La prise en charge du conjoint violent, une mesure qui a fait ses preuves mais qui continue de gêner
Depuis plusieurs mois, une colère populaire monte face au nombre de femmes tuées par leur conjoint, qui ne cesse de croître. Déjà 136 depuis le début de l’année, d’après la page Facebook « féminicides par compagnon ou ex« . En 2018, 121 femmes sont mortes sous les coups de leur conjoint. Alors depuis le 3 septembre, la « grande cause nationale du quinquennat » s’est muée en Grenelle pour tenter de mieux lutter contre les violences faites aux femmes. Le 29 octobre, les onze groupes de travail établis par ce Grenelle ont rendu une soixantaine de propositions au gouvernement. Parmi l’augmentation des moyens financiers que réclament les associations et la mise à disposition de plus de logements pour les victimes de violences, une mesure à première vue paradoxale émerge de plus en plus : le suivi et le traitement psychologique du conjoint violent.
« C’est une vraie question sur laquelle, je crois, nous n’apportons pas de réponse suffisamment affinée ou déployée », expliquait Nicolle Belloubet, ministre de la Justice, fin octobre à l’occasion d’une rencontre avec des auteurs de violences conjugales d’un centre d’hébergement, dans le cadre du Grenelle. La Garde des Sceaux avait également précisé qu’ »il faut plus d’appartements pour qu’ils (les auteurs de violences, ndlr) quittent le domicile conjugal dans certaines hypothèses, ça ne doit pas être une règle générale ».
« Prendre en charge les auteurs, c’est aider les victimes »
Aborder la question du traitement des auteurs de violence revient à mieux prendre en compte les violences conjugales dans leur globalité « car prendre en charge les auteurs de violences, c’est aider les personnes victimes », souligne Jérôme Bertin, directeur général de l’association France Victimes et membre du groupe justice pour le Grenelle. « On parle beaucoup de la question de l’éloignement du conjoint violent, avec la mise en place du bracelet électronique dès que possible, mais si cette mesure n’est pas accompagnée d’une prise en charge et d’un traitement, alors vous mettez toutes les chances du côté de la récidive ».
Eviter la double peine des victimes
A Besançon, dans le département du Doubs, le parquet n’a pas attendu la tenue du Grenelle pour mettre en place un dispositif de traitement psychologique des conjoints violents. L’association départementale du Doubs de sauvegarde de l’enfant et de l’adulte (ADDSEA) s’y attèle depuis près d’un an. Le dispositif se nomme Altérité et a déjà pris en charge 28 hommes, dont 20 en amont de leur procès – sous contrôle judiciaire – et 8 après condamnation dans le cadre d’un aménagement de peine. La diversité des profils équivaut à ce qui s’observe partout sur le territoire : de 15 à 75 ans toutes les catégories socioprofessionnelles sont concernées. Ledit traitement permet dans un premier temps de tenir éloigné les conjoints violents de leur domicile, notamment lorsque le procureur de la République impose leur éviction – prévue par la loi depuis 2005 – et à la personne victime de rester chez elle. « Lorsqu’elles décident de quitter leur logement, les femmes sont en réalité confrontées à une double peine. Et ça, c’est inacceptable ! », souligne Sébastien Girin, responsable du dispositif. « Même s’il y a des situations qui contraignent de toute façon les victimes à quitter leur domicile », nuance-t-il.
Dans un second temps, pendant leur assignation, les auteurs de violences rythment leurs journées entre des séances de prise de parole et des consultations avec une psychologue pour « comprendre et analyser les origines de leur comportement violent ». Un certain cadre est ainsi posé. Le dispositif Altérité est garant d’une mesure judiciaire. Au moindre faux pas, comme une prise de contact avec la personne victime, le prévenu est renvoyé devant la justice. « Nous avons voulu prendre le problème à la racine pour arriver à prévenir le risque de récidive », explique Sébastien Girin. La mesure, désormais effective depuis plus d’un an, est ordonnée par le procureur de la République. Qu’il s’agisse d’une décision présentencielle (avant le jugement, lorsque l’accusé est placé sous contrôle judiciaire) ou postsentencielle (après condamnation et en recherche d’un aménagement de peine), l’auteur des violences a le choix d’être accueilli dans la structure de traitement. S’il refuse, il est écroué, ou reste écroué.
« Il faut faire attention à ne pas abandonner l’aide aux femmes »
En France, l’accompagnement et le suivi des auteurs de violences sont encore très peu développés. Seulement une trentaine d’associations existent. Elles sont notamment fédérées par la FNACAV (fédération nationale des associations et des centres de prise en charge d’auteurs de violences conjugales et familiales). « Globalement, avec toutes ces associations qui maillent le territoire, nous recevons entre 3000 et 4000 hommes violents chaque année », explique Alain Legrand, président de la fédération et militant depuis plus de 30 ans pour une prise en charge du conjoint violent. « Parmi eux, 50% nous sont envoyés par la justice et les 50 autres sont volontaires et font des stages de sensibilisation ou ont un suivi psychologique d’une vingtaine de séances », précise-t-il. Plus surprenant, un tiers des volontaires consulteraient sur demande de leur conjointe selon le président de la FNACAV.
Mais du côté des associations d’aide aux victimes qui ont une aura nationale, le traitement de l’auteur des violences ne soulève pas un enthousiasme débordant… « Ce seraient mieux qu’ils soient pris en charge, admet Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des Femmes. Néanmoins, il faut faire attention à ne pas abandonner l’aide aux femmes… ». Même son de cloche pour Françoise Brié, présidente de la fédération nationale solidarité femmes (FNSF) et de la plateforme 3919 qui fédèrent plusieurs centaines d’associations d’aides aux victimes sur le territoire, qui reconnaît qu’aujourd’hui les associations « sont obligées de prioriser les urgences. Et dans l’urgence, on a tendance à mettre à l’abri les femmes de façon immédiate ». Ces associations pointent également la question des financements et refusent d’être amputés de dotations de l’Etat pour prendre en charge les conjoints violents. « Les deux sont extrêmement liés, mais il ne faudrait pas que ce soit la même enveloppe », ajoute Françoise Brié. « Dire qu’il n’y a pas assez d’argent, je l’entends. Mais ce n’est pas tant une question de budget, c’est une question de volonté politique », balaye le président de la FNACAV qui s’agace que l’aide apportée aux victimes et la prise en charge des auteurs soient constamment opposées. « Il y a un espèce de faux raisonnement lorsque l’on dit que prendre en charge les auteurs de violences, c’est réduire l’aide aux victimes ».
30% de récidive en moins
A Besançon, le dispositif Altérité a aussi « fait grincer des dents les associations d’aides aux victimes à ses débuts », se souvient Etienne Manteaux, procureur de la République de Besançon aussi instigateur du projet. A la création du centre d’hébergement, elles pensaient que leur budget allait être amputé. Car dans le département du Doubs, les financements du dispositif chargé d’héberger et de traiter les auteurs de violences et ceux des structures d’hébergement pour le victimes proviennent du même budget opérationnel. « Mais nous n’avons pas consacré moins d’argent aux associations d’aide aux victimes l’année dernière », se défend Annie Tourolle, directrice de la direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations du Doubs (DDCSPP). « Les crédits attribués au dispositif Altérité proviennent en réalité d’un redéploiement de fonds dans le cadre de la réforme nationale ”logement d’abord” qui consiste à lutter contre le mal logement tout en prenant en compte la dimension de la réinsertion sociale », affirme-t-elle. Par ailleurs, le département du Doubs reçoit des dotations de la part du ministère de la Justice notamment pour financer le séjour des personnes en aménagement de peine ainsi que quelques dotations exceptionnelles de la part de fondations privées. Un an après la mise en place du dispositif, le procureur Etienne Manteaux assure qu’ »aujourd’hui, les associations ont pleinement intégré l’utilité de ce dispositif qui contribue également à lutte contre les violences conjugales. Nous avons une bonne entente ».
La méthode, inspirée du Canada, de la Suisse ou encore de l’Espagne, souvent pris comme exemple en la matière, offre des résultats plutôt encourageants sur la question de la récidive. « Sur les 70.000 dossiers de cas de violences conjugales que nous avons traité à la FNACAV, on constate qu’il y a 50% de récidive lorsqu’il n’y a pas de prise en charge et 20% en cas de suivi psychologique ou d’accompagnement », rapporte Alain Legrand, au niveau national.
Dans le Doubs, s’il est « encore tôt » pour établir un premier bilan, le procureur de la République, se félicite tout de même de n’avoir que 15% d’échec en un an. Sur les vingt huit personnes accueillies, six ont été renvoyées en détention. « Cette initiative nous permet d’exercer une politique de tolérance zéro avec l’exigence d’une réponse pénale adaptée à tous les faits ». Avant que le dispositif Altérité n’existe, les auteurs de violences étaient livrés à eux-mêmes quand le procureur leur ordonnait de quitter leur domicile. « On leur disait vous vous débrouillez sinon vous retournez en incarcération« , pointe Etienne Manteaux. Pour les départements qui ne disposent pas de tels dispositifs, c’est toujours le cas. Annie Tourolle, directrice de la direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations du Doubs, trouve cela « dommageable que ces dispositifs ne soient pas encore une possibilité aux yeux de tous les acteurs qui luttent contre les violences conjugales ».
A l’image de la position de Marlène Schiappa qui tient une vision quelque peu manichéenne des choses, s’avouant “gênée” de consacrer ce budget aux agresseurs, dans une interview à Ouest FranceOuest France en août dernier. Contacté par Marianne le cabinet de la secrétaire d’Etat à l’égalité entre les femmes et les hommes n’as pas répondu à nos sollicitations. « À ce niveau là, ce n’est même plus de la conviction, c’est de l’obstination », commente Luc Frémiot, premier procureur de la République à avoir mis en place la mesure, ramenant à 6% la récidive dans la ville de Douai dès 2003. « Rappelons que le but de ces initiatives est de laisser la femme chez elle. Marlène Schiappa n’a donc pas de gêne lorsque c’est la mère et ses enfants qui s’en vont en pleine nuit à la recherche d’un logement ».
Source : Marianne
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