Harcèlement à l’armée : la justice en rade
L’affaire symbole du harcèlement sexuel dans l’armée en France, qui s’est nouée dans un Centre d’information de la marine à Metz, en 2012-2014, pourrait ne jamais être jugée. La victime veut aller au bout de son parcours du combattant.
L’armée française compte 15 % de femmes. Photo RL/Julio PELAEZ.
En 2012, Isabelle (*), 26 ans, secrétaire au Centre d’information de la Marine (Cirfa) à Metz, est devenue la première femme militaire à porter plainte pour harcèlement sexuel en France. Deux ans plus tard et à la faveur d’un débat national ouvert après une enquête journalistique fouillée sur le sexisme dans la Grande Muette (La guerre invisible, de Leila Minano et Julia Pascal, Les Arènes), le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian prend le sujet en main.
Le cas d’Isabelle est à nouveau cité en exemple de ce qui ne doit plus arriver (lire ci-dessous). Son supérieur, premier-maître du Cirfa, a poursuivi sa subalterne de ses assiduités pendant des mois, fin 2011, entre remarques sexistes, surnoms ambigus (« P’tit Chat », « Little Minou »), allusions graveleuses, étranges footings où le harceleur se positionne derrière « pour profiter du spectacle ». Le même n’hésite pas à réajuster sans raison les vêtements de la jeune femme, qui finit en arrêt maladie après avoir frappé à de nombreuses portes et manqué de soutien dans l’armée. Pire, lorsqu’elle s’adresse à l’Inspection du travail à Metz, il s’avère que l’inspecteur auquel elle se confie connaît le harceleur – ils ont travaillé ensemble – et va le contacter.
Cinq ans après les faits, la justice messine, qui avait mis en examen les deux hommes en 2015, respectivement pour violences et non-respect du secret professionnel, se prépare à rendre un non-lieu, comme l’a requis le parquet de Metz à l’issue de l’instruction, fin février. Une fin « inacceptable » pour l’avocate d’Isabelle, Me Élodie Maumont, spécialiste des affaires militaires, engagée dans un véritable parcours du combattant judiciaire pour la victime.
En 2012, sa plainte initiale avait coïncidé avec l’abrogation du délit de harcèlement sexuel du Code pénal. Cela l’avait obligée à poursuivre sous d’autres qualifications : violences exercées sur un subordonné par un militaire pendant le service, non-respect du secret professionnel contre l’inspecteur du travail. Si les deux mis en cause ont été (légèrement) punis par leurs employeurs respectifs, la justice considère que « l’information judiciaire n’a pas permis d’établir la réalité des faits [ …] Aucun des témoins n’a confirmé avoir assisté aux comportements humiliants » dont est accusé le premier-maître, supérieur d’Isabelle. « Faux », rétorque Me Elodie Maumont, « et puis le parquet ne veut même pas voir la connotation sexuelle dans l’expression Little Minou. Il faut leur faire un dessin ? » Elle espère que le juge d’instruction Guillaume Bottino, qui décidera in fine du renvoi en correctionnelle ou non dans les prochaines semaines, « aura une lecture différente du dossier ».
Avocat du premier-maître, Me Olivier Rondu s’attendait « à ce probable non-lieu » et sait que son client contre-attaquera « par une plainte en dénonciation calomnieuse ». Me Joseph Roth, qui défend l’inspecteur du travail mis en cause pour avoir contacté le harceleur, « est satisfait que le parquet estime que son client n’a pas trahi son secret professionnel ». Ce que continue de réfuter Me Maumont : « Ils se connaissent avec le premier-maître et se sont contactés. C’est ce qui a provoqué l’arrêt maladie de ma cliente. »
(*) L’identité a été modifiée
Alain MORVAN
Source : L’Est Républicain
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