“La gendarmerie nationale est malade de ces officiers qui ne font aucun cas de l’humain, qui n’ont pour beaucoup d’entre eux que de l’indifférence à l’égard de ceux qui leur sont subordonnés”, par le Capitaine (ER) Hervé Moreau

Chers amis,

J’ai reçu un grand nombre de messages privés émanant de gendarmes me remerciant des quelques mots que j’avais écrit en la mémoire de notre petite sœur d’arme tragiquement disparue et je vous remercie à mon tour pour les nombreux messages de condoléances et de sollicitude adressés à sa famille.

Je me dois également de vous dire que j’ai également reçu des messages d’officiers très « supérieurs » niant la responsabilité de la gendarmerie nationale dans le suicide de cette jeune femme. Leurs arguments faisant référence à de probables problèmes de santé ou sentimentaux sont toujours les mêmes et ils m’indignent au plus haut point, me faisant les mépriser encore davantage s’il était possible.

J’affirme et je maintiens que nombre des drames dont il est question est imputable à un encadrement qui n’est pas à la hauteur de ses responsabilités. La gendarmerie nationale est effectivement malade de ces officiers qui ne font aucun cas de l’humain, qui n’ont pour beaucoup d’entre eux que de l’indifférence à l’égard de ceux qui leur sont subordonnés. Ils ignorent tout de ce qui constitue l’essence même du commandement. Ils ignorent tout du sens de l’humain, de l’exemplarité et du courage qui font les vrais chefs. Ceux-là sont incapables de soutenir et d’encourager. Ils ignorent ce que signifie tirer vers le haut, rayonner par l’exemple, encourager d’un regard, d’un sourire bienveillant ou d’un simple mot.

Le rapport de la Cour des Comptes publié en avril et relatif aux démissions prévalant au sein de la gendarmerie nationale est accablant. En 2021, il s’est agi de 15078 départs dont le mien. Les chiffres seront sans doute pire encore pour 2022 lorsqu’ils seront rendus publics. Les causes sont multiples et je les ai déjà explicitées : laxisme de la justice et certitude de travailler pour rien, concurrence des polices municipales, traitements financiers insuffisants au regard de la difficulté et de la dangerosité du métier, impopularité croissante au regard d’exactions imputables à quelques-uns mais subies par tous. Impopularité encore au regard des accusations de soumission à un pouvoir politique jugé toujours plus illégitime, en rupture avec le devoir premier de protection de la population.

Et puis surtout, et cela n’est par contre jamais évoqué, il est question de ce corps des officiers dont une part est en dessous de tout. Je les ai vus, croisés, côtoyés ces galonnés et étoilés pendant près de 17 années, depuis l’Ecole des Officiers de la Gendarmerie Nationale. Je n’ai vu très souvent que carriérisme, hypocrisie et suffisance. La réalité est exactement celle-ci ne leur en déplaise. Je suis fier de n’avoir jamais été promu, de n’avoir jamais cédé, d’avoir toujours dit la vérité et cela même si j’avais beaucoup à perdre. Ceux-là n’aiment pas la vérité, ils préfèrent le déni de réalité, le fameux « pas de vague » qui fait tant de mal et qui perdure depuis trop longtemps.

Les gendarmes démissionnent parce qu’il n’en peuvent plus d’être aux ordres de tels chefs, parce qu’ils ne se sont jamais reconnus en eux et je ne peux que leur donner raison ! Un gendarme heureux de servir, un gendarme qui se sent bien, qui est considéré, qui est accompagné et qui a le droit à l’erreur, est un gendarme qui demeurera en service et cela en dépit des difficultés du métier, de la complexité de la procédure pénale et de la réalité de la Justice.

J’ignore si les immenses mouvements de grève ayant prévalu au sein de la gendarmerie en 1989 et en 2001 pourraient connaître une nouvelle résurgence. Le silence assourdissant qui accompagne la masse des démissions m’apparait aujourd’hui bien plus préoccupant. Les gendarmes ne grognent plus, ne s’expriment plus, ils partent ! Ils ne veulent plus de cette gendarmerie, des plus anciens aux plus jeunes.

Ce que je sais, par contre, c’est que rien n’est fait pour réformer le corps des officiers et là se trouve réellement le fond du problème. Ce corps est gangrené par le copinage, la servilité, le carriérisme et le « pas de vague ».

Si l’on veut que les choses puissent changer, il importe que les officiers ayant une culture éprouvée du terrain, puissent se retrouver au sommet de la pyramide en lieu et place des bureaucrates et autres officiers d’état-major, comme actuellement. Il importe que les notations puissent refléter véritablement les mérites et les manquements, que l’on puisse identifier le courage ou la lâcheté, en lieu et place de la démagogie qui prévaut aujourd’hui. Il importe qu’on puisse apprécier et quantifier la présence sur le terrain et non dans un bureau ! On pourrait même imaginer que les officiers puissent être évalués par leurs subordonnés et cela de manière anonyme. En substance, on doit rendre sa pleine mesure à l’opérationnel et au factuel au-delà de la subjectivité et de la complaisance qui sont si dommageables. Et surtout ceux qui font preuve de courage intellectuel, qui demeurent force de proposition, qui disent les choses de manière factuelle, quitte à déplaire, pour le bien du service, doivent être encouragés et non écartés.

Cela ne constitue pas une vue de l’esprit ou une utopie, cela est une absolue nécessité. Dans le cas contraire, la gendarmerie est condamnée à moyenne échéance à disparaitre, faute de candidats désireux de la rejoindre ou d’y demeurer.

Tant que rien ne sera fait, rien ne changera. Des hommes et des femmes continueront de démissionner, des hommes et des femmes continueront de se donner la mort.

Sans gendarmerie et sans police, il n’est plus d’Etat de droit et il n’est plus de justice. Sans gendarmerie et sans police, c’est le retour à la barbarie, à la loi du plus fort et donc à l’anarchie et au chaos.

La gendarmerie mérite plus et mieux, nous méritons plus, nous méritons mieux.

Force et Honneur

Capitaine (ER) Hervé Moreau

Source : Police & Réalités

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