Henri Peña-Ruiz : « Avec son ton grand seigneur habituel, monsieur Macron se permet d’insulter le peuple »
Dans une tribune, Henri Peña-Ruiz, philosophe et auteur de « Marx quand même » (Plon) et de « Karl Marx penseur de l’écologie » (Seuil), revient sur la communication du président de la République et la manière dont il tente d’imposer la réforme sur les retraites.
Avec son ton grand seigneur habituel, monsieur Macron se permet d’insulter le peuple, qu’il oblige à travailler deux ans de plus, tout en écartant brutalement les objections faites à sa réforme des retraites. Voyons les offenses qu’il profère. Faction, factieux… Excusez du peu. L’analogie des manifestants avec les amis de Trump ou de Bolsonaro est abjecte. Comment combattre les vrais fascistes si on pratique un tel amalgame ? Le signal envoyé ainsi à la police pour réprimer les manifestations de « factieux » supposés est irresponsable.
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Quant à l’air entendu de prophète génial qui prétend voir plus loin que les victimes de la réforme, il relève d’une sorte de mépris peu compatible avec la fonction de président de tous les Français. Autre offense : insinuer que certains adversaires de la réforme ne veulent pas travailler. Scandaleux. Combien de chômeurs se suicident du fait de ne pouvoir vivre de leur travail, ou sombrent dans le désespoir ? Le président ne s’en préoccupe guère et reprend la lancinante calomnie des chômeurs heureux de leur RSA.
Combattre le système
Par ailleurs, pour justifier sa réforme, monsieur Macron utilise une argumentation bas de gamme indigne de l’homme de culture qu’il prétend être. Il souligne en effet que dans la majeure partie des pays européens, l’âge de la retraite est plus tardif qu’en France, qui serait la seule en la matière. Qu’est-ce que cela prouve ? Rien. La solitude n’est pas un argument de droit mais un simple constat de fait. En 1789, la France révolutionnaire était seule en Europe à promouvoir la souveraineté populaire et une refondation de la nation sur les droits de l’être humain. Avait-elle tort ? Thomas Paine, anglais, Anacharsis Cloots, allemand, l’approuvaient. Ce qui compte, ce n’est évidemment pas le nombre, mais la justice intrinsèque d’une politique. La misère de nombreux retraités anglais ou allemands, dont monsieur Macron ne se soucie apparemment pas, vaut témoignage. Lui-même, naguère, trouvait insensée l’idée de remettre en question l’âge légal de 62 ans. Une fois réélu, il retourne sa veste et ose accuser les syndicats de ne pas proposer d’alternative. Un mensonge de plus. Parlons désormais d’autre chose, ose-t-il dire, après avoir refusé un recours au référendum, ce qui atteste un manque de courage politique.
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Pour finir, un modeste conseil à monsieur Macron, suivi d’une brève analyse sur le fond du problème. Mon conseil est de lire ou relire Karl Marx, en l’occurrence le chapitre XIII du Livre I du Capital, intitulé « Le machinisme et la grande industrie ». Dans ce chapitre, Marx tente de comprendre un paradoxe. Comment le recours à des machines a-t-il pu produire un allongement de la journée de travail ? Il se souvient alors de ce qu’Aristote prévoyait au sujet des navettes des métiers à tisser : « Si les navettes tissaient d’elles-mêmes et les plectres [mediator pour pincer les cordes] jouaient tout seuls de la cithare, alors les ingénieurs n’auraient pas besoin d’exécutants ni les maîtres d’esclaves » (Aristote, Politique, I, 4). À une telle fiction, Marx oppose avec une certaine ironie ce qui se passe réellement. Il fait remarquer que si les navettes du tisserand se sont mises à tisser d’elles-mêmes, le tisserand n’a jamais autant travaillé. D’où une question majeure sur la façon dont le capitalisme utilise le progrès technique à son seul profit et combat toute réduction de la durée du travail. La machine, dit Marx, est « le plus puissant moyen de réduction du temps de travail » (Le Capital, Livre I, chapitre XIII). Mais dans le cadre du capitalisme, elle devient « le moyen le plus infaillible pour transformer le temps de vie de l’ouvrier et de sa famille en temps de travail disponible pour la valorisation du capital »(ibidem). Comme le rappelle la préface du Capital, ce n’est pas parce que le capitaliste est un méchant homme, mais parce que la fonction qu’il occupe dans le système l’oblige à cela.
Pour les prolétaires, hommes et femmes, la lutte afin de conquérir du temps libre, opposable au temps contraint, doit donc combattre le système. Il faut lui imposer des réformes qui limitent le temps de travail, voire le diminuent dès que le progrès technique permet d’accroître sa productivité. Toute l’histoire du mouvement ouvrier est marquée par cette résistance. Limiter le temps de travail quotidien, puis hebdomadaire, puis annuel, enfin à l’échelle de toute une vie, à l’âge de la retraite. Voilà, monsieur Macron, ce sur quoi vous pourriez méditer, au lieu de vous faire le soldat zélé du capitalisme. Mais entendrez-vous raison ? On peut en douter dès lors que vous envisagez d’élargir encore plus à droite un gouvernement qui n’est déjà que de droite, et ce malgré vos promesses initiales de prendre le meilleur de la gauche et de la droite.
Source : Marianne
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