Guerre d’Ukraine – Jour 45 – Le jour où l’Union Européenne a révélé qu’elle ne voulait pas de la paix en Ukraine
- parcourrier-strateges
- 10 avril 2022
Chronique de la destruction consentie de l’Europe. – Depuis trente ans, les Etats-Unis n’ont qu’une obsession sur notre continent: empêcher l’émergence de cette « Europe européenne », que le Général de Gaulle appelait de ses voeux, fondée sur une sécurité qui devait aller « de l’Atlantique à l’Oural ». La guerre d’Ukraine est à la fois le sommet de la capacité de division américaine et le moment d’un potentiel retournement. Nous assistons non seulement à une révolution militaire russe (grâce aux armes hypersoniques) mais aussi à l’émergence d’un monde multipolaire dont le centre de gravité sera en Eurasie, au coeur du triangle constitué par la Russie, l’Inde et la Chine. La France a un énorme atout – elle est à la fois européenne et présente sur tous les océans du monde. Nous aurions toutes les raisons de jouer un rôle majeur dans le nouvel équilibre des puissances. Mais avant cela, il nous faut d’abord analyser et comprendre ce qui se passe sous nos yeux: le déclin inéluctable de la puissance américaine du fait de la dédollarisation du monde; l’auto-destruction de l’Union Européenne qui pousse les sanctions contre la Russie sur un mode « plus américain que les Américains »; le déclin de la puissance allemande qui a oublié la vieille sagesse de Bismarck, Willy Brandt et Gerhard Schröder – l’Europe va mal quand l’Allemagne et la Russie ne s’entendent pas ; mais aussi le réveil politique de l’Inde qui tient à distance le monde anglo-saxon; la remise en selle, malgré le COVID-19, que cela nous plaise ou non, de la Chine néo-léniniste; et, bien entendu, la résistance de la Russie aux sanctions. C’est à condition de comprendre le monde qui vient que la France saura y trouver sa place.
À Mariupol, des unités russes et de la Eépublique sécessionniste de Donetsk combattent à présent au coeur de la zone portuaire. D’intenses combats se poursuivent dans les environs de l’usine Azovstal encore contrôlée par les troupes kiéviennes.
“Selon le ministère russe de la Défense, au cours de la journée, plus de 80 civils, dont 14 enfants, ont été sortis des sous-sols des immeubles résidentiels situés près de la ligne de contact. Les forces dirigées par la Russie utilisent des véhicules blindés pour évacuer les civils“.
Et le feuilleton continue: “Le ministère russe de la défense a ajouté que dans la soirée du 8 avril, le gouvernement de Kiev a fait une nouvelle tentative infructueuse d’évacuer les [officiers des troupes kiéviennes] de Marioupol par la mer. Le navire ukrainien à cargaison sèche “Apache” (affecté au port maltais de La Valette, sous pavillon maltais) qui a participé à cette tentative a été arrêté par les forces russes.”
+ Ajoutons que les mercenaires étrangers sont désormais évalués à 200-300 hommes. Les Russes ont intercepté des messages dans six langues différentes, dont des langues européennes.
+ Des unités de la République sécessionniste de Donetsk, soutenues par les forces armées russes, combattent près de Mariinka et Avdiivka. “Néanmoins, aucun gain notable n’y a été signalé. Les deux zones sont bien fortifiées et utilisées par les forces armées ukrainiennes comme points forts pour ralentir l’avancée de la République populaire de Donetsk dans la région“.
On constate la réalité de la bataille qui commence. Les troupes ukrainiennes se sont incrustées dans le terrain du Donbass. L’armée russe aura certainement à déclencher une offensive de grande ampleur, accompagnée de frappes ciblées sur bastions, entrepôts, bunkers….
Elle aura sans doute d’autant moins de scrupules à déclencher une puissance de feu jusque-là inusitée par elle dans cette campagne que les soldats ukrainiens, en l’occurrence, ne sont pas cachés dans des villes. (A moins que les troupes kiéviennes se replient toutes dans Kramatorsk et Saviansk mais elles n’ont sans doute plus la possibilité de replis multiples en bon ordre.
+ Des combats intenses se déroulent également dans la zone située au sud de la ville d’Izoum (au sud de la région de Kharkov), qui est récemment passée sous le contrôle de l’armée russe. Selon les rapports, les unités avancées des forces armées russes ont déjà atteint la campagne des villes de Slaviansk et Kramatorsk. Toutefois, la situation dans la région reste floue et la prise d’assaut de ces bastions des forces de Kiev n’est pas probable dans les prochains jours“.
+ L’armée russe a frappé 65 installations militaires de l’Ukraine. dont quatre postes de commandement et centres de communication, trois entrepôts logistiques, ainsi que 41 points forts et zones de concentration d’équipements militaires.
L’Union Européenne, a tort d’encourager Kiev dans une propagande toujours plus invraisemblable
Le haut représentant de l’Union Européenne, le Catalan Josep Borrel a un mérite: il avoue dans le tweet que nous reproduisons ci-dessus que Bruxelles et la plupart des Etats-membres ne veulent pas faire la paix. A partir de là, deux interprétations sont possibles pour la phrase “This war will be won on the battlefield”: soit M. Borrel est guetté par une sorte d’intoxication à la propagande kiévienne; soit il encourage Zelenski dans l’illusion d’une victoire encore possible afin de prolonger la guerre et faire mal, si possible à la Russie.
Dans tous les cas, c’est assumer la souffrance du peuple ukrainien. Et puis, c’est prendre un risque considérable: la Russie peut désormais considérer que tous les Etats membres de l’UE sont dans la guerre. On comprend bien qu’ensuite Emmanuel Macron ou d’autres se cassent les dents sur un refus russes quand il demandent implicitement à pouvoir évacuer leurs ressortissants qui se trouveraient parmi les combattants.
+ De façon très curieuse, Johnson semble avoir oublié le Brexit et il s’aligne sur les positions de l’UE. A moins que ce soit ces dernières qui soient alignés sur les positions anglo-américaines. Le Premier ministre britannique était aujourd’hui à Kiev.
En fait, dans l’espace d’une journée, entre la visite d’Ursula von der Leyen et Josep Borell et celle de Boris Johnson, les Occidentaux se placent ouvertement en état de guerre avec la Russie.
Plusieurs remarques à cet égard:
- ce sont les mêmes dirigeants qui, naguère, ont enfermé leurs peuples durant des semaines entières pour lutter contre le COVID-19 qui désormais passent à l’extrême inverse et exposent ces mêmes peuples au risque d’une guerre nucléaire.
- Le comportement d’une Ursula von der Leyen, d’un Borrel, d’un Boris Johnson est le propre d’individus qui n’ont jamais fait la guerre et pour qui elle s’apparente à un jeu vidéo.
- La génération de dirigeants occidentaux actuels va léguer à ceux qui les suivront une tâche quasi-impossible: se réconcilier avec la Russie.
Mais pour comprendre en quelques mots les ressorts de ce qui se passe, il faut lire, une nouvelle fois, M.K. Bhadrakumar dans Indian Punchline:
La multiplication des accusations contre Moscou est aussi un moyen de dissimuler une défaite stratégique
“Ce qui est surprenant’, écrit Bhadrakumar, “c’est que dans les minutes qui ont suivi l’annonce de la nouvelle {de Bucha], des dirigeants occidentaux – chefs d’État, ministres des affaires étrangères, anciens responsables politiques – ont fait leur apparition avec des déclarations dûment préparées et uniquement basées sur des vidéos, des vidéos de quelques secondes et une série de photos, prêts à lancer des accusations. Aucun avis d’expert n’a été demandé, aucun travail médico-légal n’a été effectué, aucune occasion n’a été donnée aux accusés d’être entendus.
Le président français Emmanuel Macron a interrompu sa campagne électorale, où il est à égalité avec Marine Le Pen pour sa réélection lors du scrutin de dimanche prochain, pour qualifier les atrocités russes présumées de “crime de guerre”. Le chancelier allemand Olaf Scholz a fait de même, mais il est lui aussi en grande difficulté, car l’Allemagne affiche une inflation de +7,3 % en mars.
Il n’y a rien d’inhabituel à ce que des politiciens assiégés s’accrochent à des croquemitaines. Des esprits intelligents comme ceux de Macron et de Scholz doivent se rendre compte à présent que leurs politiques défectueuses ont conduit inexorablement à une telle défaite stratégique aux mains de la Russie. Mais la grande question est la suivante : pourquoi une telle mise en scène à ce stade ?
La fausse nouvelle a fait surface alors même que la phase 2 de l’opération spéciale de la Russie doit commencer dans la semaine dans la région orientale du Donbass. Quelque 60 à 80000 soldats ukrainiens, considérés comme les meilleures unités des forces armées, ont été encerclés dans le Donbass.
La ruse russe a porté ses fruits en immobilisant les forces ukrainiennes à Kiev le mois dernier. Lorsque la vérité a éclaté au grand jour pour les responsables de Kiev (et leurs “conseillers” occidentaux), le mal était fait. L’énormité de la situation qui en résulte nécessite quelques explications.
“La carte ci-dessus, reproduite du Novosti (malheureusement en langue russe) sur la situation exacte sur le terrain au 3 avril et le commentaire d’Ivan Andreev, un correspondant de guerre expérimenté qui a couvert les opérations russes en Syrie, donne une idée du chaudron dans le Donbass où la crème de la crème des forces ukrainiennes, qui comptent plusieurs divisions, est piégée, isolée par les forces adverses de sa base logistique et d’autres forces amies.
Le chaudron est assez grand, marqué de bandes bleues et noires sur la carte dans la partie supérieure de la région du Donbass, en direction de Kharkiv. La colonne russe massive qui s’est retirée de la région de Kiev il y a une semaine manœuvre en un grand arc de cercle vers ce chaudron en contournant Tchernihiv au nord et les villes de Sumy et Kharkiv (près de la frontière russe au nord-est).
Les forces ukrainiennes sont bien armées et se sont lourdement fortifiées, mais elles sont incapables de se sortir de ce piège. Il n’est pas non plus possible pour Kiev d’envoyer des renforts car la campagne à l’ouest est constituée de terres agricoles largement ouvertes (jusqu’au fleuve Dniepr). Les Russes ont la suprématie aérienne et il est impossible de cacher les mouvements de l’ennemi à leurs yeux perçants.
Au cours de la phase 1 de l’opération, les forces russes ont mis hors service tous les aéroports voisins et détruit systématiquement les réserves pétrolières ukrainiennes proches. Comme je l’ai écrit dans un blog précédent, il y a trois jours, les forces russes ont porté un coup dévastateur : “Notamment, l’aérodrome militaire de Mirgorod dans le centre de la région de Poltava, une plaque tournante d’importance stratégique, a été mis hors service et plusieurs hélicoptères de combat et avions ukrainiens trouvés dans ses parkings camouflés, ainsi que des dépôts de carburant et d’armes d’aviation ont été détruits.”
De même, Kharkiv a été encerclée et “lors d’une frappe de haute précision avec des missiles opérationnels-tactiques Iskander sur le quartier général de la défense dans la ville jeudi, “plus de 100 nationalistes et mercenaires de pays occidentaux” ont été confirmés comme tués.”
Néanmoins, on s’attend à ce que les forces ukrainiennes livrent un bon combat plutôt que de se rendre – bien qu’elles soient encerclées, sans couverture aérienne, et n’ayant pas la possibilité de faire tourner leurs forces ou de disposer de suffisamment de carburant pour s’engager dans une guerre de manœuvre et avec des munitions en voie d’épuisement.
Il est certain qu’une bataille majeure approche, la plus décisive de toute l’opération spéciale russe jusqu’à présent. Le hic, c’est que le chaudron compte également de nombreux établissements de population d’origine russe (y compris des détenteurs de passeports russes) et que l’offensive sera longue et patiemment exécutée pour éviter les pertes civiles ou la destruction d’infrastructures civiles.
En d’autres termes, la phase 2 pourrait durer jusqu’à un mois environ avant d’être achevée. Ne vous méprenez pas, les Russes doivent gagner ici (ce qu’ils feront) car ils briseront également les reins des forces armées ukrainiennes. Malgré toutes les fanfaronnades de Zelensky, Kiev se rendra compte de l’énormité de la défaite et ses mentors occidentaux verront également l’écriture sur le mur.
Il est certain que la stratégie occidentale consistera, pendant un mois, à produire sans cesse des “fake news” et à intensifier la guerre de l’information. Des opérations sous faux drapeau pourraient même être mises en scène sous la supervision d’agents des services de renseignement occidentaux.
Dans le pire des cas, Kiev pourrait même jouer sa dernière carte – les armes chimiques. La Russie a rendu publics les détails des sites où l’Ukraine a conservé des stocks d’armes chimiques. On sait que les États-Unis ont fourni, au titre de l’aide militaire, des équipements spéciaux (masques à gaz, vêtements de protection, etc.) pour faire face aux armes chimiques et ont dispensé une formation spéciale pour la protection collective.
L’alacrité avec laquelle Macron et Scholz ont consommé les fake news est le signe avant-coureur d’une nouvelle phase de la guerre de l’information. En résumé, il y a une prise de conscience sobre à Paris et à Berlin que l’opération russe atteint avec succès les objectifs fixés.”
Au fait, pourquoi n’avons-nous plus en France de telles têtes diplomatiques? Capables d’analyser aussi clairement une situation.
Bhadrakumar écrivait au début de la semaine. Entre temps, nous avons eu le coup de Kramatorsk. Mais pour donner un autre exemple, on me rapportait cet après-midi que l’OTAN fait circuler des accusations qui vont jusqu’à imaginer des soldats russes pédophiles. Il y a en fait une lutte, nous l’avons bien vu cette semaine, entre des accusations de plus en plus échevelées et le principe de réalité: on a vu aussi, cette semaine, le New York Times et d’autres médias évoquer des crimes ukrainiens. Il semblerait que, tout à l’excitation de la facilité avec laquelle ils entrainent les Occidentaux dans une russophobie gouvernementale, les Ukrainiens aient laissé circuler, par inadvertance, une vidéo où l’on voit les soldats ukrainiens disposer des corps à Bucha. Cela rappelle les manipulations par les rebelles de l’UCK de l’opinion occidentale pendant la guerre du Kosovo.
Et pendant ce temps, la révolution géopolitique et monétaire avance, inéluctable, aux dépens de l’Occident
Ci-dessus, la carte des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), qui vont structurer la nouvelle économie du monde.
Finissons de lire l’article d’Ellen Brown que nous avons longuement cité hier:
“Sergey Glazyev, mentionné par Hudson ci-dessus, est un ancien conseiller du président Vladimir Poutine et le ministre de l’Intégration et de la Macroéconomie de la Commission économique eurasiatique, l’organe de réglementation de l’Union économique eurasiatique (UEE). Il a proposé d’utiliser des outils similaires à ceux du « système américain », notamment en transformant la Banque centrale de Russie en une « banque nationale » émettant la propre monnaie de la Russie et des crédits pour le développement interne. Le 25 février, Glazyev a publié une analyse des sanctions américaines intitulée « Sanctions et souveraineté », dans laquelle il déclare :
« Les dommages causés par les sanctions financières américaines sont inextricablement liés à la politique monétaire de la Banque de Russie … Son essence se résume à lier étroitement l’émission du rouble aux recettes d’exportation et le taux de change du rouble au dollar. En fait, une pénurie artificielle d’argent est créée dans l’économie, et la politique stricte de la Banque centrale entraîne une augmentation du coût des prêts, ce qui tue l’activité commerciale et entrave le développement des infrastructures dans le pays. »
Glazyev a déclaré que si la banque centrale remplaçait les prêts retirés par ses partenaires occidentaux par ses propres prêts, la capacité de crédit russe augmenterait considérablement, ce qui empêcherait une baisse de l’activité économique sans créer d’inflation.
La Russie a accepté de vendre du pétrole à l’Inde dans sa propre monnaie souveraine, la roupie, à la Chine en yuan et à la Turquie en lira. Ces monnaies nationales peuvent ensuite être dépensées pour acheter les biens et services vendus par ces pays. On pourrait soutenir que chaque pays devrait être en mesure de commercer sur les marchés mondiaux dans sa propre monnaie souveraine ; c’est ce qu’est une monnaie fiduciaire – un moyen d’échange soutenu par l’accord de la population de l’accepter comme valeur pour ses biens et services, soutenu par la « pleine foi et le crédit » de la nation“.
Une autre prise de position très lucide, trouvée dans Zero Hedge:
“Les grands médias n’en ont pas encore pris conscience et continuent de relater la bataille d’hier. Mais en mars, l’administration américaine a prononcé l’arrêt de mort de sa propre hégémonie dans un dernier coup de dés désespéré sur le dollar. Non seulement elle a mal interprété la situation de la Russie en ce qui concerne son économie, mais l’Amérique a cru à tort en sa propre puissance en sanctionnant la Russie et les oligarques de Poutine.
Elle a peut-être réussi à bloquer partiellement les volumes d’exportation de la Russie, mais la compensation est venue de la hausse des prix unitaires, au bénéfice de la Russie et au détriment de l’alliance occidentale.
La conséquence est une bataille finale dans la guerre financière qui se prépare depuis des décennies. On ne sanctionne pas la plus importante source d’exportation d’énergie au monde et le fournisseur marginal d’un large éventail de produits de base et de matières premières, y compris les céréales et les engrais, sans nuire à tout le monde sauf à la cible visée. Pire encore, la cible visée a en la Chine un ami extrêmement puissant, avec lequel la Russie est partenaire dans le plus grand bloc économique du monde – l’Organisation de coopération de Shanghai – qui commande un marché en développement de plus de 40 % de la population mondiale. C’est l’avenir, pas le passé : le passé, c’est l’esprit occidental, la fiscalité punitive, les économies dominées par l’État et sa bureaucratie, le socialisme anticapitaliste, et les arbres magiques à fric pour aider à payer tout cela.
Malgré cet énorme trou dans le filet des sanctions, l’Occident ne s’est donné d’autre choix politique que de tenter de renforcer encore les sanctions. Mais la réponse de la Russie est dévastatrice pour le système financier occidental. En deux annonces simples, en liant le rouble à l’or pour les établissements de crédit nationaux et en insistant sur le fait que les paiements pour l’énergie ne seront acceptés qu’en roubles, elle met fin à l’ère du dollar fiduciaire qui a régi le monde depuis la suspension de Bretton Woods en 1971 jusqu’à aujourd’hui”.
Statue à Odessa du duc de Richelieu, gouverneur de la Nouvelle Russie entre 1803 et 1814
Source : Le courrier des stratèges
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