LA MEILLEURE DES POLICES
“La meilleure des polices ne porte pas l’uniforme” – La Rumeur
Alors que les forces de l’ordre et leurs actions sont finalement sous le feu médiatique, il semble nécessaire de rappeler l’évidence : ce n’est pas l’action de la police qui devient subitement plus catastrophique, mais l’ordre catastrophique du monde qui a de plus en plus recours à la police.
Une part grandissante de la population mondiale sent instinctivement où mène la marche du monde et se révolte. Elle rencontre partout la police, que le pouvoir équipe en conséquence. Le surarmement policier est le durcissement du capitalisme sur sa ligne de défense.
Si les médias ne se privent plus de commenter les violences policières, c’est que la démocratisation des moyens du spectacle, de prise de vue et de diffusion d’images, ont rendu visible l’exercice d’une violence auparavant connu de ceux qui en était les sujets.
C’est aussi et surtout qu’un nombre croissant de personnes goûte cette violence, parce que le capitalisme ne supporte plus aucune contradiction, et nécessairement, parce que ce durcissement et cette intransigeance attise le feu de la révolte. C’est aussi parce que l’écart entre le discours officiel et la pratique politique est devenu abyssal. Le mensonge entretenu de l’illusion démocratique marque un retard qui crève les yeux -littéralement- avec le totalitarisme concret du marché mondial.
Ce totalitarisme a sa raison économique, le capitalisme est en travaux : la fusion informatique de l’Etat et du marché s’opère sous nos yeux. Pendant cette transition fragile, le rôle historique de la police est de contenir les populations, pendant qu’on aggrave partout leurs conditions de vie par la surveillance, la destruction du milieu vivant, l’exploitation accrue. Tout ce qui était tenu pour acquis à la fin du vingtième siècle, comme l’intimité, la santé, le temps libre, tout doit disparaître. Les violences policières ne sont que l’écume de cette lame de fond.
Contradiction démocratique
La police, instrument du pouvoir est l’étincelle qui met le feu aux poudres. Elle agit comme un révélateur politique, parce qu’elle incarne physiquement le coeur de la contradiction “démocratique”. Officiellement mandatée pour protéger la population, elle protège bien plutôt l’Etat contre la population. Elle est l’incarnation casquée et armée de l’Etat, qui apparaît sous le discours officiel, et révèle sa véritable signification. Et l’Etat, comme le pouvoir qu’il est, fait la guerre pour son maintien, et concentre ses assauts sur ceux qu’il a le plus dépossédé, mène une guerre préventive contre la revanche des humiliés.
Les immigrés et leur descendance – qui étaient comme le rappelle Hamé de La Rumeur en première ligne des combats du mouvement ouvrier sont aussi ceux qui subissent, avec les pauvres excentrés de la métropole et les “migrants” – cette seconde classe d’immigration traitée en sous-êtres, le combat de plein fouet.
L’Etat lui-même n’étant qu’un instrument de la domination économique, la police s’illustre également par la défense des biens contre les personnes, la protection des rapports de propriété contre ceux qui les subissent. Pour s’en convaincre il suffit de voir les barrières anti-émeutes pour protéger les magasins Louis Vuitton, les C.R.S qui font barrage de leur corps aux vitrines de banques, jusqu’à l’ex-patron des services secrets qui organise des infiltrations et des écoutes pour le compte de Bernard Arnault (il faut vraiment être François Ruffin pour s’étonner de la fusion de l’Etat et du Capital au XXIè siècle.)
Mais la police ne s’arrête pas là, elle prend aussi activement part, dans certains marchés très lucratifs du crime organisé (Il y a encore quelques années, c’était le numéro un des stups qu’on a “découvert” être à la tête du trafic de drogue européen de cannabis, voir l’enquête de libération (“Drogues : Révélations sur un trafic d’Etat” et “Stup ou encore, le patron de la lutte antidrogue accusé d’être au coeur du trafic“). Elle joue avec toutes les mafias un jeu de miroir de la pacification sociale : tant que la population ghettoisée trafique, elle travaille de loin en loin pour l’Etat, et parfois directement pour lui, les petits poissons menant aux gros (voir le cas Serge Dassault : “Essonne, vie et mort d’un soldat de Dassault“dans l’Express et “Le scandale Dassault” publié par Médiapart)
C’est cette brêche béante qui s’ouvre sous la police, et ceci est compris dans ses rangs où les suicides sont de plus en plus nombreux, face à l’absurdité de cette tâche qu’est la guerre de l’Etat et du marché contre leurs esclaves rémunérés.
Pour toutes ces raisons, la seule lutte contre les violences policières est indéniablement absurde : la violence est la fonction de la police, et il n’y a pas de violence policière, il n’y a que des violences d’Etat. La police est l’outil de l’incarnation du monopole que s’est octroyé l’Etat pour légitimer sa violence. Voilà sur quoi s’étrangle la nouvelle défenseure des droits, car même le dernier des bacqueux est “dépositaire de l’autorité publique”.
En France, mais aussi ailleurs, ceux qui l’exercent volontiers ont tous la même odeur : le puanteur de vieux cuir moisi de la servilité fasciste. Pour preuve l’enquête de Street Press qui a fait beaucoup de bruit, où certains policiers participants des groupes Facebook parlent ouvertement de guerre raciale. Dans notre pays, et c’est aussi le cas pour beaucoup d’autres, la situation est telle que le pouvoir dit républicain s’appuie sur un corps de défense intégralement fasciste – prêt à remplacer l’administration défaillante pour mener les affaires, c’est-à-dire le capitalisme. Mais comme disait déjà Orwell en 1937, “fascism and bourgeois democracy are tweedledum and tweedledee“.
Violence Pandémique
Face à ce désastre, certains en sont encore à se demander comment réformer une telle institution, d’autres s’indignent en découvrant que “le confinement a révélé le caractère raciste des polices européennes” (Amnesty International). Evidemment l’état d’urgence sanitaire mis en place sur la moitié du globe est une des raisons pour lesquelles la police se trouve, de Portland à Paris, au cœur de la critique. Mais le déroulement historique est plutôt le suivant : d’abord, la pandémie en tant que telle, a démontré l’ampleur de la violence faite à la nature et aux populations par le capitalisme. Dans les pays touchés, tous ou presque ont été condamnés à contracter cette maladie par la marche forcée d’un monde dont personne n’a pu décider, maladie issue de la déforestation et diffusée par les voies de circulation commerciales. Les morts du coronavirus sont les martyrs du monde de la marchandise.
À cette violence du marché s’est ajouté la violence de l’Etat. Prouvant partout ou presque qu’il est impossible de “gouverner” – pénurie puis surproduction de masques et de gel, instabilité criminelle des prix, avalanche de décisions contradictoires et absurdes – l’Etat en France et ailleurs a cru bon de durcir en confinant à l’aveugle, suspendant immédiatement les restes de “libertés publiques”. Ce faisant il a condamné les mêmes parties de la population à une mort plus certaine, et ce sans même rentrer dans le détail assassin de la “gestion politique” de la santé contemporaine.
Cette catastrophe double devait aussi révéler l’étendue de son absurdité par les effets positifs du confinement de l’économie sur le milieu vivant, qui a temoigné partout de la générosité de la nature en termes de régénération, et du caractère stérile, artificiel et inutile de la plus grosse part de l’activité du capitalisme.
Par dessus ce tableau, c’est la violence habituelle de la police – qui discipline usuellement des pauvres, parfois en les tuant – qui s’est trouvée exagérée par les pleins pouvoirs de l’état d’exception. Les morts de la pandémie s’ajoutant à ceux de l’institution, le feu de la révolte est parti des Etats-Unis, puis dans le reste de ses colonies culturelles que sont les états d’europe. C’est ceci est pas autre chose qu’a révélé le confinement, mais quand le sage montre l’histoire, l’imbécile regarde le droit.
L’illusion de l’abolition
Face à un trait si constitutif de l’institution, prétendre que la violence est un problème de contrôle, le racisme un problème de management n’est pas juste de la bêtise, c’est de la collaboration. On peut virer le pire préfet de France, dissoudre l’IGPN, désarmer la police, rien de tout cela ne changera rien : réformer la police, c’est encore organiser son maintien.
La police n’est douce que là où le contrôle social est fort, c’est à dire là où chacun est le policier de sa propre vie. Là où il n’y a pas besoin de force armée pour policer la population, qui justifie de son existence par la rentabilité qu’elle donne à ses employeurs, et la docilité à l’Etat. Là où le travail, la peur, les managers, la dépression et les divertissements numériques font leur office.
D’autres militants qui se pensent plus radicaux en viennent à réclamer l’abolition de la police. Et ces efforts portent, la ville de Minneapolis a même, dans un élan de sens stratégique , concédé à dissoudre sa police municipale pour obtenir la paix sociale. Priver les émeutiers de leurs ennemis donne l’illusion de la victoire. Mais la dissolution de tout ou partie des forces de l’ordre n’est pas la dissolution de la police, si tout le reste est conservé. Cela revient plutôt à accélérer la dématérialisation du travail policier, le reste étant confié à de la sécurité privée, comme c’est déjà souvent le cas aux États-Unis, où Microsoft gère la police en tenant sa logistique. Les forces de l’ordre pourront être dissoutes dans l’Etat lorsque celui-ci aura transféré leur contrôle dans les infrastructures urbaines elles-mêmes, par l’établissement des “villes intelligentes” et des dispositifs de contrôle connectés de toutes sortes. Exactement comme en Chine, où le crédit social généralise la police de soi, et permet à des agents très loin du terrain d’avoir une action punitive efficace. “En attendant la cybernétique, les flics” disait un tract de Nanterre en 1968. Il semble que certains militants soient impatients malgré eux.
Demander une réforme d’abolition, c’est demander à la loi de supprimer ce qui est la base de sa force, son existence concrète, son asymétrie fondamentale. Abolir réellement la police, cela suppose d’abolir tout ce qui est policier, et donc s’extraire de la société qui la nécessite et la génère. Aucune loi ne peut l’obtenir, cela s’obtient de fait. Seule la commune, en répartissant les taches de l’administration à un corps de citoyens révocables faisant la médiation nécessaire, peut abolir toute la police et libérer la société humaine. Comme disait Courbet en 1871 :
“Paris est un vrai paradis! Point de police, point de sottise, point d’exaction d’aucune façon, point de dispute. Paris va tout seul comme sur des roulettes. Il faudrait pouvoir rester toujours comme cela. En un mot, c’est un vrai ravissement. Tous les corps d’État se sont établis en fédération et s’appartiennent.“
C’est ce qu’ont esquissé ceux qui ont tenu la CHAZ, qui, comme à chaque fois qu’un exemple d’auto-organisation prouve sa valeur, s’est vu démantelée il y a quelques semaines. Mais tout reste à refaire.
Texte anonyme
Source : Cerveaux non disponible
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