Il y a 80 ans, la rafle du Vel’ d’Hiv’: « On ne peut pas s’abriter derrière un ordre… »
« Une civilisation qui oublie son passé est condamnée à le revivre.»
A tous mes camarades Gendarmes et collègues Policiers, cet article est je crois nécessaire à la compréhension de notre Histoire pendant la seconde guerre mondiale. Non seulement il est éducatif pour comprendre notre passé mais il ouvre aussi les esprits sur les dangers qui nous guettent aujourd’hui.
Si ces évènements relayés ici sont cruels et horribles n’oublions pas non plus que des Policiers et des Gendarmes ont payés de leur vie des actes de Résistance.
Grâce à ces derniers l’honneur de nos uniformes a pu être lavé de la souillure de quelques uns.
« On ne peut pas s’abriter derrière un ordre… »
La déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 affirme par son deuxième article que la sûreté fait partie des droits inaliénables et imprescriptibles de l’homme et par son douzième que la garantie des droits de l’homme et du citoyen nécessite une force publique instituée pour l’avantage de tous et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée…
On commémore, ces 16 et 17 juillet, les 80 ans de la rafle du Vel’ d’Hiv’ qui a entraîné l’arrestation de 17 000 juifs (1). L’historien Laurent Joly publie un ouvrage (2) détaillant le contexte de l’opération menée par Vichy et sans aucun Allemand. Et revient notamment sur l’action de la police française.
Combien de personnes étaient-elles visées dans l’opération ?
Au départ, il y a 27 391 fiches d’arrestation mais 2 500 ont été établies par erreur pour des personnes déjà internées. On arrive donc à environ 25 000 cibles théoriques, des adultes juifs étrangers. Ils avaient environ 10 000 enfants de moins de 16 ans, au départ non concernés par les déportations, puisque la plupart étaient Français et que les Allemands ne les voulaient pas tout de suite. Mais les autorités de Vichy et la police ont décidé finalement de les y inclure. Il y avait donc environ 35 000 personnes visées au total, y compris les enfants.
La collaboration française a-t-elle été active ?
Il y a une pression politique très forte. Jusqu’alors, le gouvernement de Vichy était à peine tenu au courant des rafles imposées par l’occupant et exécutées par la préfecture de police à Paris. Là, il y a une négociation (menée notamment par René Bousquet, secrétaire général de la police de Vichy, et Louis Darquier de Pellepoix, commissaire général aux questions juives, NDLR) où on s’engage auprès des Allemands à leur donner le nombre de juifs étrangers qu’ils « désirent ». On oublie toutes les exemptions qu’on aurait pu mettre en avant, pour les infirmes, les gens qui ont des enfants français, les engagés volontaires… Sur les 45 commissaires requis pour préparer l’opération, un seul a pu prouver ensuite un acte de résistance, avoir prévenu des gens.
Le résultat des 16 et 17 juillet, 12 884 arrestations, est paradoxal, selon vous ?
On ne trouve pas d’équivalent ailleurs en Europe occidentale d’un tel objectif et d’un tel résultat. Ce qui s’en approche de loin est une rafle à Berlin ayant concerné 5 500 personnes et un coup de filet similaire à Amsterdam. La rafle du Vel’ d’Hiv’est donc massive mais le paradoxe est bien là car le taux d’échec de l’opération est de près des deux tiers, ce qui est sans équivalent non plus à l’été 1942.
L’exécution a-t-elle rencontré des obstacles ?
On a des commissaires de voie publique qui n’ont pas l’habitude de faire des arrestations à domicile. Il y aura donc des attitudes diverses, certains vont être très zélés, demander parfois de défoncer les portes. D’autres vont ordonner à leurs hommes une conduite humaine. Sur le terrain, il y a un malaise évident chez les 4 500 policiers mobilisés, essentiellement des gardiens de la paix en civil ou en tenue, qui ne sont pas entrés dans la police pour arrêter des juifs au petit matin.
Comment se traduit ce malaise ?
Beaucoup ont utilisé les marges de manœuvre bien plus importantes que ce qu’on pouvait imaginer. Certains disent « nous revenons dans deux heures », permettant donc aux gens de ficher le camp. Certains refusent de défoncer les portes quand ils n’ont pas de réponse. D’autres préviennent les personnes qu’ils devaient arrêter. Tout cela fait que c’est presque un échec qu’il faut annoncer aux Allemands.
Aucun policier n’a été cependant totalement réfractaire ni démissionnaire ?
Je n’ai vu, en effet, dans les documents, aucun cas de policier qui, par exemple, démissionne à cause de la rafle. On découvre, dans les dossiers d’épuration, les clefs de la mentalité policière où les enjeux de carrières sont fondamentaux. Ils sont si attachés à leurs métiers, à leurs petits avantages, à leur avancement que risquer une rétrogradation, la sanction-type en cas de refus d’obéir, est vécue comme insupportable.
Le climat xénophobe des années 30 favorise-t-il cette rafle ?
Si on avait dit aux policiers d’arrêter tous les Bretons de Paris, ils auraient trouvé cela bizarre. Mais aller arrêter des juifs étrangers… Les juifs polonais, c’est ce qu’il y a alors de plus bas dans la hiérarchie sociale de l’époque, c’est ce qu’on appelle les « indésirables ». Ça ne pose donc pas un problème moral fondamental. Mais, malgré cette continuité xénophobe, les policiers vivent pourtant ce qu’on leur demande de faire comme quelque chose d’exorbitant,
de totalement anormal.
Peu ont été sanctionnés à la Libération. Pourquoi ?
Après 1942, beaucoup de policiers rendent des services à la Résistance ou basculent. La police sort, par ailleurs, grandie des combats pour la Libération de Paris. L’épuration est cependant très sévère. Plus de 2 000 agents sont sanctionnés, le plus souvent pour avoir été « collabos », ou avoir refusé de se battre en août 1944… Avoir arrêté des juifs lors de la rafle du Vel’ d’Hiv’ ne conduit pourtant à des sanctions que lorsque l’on s’est vraiment très mal comporté. Il n’y a qu’une poignée de cas de policiers révoqués.
Entassés au Vel’ d’Hiv’, séparés de leurs parents, les 4 000 enfants arrêtés sont tous morts dans les camps. Comment situer cet épisode ?
Dans toute l’histoire de l’Holocauste en Europe occidentale, c’est sans équivalent. Vichy avait pourtant le choix et, d’ailleurs, ce ne sera plus fait jusqu’à la fin de la guerre. L’opinion publique française a alors été très choquée de cette cruauté dans la cruauté.
Quand le discours officiel a-t-il dissipé définitivement le mensonge autour du rôle de Vichy et de la police dans cette affaire ?
Le discours de Jacques Chirac, en 1995, est fondamental. Il a compris la nécessité de prononcer les mots qu’on avait besoin d’entendre et il a traduit surtout le ressenti populaire, dès 1942, la honte. La police a, aujourd’hui, des formations où on apprend qu’au-delà des ordres, il y a aussi des principes humains. Tout cela est en principe intégré, c’est censé être un acquis. C’est la grande leçon de la rafle du Vel’ d’Hiv’. Dans n’importe quelle situation, on a toujours le choix. On ne peut pas s’abriter derrière un ordre.
(1) La rafle du Vélodrome d’Hiver, menée à Paris et en banlieue, les 16 et 17 juillet 1942, a permis d’arrêter 12 884 Juifs dont environ 4 000 enfants. 4 000 adultes initialement « manqués » ayant été rattrapés par la suite, le bilan final de la rafle se situe autour de 17 000 personnes. La plupart sont mortes ensuite dans les camps nazis, hormis quelques centaines.
(2) « La rafle du Vel d’Hiv », Laurent Joly, Grasset, 400 pages, 24 euros. Laurent Joly, historien de 45 ans, directeur de recherche au CNRS, est spécialiste de la Shoah en France, du régime de Vichy et de l‘extrême droite, auxquels il a consacré plusieurs ouvrages. Il a coécrit le film documentaire « La Rafle du Vel d’Hiv. La Honte et les Larmes », diffusé sur France Télévisions, ce mois de juillet.
Source : Le Télégramme
Pour compléter cet article, je vous invite à voir cette vidéo :
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Episode 1 – La collaboration policière L’histoire officielle reconnaît aujourd’hui le rôle de l’institution policière dans la politique de Vichy. S’ils furent peu nombreux et isolés, c’est que les policiers résistants se trouvaient dans une situation périlleuse car placés au coeur de la répression officielle.
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