« Il n’y a qu’une seule Penelope » : les époux Fillon tanguent à la barre
Elle est là à la barre, dans son tailleur bleu sobre, les cheveux blanc tirés en arrière, retenus par un serre-tête. Elle n’est plus qu’un mince filet de voix. Parait perdue, hésiter. Elle tient ses mains devant elle. Son accent anglais tremble. Les mots se bousculent, parfois s’emmêlent et font qu’elle est par moment difficile à comprendre. Est-ce de la confusion ou un mélange des deux langues ? La présidente pourtant tente de la mettre à l’aise. Même le bougon procureur, tenté de la bousculer un peu, se ravise, s’excuse, et se dit même « en empathie avec elle« . Penelope Fillon, à l’évidence, est au supplice.
Est-ce d’être là, comme jetée aux chiens dans la fosse de cette enceinte correctionnelle, à devoir occuper le devant de la scène, elle qui a toujours fuit la lumière ? Ou bien est-ce de devoir jouer un numéro, celui de l’ancienne assistante de son mari, noyée sous les dossiers, alors qu’elle n’aurait en réalité jamais vraiment travaillé ? Joue-t-elle à la barre une comédie pour tenter de sauver son mari ? Ou ne parvient-elle pas à se souvenir de toutes ses missions auprès de son mari député ? C’est exactement ce que doit commencer apprécier ce jeudi 27 février la 32e chambre du tribunal correctionnel de Paris. Penelope Fillon ment-elle quand elle prétend avoir réellement travaillé comme assistante parlementaire, pendant près de 40 ans, pour le compte de son époux ? Ou dit-elle la vérité ?
« épauler mon mari dans sa carrière locale »
La présidente de la 32e chambre correctionnelle, d’une voix douce, reprend un à un les éléments à charge du dossier d’instruction. Dès 1981, l’épouse anglaise du plus jeune député de France (François Fillon a 27 ans quand il est élu député de la Sarthe) commence des missions pour le compte de son mari. Pour 30.000 francs de l’époque, quand le smic est à 2.696 francs, elle réalise un premier rapport sur « l’aménagement du bocage » puis un autre sur « l’organisation du secrétariat ». « Oui, j’ai décidé d’épauler mon mari dans sa carrière locale », explique à la barre celle qui a renoncé à des études de notaire, après 18 mois d’enseignement en Angleterre, pour venir s’installer en France. « Mon mari me donnait les thèmes », dit-elle sans trop se souvenir de ces « vieux » rapports, ni du temps que lui prenait chaque étude (il y en a 9 au total). « Cela dépendait ». Ce qu’elle faisait entre chaque contrat ? Elle ne se souvient pas. Pourquoi sa rémunération varie-t-elle d’un contrat à l’autre ? « Je ne sais pas, je ne demandais pas d’argent, c’était mon mari qui s’en occupait ». Ce que sont devenus ces rapports ? « Je ne sais pas, je les remettais à mon mari ». Le supplice continue.
Penelope Fillon est interrogée sur ses contrats suivants, d’abord en CDD, puis en CDI, auprès de François Fillon, comme assistante parlementaire à temps plein. « C’est mon mari qui fixait les rémunération. » Elle lisait son courrier, tenait à jour une revue de presse locale pour lui faire ensuite des fiches, chaque week-end, afin qu’il puisse se tenir au courant de la vie de sa circonscription. Entre 2007 et 2012, quand François Fillon est à Matignon, elle n’a plus d’activité rémunérée, puis en 2012, alors qu’elle habite la Sarthe et que son mari devient cette fois député de Paris, elle recommence à être son assistante parlementaire. Pas très logique. « Les gens là-bas continuaient de le solliciter », explique-t-elle, disant qu’il avait été décidé qu’elle continue de « faire le lien » avec la Sarthe « au cas où il décide de revenir ». François Fillon en fin d’audience, volera à son secours, disant qu’il « regrettait parfois » d’avoir fait le choix de se faire élire Paris en 2012 et de ne pas être revenu dans la Sarthe. « Je me suis déraciné », dit-il, assurant que jusqu’à mi-2013, il avait envisagé de rejoindre un jour son fief. Selon lui, son épouse aurait été en quelque sorte « prépositionnée » pour un éventuel come-back…
Penelope Fillon est à la peine
Les deux procureurs du parquet national financier, ne semblent pas croire un mot du récit de Penelope Fillon. Ils s’en excusent en préalable. Disent même « compatir » avant de commencer leur contre interrogatoire. « A chaque naissance, pour chacune de vos maternités, il semble y avoir un nouveau contrat, commence le premier procureur. Comme si au fur et mesure que les besoins du couple augmentaient, il fallait trouver de nouvelles ressources ». A la barre, Penelope Fillon réplique « n’avoir jamais pensé à cela ». Pourquoi n’a-t-elle jamais déposé un jour de congé quand elle était assistante parlementaire alors qu’elle en prenait ? Pourquoi du coup a-t-elle reçu, à chaque fin de contrat, l’équivalent de ces congés non pris, en salaires complémentaires ? « Je ne m’occupais pas de ces détails administratifs, c’était peut-être une erreur. C’était mon mari », souffle-t-elle. Pourquoi n’a-t-elle jamais mentionné, au début de l’enquête, ses 9 missions entre 1981 et 1988 ? « C’était l’émotion devant les enquêteurs, j’avais oublié », jure-t-elle à la barre.
Dans un mémo, retrouvé en perquisition en 2017, il n’est pas non plus question de ces premiers contrats. « Encore l’émotion sûrement », raille le procureur. Penelope Fillon est à la peine. Ne se souvient plus très bien comment ce fameux memo, censé récapituler toutes ses activités, a été rédigé, au début de l’affaire, en pleine campagne présidentielle. Ni si ce document a été utilisé pour la « communication » de son mari. Son avocat, Me Cornut-Gentille, tente de venir à sa rescousse en remerciant le parquet pour « ses conseils en matière de communication ». Le procureur s’énerve : « Je suis en empathie avec votre cliente, peut-être plus que vous », lâche-t-il en direction de l’avocat. L’air s’électrise. Comme un ciel d’orage lourd depuis de longues minutes. Mais cramponnée à la barre, Penelope Fillon tient bon son cap. Ne lâche rien.
Fillon entend « faire éclater la vérité »
C’est François Fillon qui s’approche du micro. Ses talons claquent sur le parquet neuf de la salle d’audience. Il ajuste son bouton de costume. Pose ses mains sur le pupitre. Dans une déclaration préalable, l’ancien candidat à la présidentielle a campé le décor. « J’ai déjà été condamné sans possibilité d’appel il y a 3 ans, par le tribunal médiatique ». Il enchaîne sans pause. Chaque phrase qui sort de ce corps d’ex-futur président semble venir de loin : « Ma vie et celle de ma famille ont été fouillées dans les moindres recoins. » Le candidat déchu de la droite parle de violations continues préméditées de la présomption d’innocence. « Dans un objectif clair : m’empêcher de concourir dans des conditions normales à l’élection présidentielle ». La défaite, comme sa place perdue sur l’échiquier politique français, François Fillon dit en avoir fait le deuil. « Rien n’y changera ». « Mais il y a mon honneur, et celui de mon épouse ». C’est pour cela qu’il est à cette barre aujourd’hui.
Il espère que cette audience lui permettra de « faire éclater la vérité », sur la nature du travail d’assistant parlementaire, et sur la réalité des missions de son épouse. Lui aussi égrène la liste des opérations effectuées par son assistante. « Elle relisait tous mes discours. Je n’ai pas prononcé un seul discours dans toute ma carrière que Penelope n’ait pas lu » » ; « elle lisait tout mon courrier qui arrivait à notre domicile ou à la mairie de Sablé, une masse considérable de demandes d’intervention » ; « elle supervisait mon agenda ». Alors oui, François Fillon admet que la rémunération qu’il lui accordait « fluctuait » : « Elle était une variable d’ajustement par rapport à l’enveloppe disponible comme député », admet-il. L’ancien Premier ministre se défend pied à pied. Il estime qu’au nom de la « séparation des pouvoirs », le juge n’a pas à demander des comptes à un parlementaire sur la façon dont il a mené sa mission. « Le revenu de mes collaborateurs, c’est moi qui le fixe, et je n’ai de compte à rendre à personne », estime-t-il sans élever la voix.
« Il n’y a qu’une seule Penelope Fillon »
François Fillon rappelle au tribunal que 20% des parlementaires ont longtemps travaillé avec leur conjoint. Et que si cette pratique a tendance à disparaitre, elle a été normale et admise pendant des années dans le règlement de l’Assemblée. Si son épouse n’a pas déclaré ses congés maternité, comme le souligne le parquet en souriant, l’ancien premier ministre, regard noir en direction du ministère public, répond sèchement « cela me regarde ». « La justice ne peut s’immiscer dans le fonctionnement d’un parlementaire, ses choix, la manière dont il exerce son travail… ce que j’ai fait, je l’ai toujours fait conformément aux règles de l’Assemblée nationale ». Lui aussi ne lâche rien face au dossier. Son avocat, Me Antonin Levy, s’avance pour lui poser une question dont il connait par avance la réponse. « Reconnaissez vous ce document ? » « Oui, c’est l’ordonnance de renvoi des juges d’instruction », réagit François Fillon, raillant un texte « à charge », « tordant certains témoignages » et en « passant d’autres sous silence ». Chez lui, l’émotion comme la colère restent contenues. Mais elles affleurent. Pas loin.
En fin d’audience, la présidente revient sur l’interview de Penelope Fillon accordée au Sunday Telegraph en 2007, dans laquelle elle déclare n’avoir jamais « été réellement ‘l’assistante de son mari’ ou quelque chose de ce genre ». Durant l’enquête, cet entretien, dont les rushs ont été saisis, et traduits, a fait couler beaucoup d’encre, comme une sorte d’aveux… « Qui faut-il croire, interroge le procureur, la Penelope Fillon qui parle librement au journaliste du Sunday Telegraph, ou la Penelope Fillon à cette barre ? » L’intéressée explique que dans cette interview « à la presse britannique », alors que son mari devenait premier ministre de la France, elle ne voulait pas donner l’impression qu’elle jouait le moindre rôle. Elle a voulu « minimiser »… Elle a toujours voulu « se cacher », « rester au fond de la salle ». « Dans une autre interview, en 1999, vous aviez dit que vous aimez ‘observer le monde du travail, que c’est assez amusant’. Vous étiez une sorte de travailleuse passive », raille le procureur. Penelope Fillon ne se démonte pas. Comme si cette fois, face à l’ironie, le flegme venait à sa rescousse. « Il n’y a qu’une seule Penelope Fillon », conclut-elle. Aujourd’hui une femme ballotée. Mais tenant bon face à l’orage. L’audience reprend lundi.
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