étranglée dans des normes inadaptées à l’exercice de la mission régalienne.
Les policiers sont conscients de la nécessité de renforcer le lien entre la population et sa police
Nous, qui représentons majoritairement les policiers, lançons un appel aux pouvoirs publics pour réinventer notre police, avant que les événements aient raison de nous, et éviter que leur gestion ne repose désormais plus seulement sur les femmes et les hommes qui la composent. Réinventer la police, c’est réfléchir à son architecture, ses structures, que l’État doit mettre au service de ses serviteurs et des citoyens.
Les policiers sont en attente d’un signal fort, car après six mois de crise des Gilets jaunes, et les efforts immenses consentis chaque samedi, ils sont conscients de la nécessité de renforcer le lien entre la population et sa police. Ce lien, c’est celui d’une véritable police citoyenne, plus tournée vers les usagers et les victimes, plus efficace contre les délinquants, qui redonne du sens à l’action du policier de sécurité publique, débarrassé de ses tâches indues et libéré d’une multitude de missions qu’il ne peut plus assumer.
Ce besoin de réfléchir, de concevoir et de créer un outil adapté trouve ses racines dans un malaise endémique généré par un triste constat : commissariats dépassés par les flux de plaintes, équipages police secours débordés, assises territoriales non adaptées. Au final, un service public qui doit s’améliorer et se moderniser.
Les policiers demandent instamment que leurs ‘métiers’ respectifs soient reconnus comme tels, et qu’ils puissent s’y épanouir
En attente de reconnaissance, les policiers demandent instamment que leurs ‘métiers’ respectifs soient reconnus comme tels, et qu’ils puissent s’y épanouir. Parce que le policier du quotidien, au contact des maux de la société, qui pare au plus urgent, qui consolide le lien social et représente l’État dans les rues, dans les quartiers, dans les foyers parfois meurtris dans lesquels il intervient, est un spécialiste. Tout comme le policier d’investigation est un spécialiste, de même que le policier du renseignement, celui qui protège nos frontières ou celui qui assure le maintien et le rétablissement de l’ordre.
Nous demandons que ces filières métiers soient reconnues pour s’exercer dans des structures simplifiées mais aussi déconcentrées, afin d’adapter la Police nationale à une société en constante mutation et aux attentes de la population. Et à une époque ou l’État est dans une capacité budgétaire contrainte, cette nécessité de réforme que nous appelons de nos vœux doit aussi être perçue comme source de rationalisation de nos propres moyens.
Nous souhaitons instamment qu’un débat ait lieu, au sein de la Police nationale, avec les personnels qui la servent, qui l’animent, la respectent et leur dédient leurs vies, pour penser la police de demain. Qui est plus légitime pour s’interroger que celui qui, chaque matin ou chaque nuit, prend son service, s’équipe, arpente le territoire de la République, commande, conçoit ou dirige, au sein d’une institution qui n’a jamais de répit?
Les policiers veulent être entendus, ils doivent être écoutés dans une grande concertation républicaine avec les autorités publiques
Depuis les grognes policières de 2016 et de décembre 2018, les policiers ont souhaité prendre la parole, décrire ce qu’ils endurent et ne veulent plus subir. Le temps de la résilience est révolu. L’envie de servir, de retrouver du sens, est d’autant plus forte dans un métier qui n’est pas comme les autres, passionnant et prenant mais qui impacte les psychismes, les vies personnelles et familiales, et engendre parfois des drames.
Les policiers veulent être entendus, ils doivent être écoutés dans une grande concertation républicaine avec les autorités publiques. Le commissaire de police, l’officier, le gradé, le gardien de la paix ou l’ADS, tous ont embrassé la même passion, et tous désirent le meilleur pour la Police nationale. Ils sont tous prêts à s’investir pour rénover la grande maison qui les a, un jour, accueillis et qu’ils entretiennent avec dévotion et humanisme.
Une tribune comme celle-ci est inédite, car dictée par des circonstances exceptionnelles. C’est celle d’une police lucide sur son état, mais aussi consciente des enjeux : démontrer au citoyen que nous gardons le dynamisme nécessaire pour le servir, jusqu’au bout de nous-mêmes. C’est aussi celle d’une police qui a trop longtemps œuvré dans des conditions dégradées, justifiées par une mission régalienne intense. Cette tribune est un appel d’urgence pour une police qui doit être mieux formée, préparée et organisée pour anticiper et faire face aux missions que chacun est en droit d’attendre d’elle.
Source : Le JDD
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