FIGAROVOX/TRIBUNE – La députée LREM, auteur d’une proposition de loi pour lutter contre les «contenus haineux sur Internet», est accusée par plusieurs de ses collaborateurs d’avoir elle-même tenu des propos licencieux. Pour l’essayiste Anne-Sophie Chazaud, cela rend d’autant plus incohérente sa démarche liberticide.
Anne-Sophie Chazaud est chercheuse au Collège doctoral de Philosophie (UCLY) et auteur de Liberté d’inexpression, des formes contemporaines de la censure, (l’Artilleur, parution reportée à septembre 2020).
Il n’aura pas fallu attendre longtemps pour qu’après le début d’un très timide déconfinement, les Français soient de nouveau confrontés, sans perdre une minute, à l’étrange et impérieuse passion liberticide de la majorité. On comprend bien, alors que le pays est dans l’œil d’un cyclone économique, social, anthropologique et psychologique sans précédent depuis des décennies, qu’il soit absolument urgent de revenir en hâte devant la représentation nationale afin de promouvoir une loi visant à confiner l’expression libre des opinions.
Se drapant, comme toute la ribambelle des lois du même acabit qui l’ont précédée, dans la défense affichée des bons sentiments dont on sait que l’enfer est pavé, et de la lutte contre les contenus supposés «haineux» sur les réseaux sociaux, Laetitia Avia, porteuse de ce nouveau dispositif, s’est livrée du haut de la tribune de l’Assemblée nationale à une harangue inquiétante, et on se demande si elle n’avait pas en réalité pour but de mettre en abyme ce qu’elle prétend combattre. Elle fustigeait ainsi les «trolls, haters, têtes d’œuf [quid de la têted’oeufophobie?] anonymes, qui vous croyez cachés derrière vos écrans, qui êtes petits [discrimination envers les personnes de petite taille? voilà qui aggrave le dossier…] et lâches, sachez que nous nous battrons pour vous mettre face à vos responsabilités (…), c’est la fin de l’impunité». On jurerait Poutine au bord d’aller «buter les tchétchènes jusque dans les chiottes» , selon sa déclaration musclée restée célèbre…
Les contenus à bannir seront laissés à la libre appréciation de la morale dominante. Là où la loi se présentant comme anti «fake news» transférait au juge des référés (et donc de l’urgence) le magistère de la Vérité dans un bel effort digne de quelque dystopie orwellienne, la loi Avia va encore plus loin puisqu’elle ne se donne même plus la peine de passer par la case «justice» et transfère directement l’appréciation des contenus à bannir aux entreprises privées, et qui plus est étrangères, ayant le monopole d’internet, sous peine pour ces dernières de se voir appliquer de lourdes sanctions financières.
Les contenus à bannir seront laissés à la libre appréciation de la morale dominante,selon des contours aléatoires et volontiers subjectifs, étant entendu qu’une porosité idéologique relie le pouvoir moralisateur et bien-pensant prompt à promouvoir ces dispositifs et les entreprises puritaines au discours multiculturaliste et politiquement correct qui auront la charge d’en exécuter les basses oeuvres. La solution de continuité est parfaite entre ces différentes gouvernances, publiques et privées, nationales et étrangères, à peine séparées par la feuille de papier à cigarette de quelques menus tracas fiscaux.
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On se souvient que dans l’exposé des motifs de cette loi, Laetitia Avia avait tenté d’introduire la criminalisation du concept d’ «islamophobie», lequel cherche à empêcher de facto la critique d’une religion sous couvert de lutte antiraciste, alors même que ce droit de critiquer toute religion, celle-ci comme une autre, fait partie des libertés fondamentales de notre démocratie, tout comme le droit au blasphème. Devant la bronca suscitée, le terme d’islamophobie avait été retiré sur la pointe des pieds, mais on comprend bien l’esprit qui anime ce projet de loi: il s’agit de bannir tous les contenus politiquement incorrects ou critiques à l’égard de la vulgate du «vivre-ensemble», afin notamment de restreindre l’expression de toute pensée critique portant sur les questions migratoires ou relatives aux problèmes soulevés par l’islam politique dans ses formes offensives. Sachant que les usagers dont les contenus auront été censurés fissa n’auront que peu de chances ensuite de voir leur préjudice réparé. Cette même semaine du reste, Facebook installait dans son nouveau conseil de surveillance (en réalité un conseil de l’Inquisition, valant également pour Instagram) la Yéménite Tawakkol Karman, sympathisante frérosalafiste, et dont on peut voir qu’elle arbore de manière fort engageante sur certaines photos la Main de Tamkine, signe de ralliement aux Frères musulmans, devant la Tour Eiffel et l’Arc de Triomphe. Ou encore, à ses côtés, Afia Asantewaa Asare-Kyei, membre de l’Open Society Foundation du milliardaire sans-frontiériste Georges Soros. On ne doute pas que la lutte contre l’islam politique et l’islam radical en sortira renforcée! Nul doute également que les «standards de la communauté» rejoindront avec enthousiasme les standards moralisateurs du communautarisme dont l’actuelle majorité est friande.
Laetitia Avia se retrouve elle-même accusée par d’anciens nombreux collaborateurs d’avoir tenu des propos racistes, sexistes, homophobes.
Comme souvent avec les donneurs de leçons, le sort leur joue néanmoins quelques tours amusants sur le thème indémodable de l’arroseur arrosé puisque, selon des révélations de Mediapart, Laetitia Avia se retrouve elle-même accusée par d’anciens nombreux collaborateurs d’avoir tenu des propos racistes, sexistes, homophobes et d’avoir managé lesdits collaborateurs selon des pratiques peu orthodoxes au regard du respect humain et du droit du travail. Il importe peu en l’occurrence que ces propos discriminatoires, s’ils étaient confirmés, relèvent de conversations privées puisque la majorité macronienne s’était empressée en août 2017 de promouvoir un décret visant précisément à étendre le champ des incriminations possibles…au registre privé, toute à son obsession sans limite contre la liberté d’expression, étendant indéfiniment le champ possible de son application (décret du 3 août 2017 visant à réprimer la provocation, la diffamation et les injures non publiques représentant un caractère raciste ou discriminatoire).
Ce syndrome de l’arroseur arrosé et de l’indignation morale à géométrie variable selon l’éternel dicton du «faites ce que je dis mais ne faites pas ce que je fais», semble du reste rattraper la majorité avec une constante et belle opiniâtreté. On a déjà pu récemment apprécier les tentatives de Sibeth Ndiaye qui, assumant de «mentir pour protéger le Président» et ayant elle-même proféré un nombre important de contre-vérités au sujet (par exemple) du port des masques contre le coronavirus, n’aura pas eu la moindre vergogne à tenter, dans la foulée, de promouvoir la lutte contre les «fake news» sur les réseaux sociaux, se réjouissant notamment de l’initiative gouvernementale «Désinfox» visant à distribuer les bons et les mauvais points en matière de journalisme (initiative qui, devant l’indignation suscitée, aura par chance fait long feu).
Les ligues de vertu, on le sait depuis Molière, sont rarement bonnes conseillères.
On se souvient également du député M’Jid El Guerrab, député élu sous l’étiquette LREM de la 3ème circonscription des Français de l’étranger, qui, après avoir défoncé le crâne de son contradicteur socialiste Boris Faure (lequel en conserve de graves séquelles), a été curieusement et sans la moindre honte, promu au sein de la Commission d’enquête parlementaire souhaitée par La France Insoumise pour enquêter sur des violences groupusculaires attribuées à l’extrême droite…
On le voit, non seulement ces dispositifs liberticides et moralisateurs sont contestables sur le fond et sur la forme, mais en outre, comme on peut le constater de manière répétée, ils traduisent la constante incapacité de leurs promoteurs à se comporter selon les règles intrusives qu’ils ne cessent de vouloir imposer aux citoyens. Les ligues de vertu, on le sait depuis Molière, sont rarement bonnes conseillères et peu praticiennes de leurs propres dogmes.
De nombreux acteurs du numérique se sont opposés à ces dispositifs visant à verrouiller la liberté d’expression, tout comme certains courageux et rares parlementaires qui tranchent avec l’apathie de leurs collègues, mais on peut raisonnablement penser qu’un réveil citoyen est inéluctable face à ces dérives aussi étouffantes que cyniques.
Source : Le Figaro
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