La France libre et si nécessaire combattante, toujours.
Le 18 juin 1941, pour le premier anniversaire de son appel de l’année précédente Charles de Gaulle prononçait un discours devant le Comité français d’Egypte qui commençait par ces mots :
« Le 17 juin 1940 disparaissait à Bordeaux le dernier Gouvernement régulier de la France. L’équipe mixte du défaitisme et de la trahison s’emparait du pouvoir dans un pronunciamento de panique. Une clique de politiciens tarés, d’affairistes sans honneur, de fonctionnaires arrivistes et de mauvais généraux se ruait à l’usurpation en même temps qu’à la servitude. Un vieillard de quatre-vingt-quatre ans, triste enveloppe d’une gloire passée, était hissé sur le pavois de la défaite pour endosser la capitulation et tromper le peuple stupéfait.
Le lendemain naissait la France Libre. »
Ou comment écrire l’Histoire en cinq phrases irréfutables.
Le général datait ainsi au 18 juin 1940 la reprise par la France libre de la souveraineté française.
Le Conseil d’État vient de la reculer de deux jours, au 16 du même mois de la même année, par une décision récente que Philippe Prigent nous commente en cet anniversaire de la victoire, à la table de laquelle le général de Gaulle nous avait permis de nous asseoir.
Le Conseil d’État ne fut pas bien brillant pendant l’occupation à l’image de l’ensemble du corps des magistrats judiciaires prêtant serment à l’usurpateur à une exception près… Aujourd’hui, malheureusement les dérives macroniennes bénéficient trop souvent des complaisances de certains de ceux qui leur ont succédé. Il ne faudrait pas trop facilement oublier au nom de qui leurs décisions sont rendues.
Régis de Castelnau
8 mai 1945 : en droit, seule la France libre était l’Etat à compter du 16 juin 1940
Par Philippe Prigent, avocat au Barreau de Paris
Le 75ème anniversaire de la victoire sur l’Allemagne nazie est l’occasion de revenir sur la question juridique souvent débattue : qui était l’Etat entre la France libre et le régime de Vichy ?
Evacuons immédiatement la thèse du « en même temps » : il ne pouvait y avoir deux états opposés l’un à l’autre et gouvernant la même nation ; l’Etat était soit à Londres soit à Vichy, il n’y pas d’entre deux. On ne saurait affirmer que des politiques et des lois contradictoires régissaient en même temps la France.
Par un arrêt d’assemblée (sa formation la plus solennelle)[1] , le Conseil d’Etat a récemment répondu à la question de la façon la plus claire à propos du statut juridique des archives du général de Gaulle issues de son activité à Londres :
« la France libre et la France combattante et, par la suite, le Comité français de la libération nationale et le Gouvernement provisoire de la République française, ont été, à compter du 16 juin 1940, dépositaires de la souveraineté nationale et ont assuré la continuité de la République. Il s’ensuit que les documents qui émanent de ces institutions et de leurs dirigeants et représentants procèdent de l’activité de l’Etat et constituent, dès lors, des archives publiques.
Est sans incidence à cet égard la circonstance que les faits et agissements de l’autorité de fait se disant « gouvernement de l’Etat français » et de l’administration française qui en dépendait engagent la responsabilité de la puissance publique, le débiteur de cette responsabilité ne pouvant être que l’Etat. N’y fait pas davantage obstacle la circonstance que doivent être regardés comme des archives publiques les documents procédant de l’activité politique et administrative de cette autorité de fait ».
La date du 16 juin 1940 n’est pas due au hasard : c’est le jour du renversement du président du conseil Paul Reynaud (favorable à la poursuite de la guerre) par MM. Pétain et Laval (partisans de la soumission). A compter de ce jour, seule la France libre est l’Etat parce qu’elle seule préserve la souveraineté populaire. Le régime de Vichy n’est qu’une autorité de fait, sans valeur juridique peu importe sa prétention à être l’Etat français et le degré d’obéissance de l’administration.
L’Etat est l’entité libre et combattante, pas le parti de l’administration
L’arrêt du Conseil d’Etat constate, d’une part, le lien indissoluble entre France libre, France combattante et souveraineté populaire, d’autre part, la distinction entre l’Etat et l’administration.
En temps normal, la question ne se pose pas car l’Etat, son administration et son armée combattante ne s’affrontent pas mais lorsque la France libre et combattante s’oppose à la masse de l’administration, de quel côté est l’Etat ?
La haute juridiction répond sans hésitation à cette question : l’Etat est le dépositaire de la souveraineté nationale, peu importe l’opinion de l’administration. Le comportement même d’une grande partie des fonctionnaires est indifférent à la réalité juridique car l’administration doit obéir à l’Etat et non l’inverse.
La dissociation entre la France libre et combattante et l’administration n’est pas sans précédent en droit public.
Lors des Cent jours, l’Empereur avait repris le gouvernement de notre pays et presque toutes les puissances européennes lui avaient alors déclaré la guerre personnellement, en soutenant qu’elles combattaient Napoléon Bonaparte et non la France puisque la France était Louis XVIII. L’artifice juridique n’avait convaincu personne : c’est bien la France libre et combattante qui a affronté la 7ème coalition, quelle que soit la légitimité de papier du frère de Louis XVI. Personne ne considère sérieusement Waterloo comme une victoire de la France (des Bourbons) sur un groupe de rebelles.
La même question s’était posée lors des affrontements entre les armées d’Henri IV juste après le décès de son cousin Henri III et les armées de la Ligue comme des Habsbourg. Certes, le Parlement de Paris, une bonne part de l’administration et les Habsbourg soutenaient qu’ils affrontaient seulement l’armée personnelle d’Henri de Bourbon-Navarre mais là encore personne n’était dupe : Henri IV était roi de France, aussi, parce qu’il défendait la souveraineté de son pays face aux puissances étrangères.
Le cas de Jeanne d’Arc n’est pas différent. La grande majorité de l’administration obéissait au roi d’Angleterre qui se disait roi de France et au duc de Bourgogne, qui décrivaient le « roi de Bourges » comme un simple seigneur féodal rebelle et turbulent. Là encore, personne ne considère sérieusement Jeanne d’Arc comme une rebelle féodale qui combattait la France.
Mais peut-on transposer en droit moderne les règles de droit public qui s’imposaient même aux rois à l’époque où la France était une monarchie ?
La réponse est dans la question : l’avènement de la République n’a certainement pas fait disparaître les exigences constitutionnelles que même les monarques de droit divin devaient respecter. La Révolution française n’a pas entendu réduire ou supprimer la souveraineté nationale – bien au contraire.
Mais qu’est-ce que Vichy ?
La haute juridiction qualifie ce régime d’« autorité de fait », notion bien connue en droit administratif.
Dans des circonstances exceptionnelles, il arrive que des particuliers exercent les pouvoirs publics en lieu et place de l’autorité légalement investie ou que des fonctionnaires dépassent leurs compétences normales pour gouverner un territoire. Ce fut le cas lors de l’occupation d’une partie du territoire national entre août 1914 et octobre 1918 ou lors de l’invasion en mai-juin 1940. Des particuliers ou des maires ont alors soit pris en charge l’administration d’un territoire en dehors de tout cadre légal et leurs actes ont été considérés comme valides dans une large mesure (CE Ass. Lecocq ; CE Section Marion).
Personne n’imagine que l’Etat français avait disparu entre 1914 et 1918 ou entre la mi-mai et la mi-juin 1940. Pour autant, les actes accomplis par ces autorités de fait ont été jugés valides afin de ne pas perturber des situations acquises parfois de longue date. Le droit tolère l’état de fait parce que le remettre en cause entraînerait de plus grands désordres que la tolérance. Cette tolérance ne conduit évidemment pas à reconnaître que les maires ou les particuliers des communes françaises limitrophes de la Belgique sont devenus le gouvernement légal et légitime de la France dans ces périodes troublées.
La reconnaissance qu’une autorité de fait a exercé le pouvoir en pratique n’exonère toutefois pas l’Etat de sa responsabilité pour faute à l’égard de ses administrés, le cas échéant. Un acte intrinsèquement illégal adopté par un fonctionnaire de fait reste intrinsèquement illégal. La circonstance que l’Etat ne contrôle plus son administration et que cette dernière adopte des comportements illégaux ne saurait priver les citoyens du droit fondamental d’être indemnisé des illégalités commises. Il serait absurde que l’illégalité soit indemnisable en règle générale et cesse d’être indemnisée lorsqu’elle est gravissime parce qu’en réalité l’administration désobéissait au gouvernement.
C’est ainsi qu’il faut comprendre l’arrêt Papon de 2002 et l’articuler avec l’arrêt Archives de la France libre commenté ici. Comme l’Etat était la France libre et combattante, l’administration française à laquelle appartenait M. Papon devait en droit obéir à au gouvernement de Londres puis d’Alger. C’est pourquoi la République doit indemniser les victimes des actes intrinsèquement illégaux de cette administration et ne saurait échapper à sa responsabilité au motif que ses subordonnés avaient cessé de lui obéir.
Sigmaringen
La solution adoptée du Conseil d’Etat est la seule conforme à l’évidence du 8 mai 1945.
Si vraiment Vichy était l’Etat depuis le 16 juin 1940, il continuait à être l’Etat ensuite, même après avoir perdu une partie du territoire national. Puisque Vichy était l’Etat français en droit, il restait la France tant qu’il existait. Comme Vichy s’opposait à l’offensive de la division Leclerc sur Paris en août 1944, ce qu’on appelle la Libération de Paris était une défaite française. Comme le personnel dirigeant de Vichy se trouvait à Sigmaringen sous tutelle allemande lors de la capitulation et souhaitait la victoire de l’Allemagne (dixit son chef Pierre Laval), le 8 mai 1945 était une défaite française.
Cette thèse est aussi peu sérieuse que qualifier Waterloo de victoire de la France sur une bande de rebelles.
L’arrêt Archives de la France libre confirme le sentiment naturel : en droit, la France libre et combattante n’a jamais disparu, elle fête aujourd’hui sa victoire.
[1] https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriAdmin.do?oldAction=rechJuriAdmin&idTexte=CETATEXT000036800386&fastReqId=2067277566&fastPos=1
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