La SNCF fait payer 100 € à l’ancien curé pour 18 km en TER
Malvoyant, Lucien Converset avait besoin d’une aide humaine pour acheter ses billets. La fermeture des guichets et la suppression des contrôleurs habilités à délivrer des titres de transport dans les trains régionaux l’ont acculé à une impasse… kafkaïenne.
Lucien Converset, dit « Lulu », entend se battre pour que chacun ait l’accès aux services publics. Photo ER /Jean-Pierre TENOUX
L’anecdote frise l’absurde. Lucien Converset dit « Lulu », curé retraité de 82 ans, militant de longue date, part manifester le 29 mai en gare de Dole pour défendre la SNCF de service public, telle qu’il l’aime. Lui qui habite à Dampierre veut ensuite rentrer à son domicile et pour cela, emprunter comme il en a l’habitude le train jusqu’à Ranchot puis achever son trajet à pied. Il en ignore la raison mais le guichet dolois à cet instant est fermé. Sitôt monté dans le TER, il se met en quête d’un contrôleur pour être en règle.
À Bethléem avec son âne
Quand il le trouve assis au fond de la rame, l’homme lui répond qu’il n’est pas là pour délivrer des titres de transport mais pour sanctionner ceux qui en sont dépourvus. Ainsi les 3,50 € qu’il débourse sur ces dix-huit kilomètres de trajet, se transforment-ils en 50 € d’indemnité forfaitaire. Choqué, l’ancien prêtre refuse de payer une telle somme pour un trajet aussi court. À 12 h 49, ainsi qu’en atteste son récépissé, le contrôleur décide donc de doubler la note. Quand il redescend du train, « Lulu » a dans sa poche une facture de 100 € à acquitter.
Là où l’injuste rejoint l’absurde, c’est que si Lucien Converset ne peut pas se procurer de ticket à une borne, c’est en raison de sa vue. En 2012, de retour d’une marche contre l’arme nucléaire avec son âne jusqu’à Bethléem, il constate sa subite déficience visuelle. Il choisit de ne plus conduire, pour sa sécurité et celle d’autrui. Au-delà des bornes dont il ne peut lire l’écran, impossible pour lui de réserver son train sur le site web de la SNCF, faute d’ordinateur, encore moins avec un smartphone. La suppression des guichets, l’abandon des contrôleurs permanents au profit d’équipes « aléatoires » dont il découvre à ses dépens qu’elles ne font que pénaliser, l’acculent à une impasse. « En quoi devrais-je rester confiné chez moi et me priver de ma liberté de me déplacer ? », s’offusque-t-il.
« Ceux qui ne savent pas lire »
Avec le soutien de l’ancienne vice-présidente EELV de la Région Franche-Comté, Antoinette Gillet, « Lulu » a multiplié les démarches depuis : il a écrit à la présidente Marie-Guite Dufay, autorité organisatrice des transports, au directeur de SNCF Mobilités à Dijon, au président de la SNCF, Guillaume Pépy, aux syndicats de cheminots et, pour le principe, au défenseur des droits. « Au-delà des personnes âgées, handicapées ou malvoyantes, je pense à toutes celles qui ne savent ni lire ni écrire et qui ont besoin d’un contact humain pour effectuer cette formalité d’achat d’un ticket et d’aide à préparer un voyage », insiste-t-il.
Le ridicule de la situation, c’est que si Lucien Converset ne s’était pas rendu de lui-même à la rencontre du contrôleur, il n’aurait pas été verbalisé, aucune vérification des billets n’étant effectuée durant ce bref laps de temps. « En insistant pour payer, je lui ai expliqué que si j’étais allé manifester à Dole, c’était précisément pour que la SNCF lui donne les moyens de m’octroyer un titre de transport », soupire-t-il. « Je ne témoigne pas pour mon cas personnel mais dans un esprit collectif pour qu’une solution pérenne soit trouvée. »
Jean-Pierre TENOUX
Source : L’Est Républicain
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