LA BIBLE PRÉVOIT POUR LA TERRE PROMISE UNE SOLUTION A DEUX ÉTATS
Prétendre tirer la politique de l’Ecriture Sainte présente bien des risques comme on le voit aujourd’hui au Proche-Orient. D’autant qu’il n’est pas sûr que ceux qui le font connaissent vraiment la dite Ecriture.
C’est dans le milieu des extrémistes israéliens qu’on se réfère le plus à la Bible pour justifier la politique actuelle. Les dirigeants actuels d’Israël refusent, pour la Terre sainte, une solution à deux Etats en invoquant la Bible selon laquelle Yahvé aurait donné au peuple hébreu non seulement tout le territoire occupé par les Israéliens depuis 1967 , de la Méditerranée au Jourdain, mais même pour certains, le grand Israël (Eretz Israël) de la Méditerranée à l‘Euphrate.
Ils invoquent pour cela la promesse faite à Moïse et Josué au début du Livre de Josué : « Tout lieu que foulera la plante de vos pieds, je vous le donne comme je l’ai déclaré à Moïse. Depuis le désert et le Liban jusqu’au grand fleuve, l’Euphrate et jusqu’à la grande mer, vers le soleil couchant, tel sera votre territoire. Personne, tout le temps de ta vie ne pourra te résister » (Josué 1, 3- 5).
Le Grand Israël est la principale ambition , ouverte ou cachée, de ceux qui, au sein du gouvernement Netanyahou, sont aujourd’hui aux commandes. Comment comprendre sans cela leur volonté d’installer en Cisjordanie toujours plus de colonies dépourvues d’ intérêt économique ? Ou de vouloir évacuer de la bande de Gaza ses habitants actuels. Cette logique avait déjà inspiré l’assassinat du grand Itzhak Rabin (1995), fatal au processus de paix amorcé par les accords d’Oslo (1995) , dont l’interruption a conduit à la guerre en cours.
En rectifiant cette lecture dela Bible, notre but n’est pas tant de choisir un camp contre un autre que de rendre sa dignité au fait religieux, volontiers tenu aujourd’hui pour l’origine de tous les maux, ce qui ne fait que conforter le courant libertaire occidental qui se sert des fanatismes comme repoussoir.
Les Juges contre Josué
La citation que nous venons de faire, bien connue, se situe au début du Livre de Josué. On ignore généralement qu’elle est contredite par une autre passage, situé , lui, au débit du livre suivant, le Livre des Juges : « La colère de Dieu s’enflamma alors contre Israël et il dit « Puisque ce peuple a transgressé l’alliance que j’avais prescrite à ses pères et qu’il n’a pas écouté ma voix, désormais je ne chasserai plus devant lui aucune des nations que Josué a laissé subsister quand il est mort, afin de mettre par elles Israël à l’épreuve, pour voir s’il suivra ou non les chemins de Yahvé comme les ont suivis ses pères. C’est pourquoi Yahvé a laissé subsister ces nations, il ne s’est point hâté de les chasser et ne les a pas livrées aux mains de Josué » (Juges, 2 20-23).
En d’autres termes, selon la Bible elle-même, le peuple juif devra toujours cohabiter avec d’autres peuples parce qu’il n’est pas fidèle à la Loi de Moïse, c’est dire, pour l’essentiel, à la morale tout court.
Qu’en est-il dans la réalité ?
De fait la prophétie du Livre des Juges n’a jamais été démentie
Jérusalem partagée pendant 200 ans
C’est ce qui s’est passé à l’arrivée des Hébreux dans la terre promise. Après la prise de Jéricho ( vers 1200), ils tentèrent de s’emparer de Jérusalem. Il n’en prirent qu’une partie. Les conquérants s’installèrent dans la basse ville mais ceux qui les avaient précédés , les Jébuséens, une tribu cananéenne, continuèrent de contrôler le mont Sion, soit la haute ville jusqu’ à sa prise par le roi David vers 1000 avant Jésus Christ . La ville de Jérusalem fut donc partagée entre deux peuples pendant au moins deux cents ans , à la fin du IIe millénaire avant notre ère.
Il s’en faut de beaucoup que David soit pour autant arrivé à contrôler ce qui est l’actuelle Terre sainte. Des peuples divers continuèrent à entourer le nouveau royaume hébreu : les Philistins de race étrangère et une série de peuples sémites cousins des Hébreux : les Moabites, les Edomites, les Ammonites , les Amalécites, les Araméens .
Selon la Bible, le roi Salomon domina, seul de l’histoire d’Israël1 , ces différents peuples , sans aller toutefois jusqu’à l’Euphrate. Mais il ne les anéantit pas et se contenta, à ce qu’on croit, d’un lien de vassalité qui ne lui survécut pas.
Ni le royaume de Juda , ni le royaume d’Israël qui se partagèrent ensuite l’héritage de Salomon ne contrôlèrent, si peu que ce soit, l’espace assigné au Grand Israël. Cela jusqu’à leur chute en 721 avant JC pour le royaume d’Israël, en 586 avant JC pour le royaume de Juda . A partir de la prise de Jérusalem par le roi de Babylone jusqu’à 1948 , il n’y eut plus d’Etat juif , hors la parenthèse des Hasmonéens ou Machabées dont le petit royaume ne subsista de 164 à 40 avant JC que dans l’ombre de puissants voisins dont, à la fin, Rome. Hérode, qui n’était pas de race juive, y mit fin.
La prophétie du livre des Juges selon laquelle le peuple juif n’occuperait jamais seul la Terre sainte, a fortiori le grand Israël, n’a donc jamais été démentie.
La cohabitation des Juifs et des non Juifs sur la terre d’Israël s’inscrit pleinement dans la continuité biblique.
Contre les Amalécites
Ces considérations relativisent les imprécations exterminatrices du livre du Deutéronome auxquelles se réfère souvent Netanyahou . Il s’agit des épisodes où le peuple hébreu, à la demande de Yahvé lui-même, se montre impitoyable contre ceux qui, après la sortie d’Egypte, lui barrent l’accès à la Terre promise :
Les rois qui ne laissent pas passer les Hébreux sont battus. Ainsi Sihon, roi des Amorites et Og, roi de Bashan, évoqués dans le psaume 36 .
Mais Sihon, roi de Hesbon, ne voulut point nous laisser passer chez lui; car l’Éternel, ton Dieu, rendit son esprit inflexible et endurcit son cœur, afin de le livrer entre tes mains, comme tu le vois aujourd’hui. L’Éternel me dit: Vois, je te livre dès maintenant Sihon et son pays. (Deutéronome 2, 32 )
Et après que l’Éternel, ton Dieu, l’aura livrée entre tes mains, tu en feras passer tous les mâles au fil de l’épée. Mais tu prendras pour toi les femmes, les enfants, le bétail, tout ce qui sera dans la ville, tout son butin, et tu mangeras les dépouilles de tes ennemis que l’Éternel, ton Dieu, t’aura livrés. ( Deutéronome 20,13-14)
Parmi les peuples ennemis, les Amalécites furent particulièrement visés. Ce sont des Edomites, cousins des Hébreux . Ils représentent l’ennemi archétypal des Juifs auxquels ils avaient , les premiers , tenté de faire obstacle après la sortie d’Egypte.
« Souviens-toi de ce que te fit Amalek pendant le voyage lors de votre sortie d’Égypte » « Quand donc l’éternel ton Dieu, t’aura délivré de tous les ennemis qui t’entourent, et qu’il t’aura assuré la sécurité dans le pays qu’il te donne en héritage pour que tu en prennes possession, tu effaceras la mémoire d’Amalek, de dessous le ciel. Ne l’oublie pas » (Deutéronome 27, 17-19).
Cromwell lui-même invoquait ces passages quand il faisait campagne contre les « Cavaliers », partisans du roi d’Angleterre, qu’il identifiait aux Amalécites.
Il faut cependant relativiser ces anathèmes. Ils sont antérieurs à la prise de Jéricho et à l’entrée des Hébreux dans Jérusalem2. Les Amalécites ne devaient cependant être battus que 200 ans plus tard , au temps du roi Saül à qui il est aussi ordonné d’être impitoyable :
Dieu donne à Saül et aux Israélites l’ordre suivant : « Voici ce que dit l’Éternel, le maître de l’univers : « Je me souviens de ce que les Amalécites ont fait à Israël lorsqu’ils lui ont barré le chemin à sa sortie d’Égypte. Va maintenant frapper les Amalécites. Vouez à la destruction tout ce qui leur appartient. Tu ne les épargneras pas et tu feras mourir hommes et femmes, enfants et bébés, bœufs et brebis, chameaux et ânes.’ » (I Samuel 15 2-3 ). Il s’en trouve pourtant encore 600 ans plus tard, au temps des Perses.
Il n’y avait d’ailleurs pas , à la sortie d’Egypte, un projet de conquête de tout le pays :
Mais tu n’approchas point du pays des enfants d’Ammon, de tous les bords du torrent de Jabbok, des villes de la montagne, de tous les lieux que l’Éternel, notre Dieu, t’avait défendu d’attaquer.(Deutéronome 2, 37 ) .
Notons aussi que les litiges ne tiennent pas à la possession d’une terre mais à un droit de passage.
La guerre particulièrement féroce que mènent les Hébreux contre leurs ennemis s’inscrit dans le cycle des guerres incessantes que se faisaient , au cours de la protohistoire les tribus gauloises ou sémitiques, le cités grecques, et d’autres , avant que les grands Empires n‘ouvrent « par le fer et par le feu » des espaces de paix. Sans rechercher la violence, Yahvé fait tout pour que son peuple, malgré un environnement hostile ne s’éteigne pas. Il lui conseille de ce fait, par prudence tactique , de ne pas faire de quartier. Ces guerres , localisées dans de petits cantons , ne visent pas la conquête de tout l’Eretz Israël. Elles peuvent néanmoins donner aujourd’hui de mauvaises idées à ceux qui ne tiennent pas compte du fait que depuis le XIIIe siècle avant notre ère, les mœurs ont évolué, précisément grâce au judaïsme et au christianisme.
« Ton peuple ne sera composé que de justes » ?
Netanyahou invoque aussi la fin du livre d’Isaïe qui exalte le triomphe final d’Israël autour duquel se rassembleront un jour toutes les nations de la terre : « Car la nation et le royaume qui ne te serviront pas périront et ces nations seront exterminées » (Isaïe , 61 12) (…) « Alors que tu étais abandonnée, haïe et délaissée (dit Yahvé), je ferai de toi un motif d’éternelle fierté , un motif de joie d’âge en âge » (Isaïe 61,15) .
Mais attention : cette vision se rapporte à la fin des temps et elle a un corollaire : « Ton peuple ne sera composé que de justes qui possèderont pour toujours le pays » (Isaïe 61, 21) . Que de justes ! Et n’oublions pas que ce texte suit de peu, dans le livre d’Isaïe, le récit du Serviteur souffrant humilié, méprisé, rendu méconnaissable par les tortures , généralement tenu pour la figure du Messie à venir.
« Œil pour œil, dent pour dent »
Il n’est jusqu’à la célèbre maxime « Œil pour œil, dent pour dent » (Exode, 21, 23-24, Lévitique 24, 17-22, Deutéronome 19, 21) que l’on invoque pour justifier les violences du Proche-Orient
Or, si elle n’est pas évangélique, cette maxime biblique, que d’autres peuples anciens connaissaient aussi, prise à la lettre, représentait déjà un progrès de la civilisation. Ne pas infliger à l’ennemi un préjudice plus grand que celui qu’il vous a causé est un signal de modération : nous nous battons mais un dialogue reste possible 3 !
Or il faut bien le dire : il y a peu de cas dans les conflits récents de cette région où ce principe, quoique connu de tous, ait été suivi. L’usage est plutôt « deux yeux pour un œil », « trente-deux dents pour une dent » ou pire. A Gaza, le nombre de victimes des bombardements et de la faim a déjà atteint trente fois celui de l’attaque initiale du Hamas.
Il ne sert donc clair que le Grand Israël n’est pas une promesse biblique et que la domination finale des enfants d’Israël ne vaut que s’ils ont atteint la perfection. Nous n’en sommes pas là.
Roland HUREAUX
- Certains savants, Juifs laïques, pensent que la vie de Salomon, à la différence de celle de David, revêt une tonalité légendaire qui les fait douter de son caractère historique . Elle évoquerait une sorte de Grand Israël imaginaire. Finkerlstein Israël et Silberman, Neil Asher‚ Les rois sacrés de la Bible, Folio (coll.)‚ Gallimard, 2007.
- A supposer qu’on puisse se fier à la chronologie de livres bibliques.
- Nous savons que l’Evangile va plus loin : Quelqu’un de donne -t-il un soufflet sur la joue droite, tend lui encore l’autre (Mt 3, 39), reprise des Lamentations de Jérémie : Qu’il tende la joue à qui le frappe (Lm 3,30), conseils qui ne valent bien sûr que pour quelqu’un qui n’a personne sous sa protection.
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