L’Aile ou la cuisse de Claude Zidi

Le comique ignoré par la critikatur

Un film majeur sur la transmission

samedi 15 mars 2025, par Lionel Labosse

J’avais déjà parlé de L’Aile ou la cuisse sur ce site quand je l’avais revu lors d’une rétrospective de Funès à la Cinémathèque en 2020 sous la tyrannie nationale-covidiste. Cette année, à l’occasion du thème de BTS « À table », je l’ai visionné avec mes étudiants. Je n’aurais rien écrit de plus si je n’avais constaté avec stupeur l’absence totale du réalisateur Claude Zidi sur les sites de référence Ciné-club de Caen et Transmettre le cinéma, et la présence d’une seule critique d’un de ses films sur cet autre site de référence DVDCLASSIK. J’ai vu une critique condescendante sur ce site : « On le sait, Zidi n’a jamais taillé dans la dentelle et il le prouve une nouvelle fois ici : les gags pesants s’amoncellent (réparation d’une cheville disloquée, seringue plantée dans la fesse d’un malade récalcitrant, dégustation jusqu’à la nausée d’une nourriture infâme, sous la menace armée d’un cuisinier acariâtre…), la verve franchouillarde s’accorde avec la tonalité du propos (défendre notre patrimoine gastronomique contre vents et marées) ».
Je me suis donc senti obligé de rendre hommage à ce grand réalisateur (encore vivant), pour rattraper ce vide sidérant de la critique intello-chiante. Pour préciser mon propos, ce site ci-dessus (au demeurant excellent et fort recommandable) donne son classement des réalisateurs. Les deux premiers sont des réalisateurs qui me font carrément chier, Godard et Bergman. Chaplin arrive à la 16e place, juste devant Nanni Moretti, et Roman Polanski n’est pas dans ce classement de 250 ! Sergio Leone est quand même 33e.
On peut visionner pour l’instant le film sur Odysee, mais faut pas le dire trop fort !

Quand j’avais traité le thème « Générations », je n’étais pas encore cinéphile, et ne pratiquais pas l’analyse (fort modeste) de films en classe (ma pratique pédagogique a considérablement évolué en dix ans), mais voici, ajoutée en 2020, une suggestion inattendue : L’Aile ou la cuisse (1976) de Claude Zidi. Je n’avais pas revu ce film depuis 35 ans peut-être, mais je m’en souvenais assez bien (alors que j’ai une très mauvaise mémoire des films en général, sauf justement si j’accomplis un travail dessus). Je l’ai revu à l’occasion de la rétrospective de Funès à la Cinémathèque qui a vraiment le mérite de ne pas mépriser le cinéma populaire.
L’Aile ou la cuisse est un film français réalisé par Claude Zidi (né en 1934 ; c’est son vrai nom, d’un père d’origine kabyle). Dans les années 1970, il devient réalisateur et scénariste avec Les Charlots, dans 4 films à succès : Les Bidasses en folie, Les Fous du stade, etc. Il s’impose comme l’un des plus prolifiques réalisateurs de films comiques des années 1970 à 2000, avec La Moutarde me monte au nez, La Zizanie, Les Sous-doués, Inspecteur la Bavure et Astérix et Obélix contre César. Ses films ont attiré des millions de spectateurs sur tous les continents. Peu apprécié par la critique, il reçoit toutefois en 1985 le César du meilleur réalisateur et celui du meilleur film pour Les Ripoux. Avec 25 longs-métrages entre 1971 et 2003, Claude Zidi est le 3e réalisateur français ayant attiré le plus grand nombre de spectateurs en France, avec plus de 80 millions d’entrées, derrière Henri Verneuil et André Hunebelle.
Le film raconte les aventures de Charles Duchemin, directeur d’un guide gastronomique à son nom, défenseur de la cuisine française, et de son fils Gérard, plus tenté par la vie d’artiste, dans leur croisade contre la nourriture industrielle dont le fer de lance est Jacques Tricatel et ses « restoroutes ». Tournant en dérision le guide Michelin et l’entrepreneur Jacques Borel (cf. ci-dessous), l’histoire aborde un problème naissant dans la France des années 1970 : la malbouffe conséquente à l’essor de l’industrie agroalimentaire. Durée 1h45’.
Ce film marque le retour sur les écrans de Louis de Funès (1914-1983) après trois ans d’absence, due à des problèmes de santé. Dans une confrontation entre les générations, le film associe, comme père et fils, le vénérable comique avec l’humoriste Coluche (1944-1986), alors en pleine ascension (topo d’après Wikipédia)
J’ai été profondément ému par une scène clé dans le film, dont j’avais le souvenir parfait, celle où Charles Duchemin découvre que son fils unique Gérard, incarné par Coluche, fait le clown dans un cirque itinérant qu’il a fondé et qu’il dirige, et qui suit la tournée des restaurants au cours de laquelle le père souhaite achever sa passation de pouvoir à son fils.

ors d’une séquence du spectacle de cirque (ci-dessus), un spectateur est choisi dans la salle, et un éléphant de tissu lui barbouille la tête de mousse à raser. Coluche survient alors et s’exclame : « Vous vous êtes trompé, c’est le président de la république. Il faut le nettoyer ». Puis il balance un seau d’eau, et le visage de son père apparaît au lieu du quidam habituel, toujours un vieux monsieur respectable. Un silence dramatique succède au rire général. Le dialogue est un miracle d’économie de paroles, de même que tout le rôle de Coluche, taillé sur mesure :
« Ça te fait de la peine papa ?
– T’inquiète surtout pas.
– Ah bon.
– Mais j’aurais aimé l’apprendre autrement.
– J’ai essayé de t’en parler plusieurs fois.
– Ça fait longtemps que tu « Tsa tsa tsa tsin tsin » ?
– Bah il y a quelques temps j’avais pris des cours de comédie, tu te souviens ?
– Oui.
– Mais t’avais pas tellement apprécie, toi.
– Je t’avais demandé de choisir et tu es resté avec moi.
– Ouais, puis j’ai monté ça
– Et ça marche ?
– Ça démarre
– Les histoires de tarte à la crème, ça les fait rire ?
– Ouais. Ben alors moi par exemple, je prends ce seau et vouff, et y vont rire ?
– Peut-être ouais. (il balance le contenu du seau, Coluche est couvert de blanc ; grand silence).
– Eh bin c’est raté.
– Comme toi.
– Peut-être que t’avais pas envie de les faire rire.
– Parce qu’il faut avoir envie ?
– Ah oui, oui.
– Effectivement, je n’ai envie de faire rire personne. J’ai pas envie de rire moi-même. Alors continue à faire tes tsa tsa tsa tsin tsin, allez hop, adieu. (Il s’en va, trébuche sur le pourtour de la piste, ce qui déclenche le rire de la foule).
– Tu es renvoyé.
– Et le spectacle continue ».

Coluche donne une leçon d’humour dans L’Aile ou la cuisse de Claude Zidi. © Claude Zidi.

Il y a derrière cette scène plusieurs niveaux d’interprétation. C’est une leçon de cinéma et de comique. C’est un père qui apprend que son fils n’est pas tel qu’il l’aurait rêvé, avec une déception d’autant plus grande ici que dans le scénario, le fils est unique, et rien n’est dit sur l’absence de la mère. On peut penser le père veuf, en tout cas les femmes n’exercent sur lui aucune attirance, même s’il est conscient de celle qu’exerce sa secrétaire intérimaire sur son fils.
Cette scène parle énormément par exemple, à un enfant homo qui ne sait pas comment annoncer la couleur à ses parents. Mais il y a aussi en filigrane la question de la transmission de générations de comiques, puisque derrière cette histoire de dynastie Duchemin, il y a un comique de l’ancienne génération en fin de carrière, mais unique en son genre, sortant d’une longue maladie, qui passe la main à un jeune, considéré comme vulgaire, alors que de Funès était aussi considéré par certains comme un comique vulgaire.
Pressenti pour le rôle, Pierre Richard avait refusé un mois avant le tournage (voir l’article de Wikipédia sur L’Aile ou la cuisse), et c’est au hasard qu’on doit cette idée étonnante et géniale du recrutement de Coluche, lequel mourra 3 ans après de Funès [1]. On dirait que les critiques de la critikatur ignorent que Louis de Funès est un digne continuateur du slapstick, qu’on peut admirer dans cette pépite méconnue, Le Mari à double face (Mighty Like a Moose) de Leo McCarey, court-métrage muet (23 minutes) de 1926, avec Charley Chase, que l’on peut visionner ici. Histoire d’un couple dont chacun se fait opérer en secret d’une imperfection physique par un chirurgien esthétique, et qui ne se reconnaissent plus, d’où quiproquos, etc. L’intérêt de ce film est dans le slapstick, notamment la scène finale, un chef-d’œuvre du genre par sa durée. Mais Leo McCarey a aussi tourné avec Laurel & Hardy, et a donné dans la « tarte à la crème ». Il est notable que de Funès parle de « tarte à la crème » alors que son fils utilise un seau et pas une tarte.
Revoyez cette scène comme une leçon de comique. Arriver à traiter deux thèmes dans une même scène, c’est du grand art, inaccessible sans doute à certains grand critiques ! On pense aux vers de Boileau : « Dans ce sac ridicule où Scapin s’enveloppe, / Je ne reconnais plus l’auteur du Misanthrope ». Beaucoup d’intellectuels ont du mal avec le comique de gestes et les acteurs qui jouent avec leur corps, comme aujourd’hui Christian Hecq par exemple. Et Coluche est un as en la matière, meilleur encore que de Funès. Les scènes avec la jeune femme qu’il convoite sont géniales sur ce plan : sa timidité l’empêche de parler, à part des borborygmes, des gestes et des mimiques. Comme l’a très bien formulé un de mes étudiants : « Dans les films muets c’est le corps qui parle ». Mais non, bien sûr pour nos grands intellectuels, étant du cinéma commercial (comprenez qui plaît aux spectateurs et pas uniquement aux membres de l’Avance sur recettes), il ne peut s’agir que de « verve franchouillarde ». Haine de soi, quand tu nous tiens !

Ce film obtient un record de spectateurs lors d’une énième rediffusion pendant le confinement covidiste en 2020. Une séquence est consacrée à l’« agueusie » qui touche Duchemin, mot clé de la maladie Covid-19.
C’est cette agueusie, due à une intoxication, qui pousse Charles Duchemin à laisser la place à son fils pour l’affrontement avec l’ignoble Jacques Tricastel, caricature de Jacques Borel, qui est toujours vivant en mars 2025, comme Claude Zidi.

Voici un montage de trois scènes, où Coluche et de Funès donnent une leçon d’œnologie hilarante et émouvante à la fois. Là aussi, Claude Zidi entrelace plusieurs discours et mêle comique et poésie.

Voici pour finir un petit topo sur « Jacques Borel, pionnier visionnaire de la restauration rapide », condensé d’après cet article du site Entreprendre.

Jacques Borel, est un entrepreneur né en 1927 à Paris. Diplômé en 1950 de HEC Paris. Il intègre rapidement IBM, ou son père, William Borel, dirige la branche française.
[…] Il est formé aux techniques commerciales à « l’américaine » et devient le meilleur vendeur mondial.
À la suite de résultats plus que convaincants, il est envoyé en 1952 en Indochine dans la division d’IBM à Saigon dont il devient directeur. […]
J. Borel revient en France en 1956 […] Il pressent l’avènement de la consommation de masse et la modernisation de la société française […] et constate l’arrivée massive des femmes sur le marché du travail. Ce qui a pour lui automatiquement 2 conséquences directes :
1 – Moins de temps disponible en cuisine pour les femmes.
2 – Les deux salaires du foyer pourront permettre plus de sorties (dont le restaurant par exemple).
Sur ces bases, il décide de se lancer dans la restauration rapide en France, et cela, bien avant l’arrivée de Mac Donald’s, Burger King ou de Five Guys en France.
Pourvu d’indéniables qualités d’organisation et de vente, ce travailleur infatigable est inspiré par Howard Johnson (dont 200 restaurants sortent de terre dotée d’une organisation « militaire » et d’une rentabilité exceptionnelle).
Il duplique le principe dès juillet 1957, avec son premier restaurant l’Auberge Express (Rue de la Boétie proche des Champs-Elysées). Il réduit drastiquement les coûts et augmente la fréquentation avec pour objectif un client toutes les 5 secondes.
Fort de ce premier succès, il crée en 1959 la structure intitulée La Générale de Restauration pour développer le concept. Il dote l’ensemble d’une centrale d’achat pour uniformiser et faire baisser les coûts de ses restaurants, structure qui deviendra par la suite : Transgourmet. […]
Dès 1961, il est déterminé à imposer le Burger en France avec les fast-foods Wimpy (chaine de restauration anglaise créée à Chicago avec qui il fonde un partenariat et qu’il avait testée lui-même en 1949 à New York lorsqu’il était encore salarié chez IBM) dont il décline la version française et compte sur la rentabilité du steak haché et sa facilité de préparation pour optimiser ses bénéfices.
Il lance donc le premier fast-food en France, baptisé alors « Le restaurant de l’An 2000 ». Il y en aura jusqu’à 20 (15 à Paris et 5 en Province) à la fin des années 60.
Mais trop pressé et en désaccord profond avec la maison mère, l’affaire tourne court.
En 1962, il souhaite démultiplier la fréquentation de ses restaurants, pour cela il a l’idée d’imprimer des bons de restauration sur d’anciens tickets de cinéma et fait le tour des entreprises du quartier pour les vendre. Le succès est immédiat.
L’année suivante, il peaufine encore son concept qu’il décline sous le nom de Ticket Restaurant. C’est une innovation majeure mais en réalité Jacques Borel a déjà la tête ailleurs : Il est déjà à 300 km/h sur l’autoroute.
Et importe donc, dès 1969, le concept de « restau pont ». Concept italien qui permet de « récupérer » les automobilistes (et leurs familles) des 2 côtés de l’autoroute et donc de multiplier la fréquentation. […]

Lionel Labosse

Source : Altersexualité

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