La police peut-elle changer d’éthique ?
La manifestation du jeudi 9 janvier a donné lieu à de nouvelles vidéos mettant en cause des policiers pour des violences visant des manifestants. Comment enrayer cette escalade de la violence ? Comment revenir à une police vertueuse au service des citoyens ? Stéphane Lemercier, capitaine de police et universitaire, tente d’apporter une réponse en s’appuyant sur son expertise.
Des policiers en intervention le 14 janvier 2019 à Paris. (VALENTINO BELLONI / HANS LUCAS)
Stéphane Lemercier est capitaine de police, chargé de cours et membre de l’Equipe de Droit Pénal de Montpellier (EDPM) à l’Université de Montpellier. Il a récemment publié « Précis d’éthique et de déontologie dans la police », les Editions du Prévôt, 455 pages, 2019.
Depuis plus d’un an, les manifestations de « gilets jaunes » et les mouvements sociaux s’enchaînent en France, donnant lieu à des affrontements récurrents entre manifestants et forces de l’ordre. La manifestation du jeudi 9 janvier a d’ailleurs donné lieu à de nouvelles vidéos mettant en cause la façon dont les policiers, a priori débordés, font usage de violences et de formes d' »illégalismes » qui remettent aujourd’hui en cause leur profession.
Comment enrayer cette escalade de la violence ? Comment revenir à une police vertueuse au service des citoyens ? On serait tenté de répondre qu’il faut inculquer l’éthique déontologique aux policiers et mieux les contrôler. Mais ils savent déjà parfaitement qu’ils doivent respecter les lois de la République et le code de déontologie. Ils savent aussi qu’ils sont souvent filmés sur la voie publique et cela ne les empêche pas de se laisser aller parfois à des comportements violents comme le rappellent les nombreux vidéos et tweets suite aux dernières manifestations.
Illégalismes policiers
Les illégalismes ont été définis par Michel Foucault comme étant l’ensemble des pratiques illicites associées chacune à des groupes sociaux distincts.
Il précisait que l’illégalisme contient la possibilité d’un respect de la légalité en fonction des circonstances. Cela peut sembler paradoxal mais les spécialistes le savent :
Clairement et comme le montre les classiques de la sociologie policière, une attitude de conformité stricte aux règles déboucherait inévitablement sur une paralysie de l’ensemble de l’organisation.Michel Foucault
Les magistrats eux-mêmes sont complices de cet état de fait, la procédure pénale s’étant complexifiée à tel point qu’il devient difficile de mener à terme une enquête policière en respectant scrupuleusement les lois et règlements sans risquer un vice de procédure. Jean‑Paul Brodeur, éminent spécialiste de la police, affirmait même que :
La possibilité toujours ouverte de transgresser impunément les lois auxquelles sont soumis les autres citoyens est constitutive de l’idée de police.Jean‑Paul Brodeur
Mimétisme et anomie
Le mimétisme, par exemple, tient une part importante dans les illégalismes policiers. Il s’agit du comportement adopté par les policiers pour mener à bien leurs missions : rouler à grande vitesse pour rattraper un conducteur en fuite, user de la force pour maîtriser un individu violent ou faire usage d’une arme pour neutraliser un terroriste.
Ce qui peut être reconnu comme légal et légitime dans certaines circonstances mais qui contribue à désinhiber les policiers au quotidien.
L’anomie, aussi joue un rôle. Ici, elle est entendue comme l’absence de règles claires. Ce concept peut paraître contradictoire mais puisque les illégalismes sont des tolérances concédées au grès des circonstances, on peut parler d’anomie policière quand certaines règles ne sont plus clairement établies.
S’agissant des contrôles d’identité par exemple : ceux-ci sont très encadrés par la loi mais les policiers sur le terrain s’en affranchissent largement. Et quand ils ont opéré « hors cadre », s’ils découvrent une infraction, ils trouvent alors un motif de contrôle valable a posteriori pour justifier de leur action initiale.
Les habitus enfin, sont les dispositions intériorisées pendant la socialisation dans un milieu et agissent comme une matrice de perception et d’appréciation de l’environnement. Ainsi, dès les premiers jours dans le métier, les anciens incitent les jeunes à oublier ce qu’ils ont appris à l’école de police et les initient à ce qu’il faut faire en fonction de critères qui leur sont propres…
Sur le terrain, les jeunes policiers auraient tendance à vouloir expliquer les raisons de leur contrôle ou de leur intervention auprès des personnes mais les anciens les en dissuade car « les gens n’ont pas à savoir »et/ou « ne peuvent pas comprendre » et puis « on n’a pas à se justifier ».
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