Inédit Le récit choc du médecin-chef du Raid sur le « cauchemar » du Bataclan
Matthieu Langlois, qui a été en première ligne le 13 novembre 2015, raconte étape par étape ce qu’il a vu et fait dans la salle de concert prise d’assaut par les terroristes. Son témoignage fait l’objet d’un livre*. Extraits.
Il a été de toutes les tragédies ces vingt dernières années. Attentat à la bombe dans la station Saint-Michel en 1995, tueries de Mohammed Merah à Toulouse en 2012, prise d’otage sanglante de l’Hyper-Casher à Porte de Vincennes en janvier 2015… Le Dr Matthieu Langlois, 46 ans, a chaque fois œuvré à sauver des vies. Mais son récit le plus terrifiant concerne celui relatif à la soirée du 13 novembre 2015, quand les commandos de Daesh ont attaqué la capitale à coups de kalachnikov et de ceintures d’explosifs. Ce médecin-chef du Raid a été dépêché en plein cœur du brasier, au Bataclan, où trois terroristes ont provoqué un bain de sang. Lorsque l’assaut des forces de l’ordre a été lancé, il était avec ses hommes en première ligne. Il a ainsi décrit, étape par étape, ce qu’il a vu et fait ce soir-là. Offrant ainsi une vision inédite des événements, un témoignage à vif sur l’horreur.
« Quand la situation est aussi imprévisible, l’heure n’est pas à la ‘grande médecine’ »
« Nous avons beau anticiper des scenarii de ce type, l’entrée dans le Bataclan n’en reste pas moins une véritable épreuve. Un cauchemar », résume-t-il d’emblée. La scène qui s’offre à ses yeux est d’une cruauté insupportable. Les cadavres jonchent le sol, les autres personnes présentes sont blessées, paralysées par l’horreur. Mais le Dr Langlois affirme que « sans ce choc émotionnel », il n’aurait « peut-être pas été capable de (se) surpasser, en tout cas de trouver les ressources physiques, psychologiques et mentales nécessaires pour mettre en pratique » ce qu’il a appris au fil des années. Et ce, même si ce qu’il découvre « est au-delà de tout ». Après avoir enjambé les victimes, il a hurlé à celles encore capables de se déplacer de venir vers lui, pour effectuer un premier tri. « Je n’oublierai jamais la scène qui a suivi, se remémore-t-il. Je vois de rares bras se lever. Quatre, peut-être cinq. Je croise des regards, un en particulier, celui d’un homme devant moi, qui m’implore de le sauver. Personne n’a bougé, à mon appel. Personne ne s’est redressé pour marcher vers nous ».
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Il a donc été contraint d’aller chercher les hommes et femmes prisonniers du piège « un par un ». Très vite, le médecin-chef du Raid constate : « Les choses sont nettes. Il y a ceux qui sont déjà ‘blancs’, morts sans aucun doute possible, et les autres ». Le tout est alors de garder son sang-froid et de mettre en place une organisation pour abriter ou maintenir en vie ceux qui respirent encore. Dans un temps très court. « Quand la situation est aussi imprévisible, l’heure n’est pas à la ‘grande médecine’. Le blessé parle-t-il sans suffoquer? Sa respiration est-elle ample? L’œil et l’oreille suffisent pour évaluer la situation. Quelqu’un qui vous parle normalement n’est pas en détresse respiratoire. Si la victime saigne, si elle se vide de son sang, je peux poser un garrot ou utiliser un produit pour stopper l’hémorragie. Pas plus de dix secondes par geste, c’est l’économie à laquelle je dois m’astreindre ».
« En débouchant de l’escalier, notre petit groupe tombe sur la tête du terroriste qui a explosé »
Ici et là, il constate différents types de blessures. De la plus horrible à la moins visible. Il explique à nouveau : « Avec un blessé par balle, la première chose à regarder reste sa couleur. On voit tout de suite si la personne est en train de mourir d’une hémorragie. En cas de doute, on prend son pouls. La clinique en zone de combat se résume à ces examens ultra-sommaires qui sont plus efficaces que tous les accessoires que l’on pourrait utiliser ». Il tombe aussi sur des victimes qui n’ont reçu aucune balle ni aucun éclat, mais qui restent paralysées au niveau d’un escalier. Il faut alors hausser le ton : « Écoutez-moi! Écoutez-moi! On n’a rien à foutre ici. Faites-nous confiance, on va dehors ». Une manière de les extirper au plus vite de cet enfer. Conscient que certains « ne souffrent pas physiquement » mais «psychologiquement », il précise que l’empathie s’avère aussi utile (« Allez, mademoiselle, courage ! »).
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Mais demeure un autre problème : « Pour sortir, ces victimes doivent repasser sur la scène. En débouchant de l’escalier, notre petit groupe tombe sur la tête du terroriste dont le gilet bourré d’explosifs a sauté lorsque ce commissaire de la brigade anti-criminalité l’a neutralisé par un tir héroïque, avant notre arrivée sur les lieux. Juste la tête, détachée des autres parties du corps, qui gisent non loin. Et c’est loin d’être la seule vision d’horreur qu’on inflige à ces blessés que l’on vient d’extirper de leur cachette. Il nous faut aussi enjamber des corps, si bien qu’à un moment, comme par réflexe, je place ma main gantée sur les yeux du garçon que je transporte. Je veux lui épargner ce cauchemar, mais en voulant l’empêcher de voir, je lui étale du sang sur la figure. Quand je comprends mon erreur, son visage est déjà maculé ».
« Je ne peux pas reboucher les trous de kalachnikov… »
Les efforts du Dr Matthieu Langlois et de ses coéquipiers du Raid ont permis de sauver des dizaines de vies le 13 novembre. Malheureusement, des dizaines de blessés par balles ont fini par succomber à leurs blessures quelques heures ou jours plus tard. Comme cette jeune femme qu’il n’a pas fait évacuer en priorité, la sachant déjà condamnée. Une décision toujours douloureuse à prendre. Pourtant, à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière : « Le neurochirurgien et le neuroréanimateur qui l’ont prise en charge m’ont confirmé qu’elle n’aurait eu aucune chance de survivre à ses lésions, raconte-t-il. Je sais à quel point c’est difficile à admettre: pourtant, la nouvelle tragique de son décès m’a conforté dans le choix que j’ai fait ». Dans l’effusion de sentiments qui l’animent, il se convainc finalement que son rôle est clair, défini, résolument humain : « Je ne peux pas reboucher les trous de kalachnikov. Ni réparer des membres arrachés par une explosion. Je fais en revanche tout ce qui est en mon pouvoir pour que les victimes rejoignent le plus vite possible le bloc opératoire, avec le concours des pompiers et du samu ».
*Médecin du RAID. Vivre en état d’urgence , de Matthieu Langlois, Albin Michel, 200 p.
Crédit photo : AFP
Source : VSD
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