Je pense, donc je ne suis pas

Le penseur de Rodin Pixabay

Auteur(s): Alain Leduc, pour FranceSoir A+A

TRIBUNE – La barbarie à nos portes

On le savait pourtant. On l’avait appris à l’école, parfois dans nos familles ; on l’avait lu et relu dans des dizaines de livres d’histoire ou de de philosophie, des centaines de romans, entendu sur autant de scènes de théâtres ; on savait qu’aucun pays, qu’aucune civilisation n’était éternellement à l’abri du retour de la barbarie, qu’il suffisait pour cela d’une simple accumulation de démissions, de renoncements quotidiens, d’un relâchement progressif de la vigilance et de la mémoire (1). Nous le savions, mais nous n’avons pas su – ou voulu – l’empêcher. Et aujourd’hui, cette barbarie est à nos portes. Après être parvenue, en moins d’un an, à transformer nos sociétés démocratiques en masses obéissantes, elle s’apprête à franchir un nouveau pas, celui de la discrimination, de la dénonciation, de la vindicte populaire. Encadrés de leurs pseudo experts et des médias inféodés, nos gouvernants commencent, en ce début d’été, à faire entendre cette terrifiante petite musique qui, si rien n’est fait pour s’y opposer, dressera bientôt une majorité de Français contre les « non-vaccinés », ces mauvais citoyens qui refusent de participer à l’effort national. La ficelle est pourtant grosse : depuis un demi-siècle, les gouvernements successifs de notre pays n’ont eu de cesse d’y recourir pour faire adopter des lois qui, systématiquement, aggravent l’injustice et détériorent nos conditions de vie, avec une violence toute particulière depuis que M. Macron est au pouvoir. Mais le terrain a été bien préparé et, pas plus que les mesures infantilisantes et liberticides des 12 derniers mois, cette nouvelle offensive totalitaire ne risque de provoquer le sursaut massif et salutaire qui permettrait d’enrayer sa progression. Car les gens continuent à avoir peur. Du virus certes, (comment pourrait-il en être autrement puisque le feu roulant de la désinformation n’a visiblement pas pris de vacances), mais plus encore sans doute d’un retour aux confinements et autres couvre-feux…

Voir aussi : Le non-vacciné, cette espèce à abattreclosevolume_off Il suffirait pourtant d’un peu de courage et d’un peu de bon sens pour que les citoyens de ce pays commencent à ouvrir les yeux sur ce qui est en train de se passer. Courage et bon sens, « sapere aude », comme le dit si bien la formule kantienne des Lumières. Comment ces vertus cardinales de toute démocratie qui se respecte ont-elles pu, en si peu de temps, se vider de leur substance au point de devenir synonymes d’obscurantisme et de « complotisme ». Comment en est-on arrivés là ?   Les ravages de la pensée unique et du politiquement correct Montesquieu et son déterminisme historique nous ont appris à nous méfier des grands événements et à les considérer comme des phénomènes moins déclencheurs que révélateurs. Si la crise pseudo-sanitaire du covid a pu, en moins d’un an, affaiblir si radicalement nos capacités de réflexion et inhiber notre pratique du doute méthodologique, c’est que quelque chose en nous y était déjà préparé.
  Celui qui prend le temps d’observer l’évolution de notre société (et de la plupart des sociétés occidentales) durant ces quarante dernières années ne peut qu’être saisi par la tendance lourde à l’uniformisation des comportements et des mentalités qui la caractérise. Elle est la conséquence directe de la fameuse « pensée unique » (admirons, au passage, l’oxymore) qui, en dépit des oppositions et des résistances, est parvenue à façonner une « opinion publique majoritaire » très différente de ce qu’elle était encore au début des années 80. Son mode d’action n’est pas la propagande ouverte, l’injonction à penser ceci ou cela, mais bien plutôt le conditionnement progressif, la diffusion d’un bruit de fond quotidien destiné à nous persuader en douceur des vertus de l’idéologie dominante, à savoir : que c’est désormais l’économie, le marché, la concurrence qui doivent régler l’ensemble des rapports humains ; que seul ce système peut garantir la paix et le progrès de l’humanité et que le rôle de la politique devra désormais se borner à veiller à son bon fonctionnement. Dans cette vision mondialiste, gestionnaire et unifiante, de nombreuses valeurs traditionnelles sont systématiquement décriées comme autant d’obstacles à la marche vers le progrès : la nation bien sûr, toujours présentée comme un générateur potentiel de conflits, mais aussi la religion (forcément rétrograde), la famille (forcément aliénante) ou encore la culture classique (forcément élitiste). A toutes ces valeurs du passé, il faut substituer la fluidité du marché et des identités ainsi que la relativité des goûts et des opinions ; à la fidélité et autres phénomènes d’enracinement il faut substituer le goût de l’innovation perpétuelle et la capacité d’adaptation ; à la recherche de profondeur la flexibilité et la vitesse…
  Tirant un maximum de profit de l’euphorie consumériste et du déploiement du monde virtuel, la puissance de propagation de cette idéologie économico-mondialiste n’aurait toutefois pas été aussi grande sans l’intervention subliminale de son corollaire : le politiquement correct. Ce terme, on peut le définir comme l’intériorisation plus ou moins consciente de l’idéologie précédemment évoquée et le renoncement à la critiquer ouvertement. Le politiquement correct, c’est un appel à l’autocensure déguisé en exigence de courtoisie. On le voit à l’œuvre depuis 40 ans à tous les niveaux dans toutes les instances où se construit l’opinion : dans la presse et les institutions politiques en premier lieu, mais aussi à l’école, à l’université, dans les associations et les partis, soit partout où les gens sont censés se rencontrer, discuter et émettre des idées. Pour celui qui est resté attaché à l’une ou l’autre de ces valeurs traditionnelles jugées non conformes (famille, religion, terroir, culture), le politiquement correct fonctionne comme un dispositif de filtrage : il n’osera pas défendre sa position avec autant de conviction qu’il le voudrait, de peur de choquer son entourage ou son auditoire et se contentera d’émettre des réserves qui n’empêcheront pas la réalisation du consensus final. Le politiquement correct, autrement dit, incite les gens à se plier par avance à l’opinion majoritaire, qu’elle soit réelle ou seulement supposée telle. Parvenu à son suprême degré d’efficacité, il finit par inhiber notre capacité à appeler les choses par leur nom. Le réel lui-même en arrive à perdre à nos yeux de sa substance : on s’habitue à l’absurdité ou à la violence de telle ou telle mesure décidée par un aéropage de technocrates ; parfois même on ne la voit plus. Toute l’épaisseur de vécu et d’humanité qui caractérise « le terrain » se retrouve littéralement vaporisée dans un discours tissé de mensonges, de stéréotypes et de formules volontairement incompréhensibles auquel chacun adhère ou fait semblant d’adhérer par crainte de passer pour idiot, psychorigide ou ringard.
  Ainsi, à force d’éviter les affrontements et les « débats de fond », à force de laisser les paroles tenir lieu de réalité, on en arrive à ce que nous constatons aujourd’hui : une opinion publique formatée et aseptisée où toute prise de position un peu forte, tout jugement porté par une solide conviction se voient immanquablement disqualifiés au motif d’excès, de rigidité subjective ou d’intolérance2. Le politiquement correct est donc un puissant facteur de lissage et de nivellement des opinions pour le plus grand profit de ceux (toujours les mêmes) qui le promeuvent. C’est surtout – ce qui est bien plus grave – un encouragement adressé aux individus pour qu’ils renoncent à penser par eux-mêmes.   Reprendre notre pensée en main
  De ce point de vue, la crise du covid permet de mesurer l’ampleur des dégâts. Les gens n’osent plus penser. Littéralement tétanisés par le triple tir de barrage des autorités politiques, médiatiques et médicales, ils ont tout simplement (du moins pour la grande majorité d’entre eux) mis de côté leur sens critique, leur libre-arbitre et leur vitalité. Pareils aux cobayes de l’expérience de Milgram (évoquée dans le film I… comme Icare d’Henri Verneuil) ils s’apprêtent aujourd’hui, sous le contrôle de cette instance tricéphale et aboyante, à franchir un nouveau stade de soumission, dans le seul but de ne pas se retrouver exclus de la communauté des personnes estampillées « fréquentables ». Naturellement ils penseront agir ce faisant en parfaite connaissance de cause et en toute liberté. Ils penseront être bien informés et avoir mûrement réfléchi avant de prendre leur décision. Mais il n’en est rien. Quand toutes les informations officielles proviennent de la même source et disent la même chose et que toutes les analyses discordantes se voient impitoyablement interdites d’antenne, exclues du débat et réduites à des caricatures, c’est bien que la démocratie elle-même est devenue un problème pour les détenteurs de l’autorité. D’autre part, prendre une décision sous de telles conditions ne relève plus de la réflexion, mais de la pure obéissance, qui est son contraire exact. Penser avec le logiciel fourni par le système ne vous autorise qu’à aligner des algorithmes, à la manière d’un ordinateur bien programmé. Toute pensée présuppose la liberté intérieure. Or, quelle que soit sa nature, une parole officielle martelée à longueur de temps est la négation de cette liberté. Elle impose le dogme là où on attendrait la recherche de la vérité.   Après quatre décennies d’exposition à la pensée unique et au politiquement correct, les citoyens français ont peut-être besoin de réapprendre à penser librement. Ils doivent en priorité se débarrasser d’une idée subtilement distillée dans la population, à savoir que la pensée serait l’apanage de gens spécialisés : scientifiques, intellectuels, experts en tout genre, conformément à une répartition typiquement technocratique des tâches qui incomberaient à chacun. Là encore, on a affaire à un pur mensonge : on ne pense pas qu’avec des concepts et encore moins avec des chiffres! On pense avec son vécu, avec sa sensibilité, avec son intuition, avec toutes les fibres de son corps ! Chacun peut donc, pour peu qu’il le veuille vraiment, exercer cette activité de pensée qui consiste, pour l’essentiel, à pratiquer le doute cartésien, à diversifier les sources d’information et aussi à donner droit de cité à ce que notre bon sens, notre vécu et notre intuition nous ont appris afin d’essayer d’y voir plus clair dans la trame des événements qui nous frappent. Chacun peut redevenir un de ces citoyens inconfortables à qui on ne fait pas facilement passer des vessies pour des lanternes et qui, selon Condorcet, sont le substrat et le sens même de l’édifice républicain.
  Non encore anesthésiés par 40 ans de pensée unique, ayant su résister au premier électrochoc des mesures dites sanitaires, ces citoyens qui osent penser, non solubles dans l’air du temps, sont aujourd’hui clairement, pour les instances qui nous gouvernent et qui ne croient plus qu’à l’argent et au pouvoir qu’il donne, les ennemis à abattre. Mon espoir, à l’heure où les ténèbres s’amoncèlent dans le ciel de France, est que les nouveaux électrochocs qui vont désormais se succéder, loin de leur faire courber l’échine, auront au contraire pour effet de les galvaniser et de les multiplier.
  (1) « La mémoire que les hommes garde des souffrances qu’ils ont subies est étonnamment courte. Leur capacité à imaginer les souffrances à venir presque encore plus réduite », écrit Brecht, dans son prophétique Discours pour la paix de 1952. Das Gedächtnis der Menschheit für erduldete Leiden ist erstaunlich kurz. Ihre Vorstellungsgabe für kommende Leiden ist fast noch geringer.
  (2) Dernier exemple en date : la réaction unanime de la classe politico-médiatique après les déclarations de Michèle Rivasi, comparant le pass sanitaire à une mesure d’apartheid. Elle n’a fait qu’énoncer un fait réel, mais elle a enfreint ce faisant les règles du politiquement correct, s’attirant logiquement les foudres de l’establishment qui n’a aucune envie de voir les foules sortir de l’hypnose et de l’autocensure.   Par Alain Leduc, citoyen universitaire

Article initialement paru sur mondialisation.ca 

Auteur(s): Alain Leduc, pour FranceSoir

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