[Info Marianne] SOS pédophilie : un numéro de téléphone unique pour répondre aux pulsions pédophiles

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En France l’expérience est inédite. Le 0 806 23 10 63, un numéro de téléphone non surtaxé, destiné aux personnes nourrissant des penchants pédophiles, entre en phase de test dans cinq régions. Le principe est simple : les aider à endiguer leurs pulsions pour éviter tout passage à l’acte. L’accouchement de cette action aura été difficile…

A la mi-temps d’un match de foot, un jingle pub retentit. Tandis qu’un homme assis dans le métro observe un garçonnet avec un peu trop d’insistance, la voix questionne : « Aimez-vous les enfants plus qu’il ne le faudrait ? ». Pas de politique fiction, c’est en Allemagne que cela se passe. Ces spots télévisés pourraient bientôt débarquer en France aux heures de grande écoute. Tandis que l’Angleterre se dotait du dispositif « Stop it now ! » (Arrête ça tout de suite) dès 2002, l’Allemagne lui emboîtait le pas avec son « Dunkelfeld » (Zone D’ombre) trois ans plus tard. Deux pays locomotives en termes de lutte contre la pédophilie.

Dix-sept ans plus tard, la France s’y met sous l’impulsion solitaire de la fédération française des Criavs (Centres ressources pour les intervenants auprès des victimes d’agression sexuelle), avec la mise en place d’un numéro gris, en 0 806, destiné aux personnes nourrissant des penchants pédophiles, pour les aider à les endiguer avant le passage à l’acte. Dès à présent, cinq centres volontaires (Occitanie, Centre Val-de-Loire, Nouvelle Aquitaine, Paca et Auvergne) expérimentent la phase de test. Quelques mois pour savoir si le dispositif fonctionne, et s’il est capable d’attirer des financeurs.

Retard et récupération politique

A la veille de ce 20 novembre, journée mondiale de l’enfance, et tandis qu’il s’apprête à dérouler son pacte dédié à la protection des mineurs, le secrétaire d’État Adrien Taquet s’est précipité in extremis sur l’initiative, pourtant en gestation depuis près de deux ans. « C’est lui qui nous a sollicités, détaille à Marianne Anne-Hélène Moncany, psychiatre et présidente de la fédération des Criavs depuis septembre dernier. Nous sommes allés le voir le 24 octobre et il s’est montré très intéressé par le numéro unique ». Intéressé au point de lui faire une petite place dans le cadre de son pacte. « Au bout de quelques mois, si l’expérience est concluante, nous lancerons le numéro au niveau national avec le secrétaire d’État », explique-t-elle.

« Sur un plan politique et démagogique, le message passe moins bien… »

Mieux vaut tard que jamais, en somme. Car il faut avouer que la prévention n’a jamais eu le vent en poupe dans le domaine de la pédophilie. « Elle semble toujours trop chère. Sur un plan politique et démagogique, le message passe moins bien… Et c’est comme ça qu’on prend du retard », confie le docteur Mathieu Lacambre, chef du service de psychiatrie légale du CHU de Montpellier et ancien président de la fédération des CRIAVS. Une remarque lâchée en toute connaissance de cause, l’homme et ses collaborateurs se démenant depuis près de deux ans pour mettre en évidence l’urgence d’agir à la source du problème.

Aucun financement public

En juin 2018, l’idée de cette « helpline » a émergé parmi les propositions du rapport de l’audition publique « Auteurs de Violences Sexuelles : prévention, évaluation, prise en charge », conduite par la fédération et abritée au sein du ministère des Solidarités et de la Santé. Conviée, la ministre Agnès Buzyn n’avait pas fait le déplacement, le seul soutien dont ils avaient alors bénéficié se résumant à un prêt de salle. L’équipe a donc lancé le projet avec un financement public de… zéro euro. En matière de spot télévisé, les espoirs d’égaler les voisins britannique et allemand ont donc fondu comme neige au soleil.

« Nous avons réalisé des devis compris entre 150.000 et 300.000 euros pour des campagnes de communication télévisées, radiophoniques et d’affichage. Plus le numéro est accessible, plus nous aurons de chances de voir les gens appeler », résume Mathieu Lacambre. Et le médecin d’avouer sans cynisme : « Mais comme nous n’avons pas de financement pour le moment, nous communiquerons à la faveur des prochains incidents. L’actualité nous fournit malheureusement des opportunités régulières de communiquer là-dessus… ». Un regard partagé par Anne-Hélène Moncany, qui lui a succédé courant septembre, plus encline à « faire quelque chose à bas coût plutôt que de ne rien faire », et bien consciente que le dispositif ne pourra que s’améliorer. « Nous avons un numéro non-surtaxé, mais nous aimerions aller vers un numéro simplifié et accessible 24h/24 par exemple ».

Agir en amont de l’acte pédophile

En mai 2019, alors qu’une mission sénatoriale (« Infractions sexuelles sur mineurs commises par des adultes dans le cadre de leur métier ou de leur fonction ») en arrivait aux mêmes conclusions quant à la nécessaire prévention, les Criavs ont peaufiné en électrons libres leur projet et préparé leurs sessions de formation. Dès le mois de septembre dernier, les futurs répondants issus des quatre coins de l’Hexagone ont réalisé des jeux de rôle, appris à reconnaître les signes d’un patient totalement concerné par le dispositif, potassé l’arbre décisionnel pour pouvoir les orienter au mieux, et ont été sensibilisés au RUD – Risque urgence dangerosité -, un outil capable d’évaluer le risque suicidaire.

« Donner la possibilité aux personnes attirées par les enfants de dire : ‘Là j’ai un problème' »

Quant à l’instant T, lorsqu’un patient décroche le combiné, le principe est simple : lui répondre avec empathie, éviter toute discrimination au regard des préférences sexuelles, assurer un anonymat total et adopter « une attitude n’augmentant pas les sentiments de culpabilisation ou de honte », décrit le projet. « Au lieu d’arriver après coup et dans des délais trop longs, nous voulons nous attaquer aux causes », résume Mathieu Lacambre. Autrement dit, « donner la possibilité aux personnes attirées par les enfants de dire : « Là j’ai un problème et j’aimerais trouver de l’aide et des ressources » ».

Dans un deuxième temps, ce numéro unique sera accompagné d’un site Internet permettant aux auteurs potentiels d’acte pédophile de s’auto-évaluer. Des actions proches des dispositifs anglais et allemand, et qui ont porté leurs fruits depuis belle lurette. En Angleterre, si « Stop it now ! » n’a suscité que 58 appels la première année (en 2002), la fondation Lucy Faithfull, aux manettes du dispositif, dénombre aujourd’hui 2.000 à 3.000 appels par an et affirme rater de nombreux contacts par manque de répondants bénévoles. Sur les 11 premières années, ils avancent donc un chiffre de 35.000 appels, avec 80% de coups de fil provenant des populations ciblées. En Allemagne, fin 2018, le dispositif Dunkelfeld comptabilisait un total de 10.500 contacts via son site Internet, ses 11 lieux d’accueil et son numéro vert. Ces approches ont donné lieu à 2.894 évaluations et 1.554 offres de thérapie. L’histoire ne dira jamais si ces personnes seraient véritablement passées à l’acte ou pas, mais le doute justifie tous les efforts.

Mode d’emploi

Le « numéro unique d’évaluation et d’orientation des personnes attirées par les enfants afin d’éviter tout passage à l’acte » est le 0806 23 10 63. Il s’agit d’un numéro « gris », non surtaxé, facturé au coût d’un appel vers un téléphone fixe. Restreint aux régions Occitanie, Paca, Nouvelle Aquitaine, Centre Val-de-Loire et Auvergne pour quelques mois, il sera ensuite étendu à l’ensemble du territoire national si la phase de test est concluante.

Source : Marianne

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