La Cour des comptes ouvre la voie à une estimation haute de la fraude fiscale
« Dresser un état des lieux de la fraude fiscale et de son montant en proposant un chiffrage ». La lettre de mission du Premier ministre à la Cour des comptes était claire. La réponse de la Cour l’est tout autant : le chiffrage est… impossible ! En tout cas, dans le temps imparti : six mois. S’il ne comporte qu’une seule estimation, celle de la fraude à la TVA (15 milliards d’euros par an), le rapport que Didier Migaud remet ce lundi 2 décembre au chef du gouvernement n’en est pas moins riche d’enseignements sur la fraude aux prélèvements obligatoires.
Le Premier président de la Cour des comptes est en effet allé un peu au-delà du périmètre de la seule fraude fiscale proprement dite, pour étendre son analyse à la fraude aux prélèvements sociaux et son corollaire, souvent éludé, celle aux prestations sociales. Surtout, le rapport pose une approche large du phénomène. Pour la Cour des comptes, la fraude « ne saurait être réduite aux seuls comportements authentiquement frauduleux », autrement dit les « irrégularités volontaires ». Pour les magistrats de la rue Cambon, il faut également prendre en considération les « irrégularités involontaires », comme les fameux abus de droit. Cette définition large est sans doute le principal progrès que constitue ce rapport : « On désignera comme “irrégularités fiscales” l’ensemble des comportements, volontaires ou non, de bonne ou de mauvaise foi, qui aboutissent à diminuer le montant d’un prélèvement obligatoire du fait du non-respect du droit fiscal ou social ; la fraude est partie intégrante de cet ensemble qui comprend aussi les irrégularités commises du fait d’erreurs matérielles ou d’erreurs d’interprétation des règles applicables par le contribuable. »
MANQUENT ENCORE DES RÉSULTATS…
Un postulat dont se félicite Vincent Drezet, du syndicat Solidaire finances : « Ce rapport s’attache à définir le plus précisément possible les différentes formes d’évitement de l’impôt. Considérant à juste titre que la notion de non-respect des obligations fiscales et sociales est le périmètre pertinent pour évaluer des pertes de recettes (fiscales et sociales). » Autre motif de satisfaction pour Solidaire finances (membre du comité d’expert du rapport de la Cour des comptes) qui travaille depuis longtemps sur l’estimation de la seule fraude fiscale : le chiffrage de 80 milliards à 100 milliards d’euros par an réalisé par le syndicat est ainsi loin d’être remis en cause par ce rapport.
Après avoir fixé une définition extensive de la fraude, incluant toutes les « irrégularités fiscales », les magistrats concluent par une supplique pour que soit prolongés leurs travaux, notamment au travers de l’établissement d’un groupe de travail chargé de fournir une estimation régulière. Reste tout de même un souci majeur : malgré la place accrue faite au débat sur la fraude depuis la crise de 2008, malgré les différentes législations – notamment celles prises pour lutter contre les paradis fiscaux ou la limitation du verrou de Bercy -, les résultats en espèces sonnantes et trébuchantes ne sont pas au rendez-vous, comme Marianne l’a d’ailleurs récemment souligné.
« Les montants notifiés et recouvrés au titre du contrôle fiscal s’inscrivent dans une évolution à la baisse depuis plusieurs années, passant respectivement de 18 milliards d’euros et 10,1 milliards d’euros en 2013 à 16,2 milliards d’euros et 8,7 milliards d’euros en 2018. » Et ce n’est pas dû à la baisse de la fraude dont toutes les études académiques, comme celles de l’économiste français, professeur à Berkeley, Gabriel Zucman, montrent au contraire la montée en puissance.
Source : Marianne
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