Grièvement blessé en service, un policier se bat pour être indemnisé
Grièvement blessé à la tête, Yann Saillour (ici avec son père) a survécu, mais en a gardé d’importantes séquelles. DR
Jean-Jacques Saillour, 67 ans, est le père de Yann, un fonctionnaire grièvement blessé en service. Lui-même ancien policier, il raconte le combat de son fils contre la mort, la souffrance et l’État qui rechigne à l’indemniser comme un citoyen normal.
C’était le 5 octobre 2015. Yann Saillour, ex-fonctionnaire de la brigade anticriminalité (Bac) de Paris et père de famille de 38 ans, était grièvement blessé lors d’un braquage à Saint-Ouen par un voyou multirécidiviste, en fuite depuis une permission. À l’époque, l’affaire Saillour avait créé un immense mouvement de protestation chez les policiers qui s’étaient mobilisés sous les fenêtres de la garde des Sceaux.
Trois ans plus tard, le policier n’a toujours pas été indemnisé. Le 28 septembre, la Commission d’indemnisation des victimes d’infractions (Civi) de Bobigny a débouté le fonctionnaire de sa demande au motif qu’il bénéficie déjà d’une protection fonctionnelle. Son avocat, Me Colin Le Bonnois a fait appel. En moyenne, cette protection serait entre 50 et 60 % moins élevée que celle de la Civi. Plusieurs fonctionnaires, gravement blessés en service, se sont vus refuser ces deniers mois une indemnisation, via la Civi, pour le même motif.
Comment va votre fils ?
JEAN-JACQUES SAILLOUR. Il est vivant, et c’est le plus important. Le braqueur lui avait tiré dessus trois fois. La première balle est entrée dans le canon de son arme et l’a rendue inactive. La deuxième a traversé sa mâchoire pour ressortir par le nez, la troisième, tirée pour l’achever, s’est logée dans le cerveau. Quand mon fils est arrivé à l’hôpital, le chirurgien nous a dit : « Il devrait être mort, il n’en a plus que pour quelques heures ». Mais il a survécu. Et il s’est réveillé après trois semaines de coma. Il le doit à son hygiène de vie, mais aussi aux premiers gestes d’un collègue tout frais débarqué en Seine-Saint-Denis.
C’est-à-dire ?
C’était un ancien militaire, rompu aux théâtres de guerre, qui avait sur lui une trousse de secours d’urgence. Par ailleurs, plusieurs autres policiers se sont relayés pour lui retirer le sang de sa gorge dans l’attente de l’arrivée des pompiers. Un vrai esprit de corps. Lorsque Yann a quitté l’hôpital Beaujon de Clichy sur un brancard pour les Invalides, ses camarades dont certains pleuraient, ont fait une haie d’honneur. Au total, Yann est resté hospitalisé durant deux ans, aux Invalides puis à Caen (Calvados). Evidemment il garde des séquelles irréversibles.
Quelles sont-elles ?
Tout le côté droit de sa vision est amputé. Il lui est impossible de lire alors qu’il parvient à écrire. Il doit tout décomposer, syllabe par syllabe, comme un enfant. Il ne peut plus conduire ni courir. Le simple fait de traverser une rue est difficile. Il souffre de maux de tête quotidiens à cause des fragments de balle qui sont restés dans son crâne. Ses problèmes cognitifs et visuels empêchent toute autonomie. Il ne peut plus boire, par exemple, une boisson chaude sans ressentir une décharge électrique dans le crâne. C’est un combat de tous les jours. Un combat contre lui-même, contre la souffrance, contre l’administration.
Avez-vous reçu le soutien du ministère de l’Intérieur ?
La Place Beauvau a toujours répondu présent, à la fois moralement et au niveau logistique. Mon fils a été décoré de la Légion d’honneur et il est passé officier. Il est aujourd’hui capitaine et travaille dans la formation. Bernard Cazeneuve est régulièrement venu au chevet de mon fils à l’hôpital, et ce sans tambour, ni trompette.
Où en est-il pas rapport à son indemnisation ?
Trois ans après le drame, alors que les complices du meurtrier ne sont plus très loin de leur sortie de prison, mon fils n’a toujours pas été indemnisé. Il ne fait pas la mendicité. Il ne demande pas à être plus riche, il cherche simplement à retrouver une vie à peu près similaire à celle qu’était la sienne avant qu’on lui tire dessus. Il a besoin d’aide – ce qui représente un coût – pour combler son manque d’autonomie. Croyez-moi, il préférerait courir après les voyous dans les rues. C’est un homme d’engagement et de conviction. Il reste policier 24 heures/24, engagé dans la formation. Malgré son handicap, il a créé une mallette pédagogique pour sensibiliser les policiers sur le risque d’intervention sur la voie publique. Aujourd’hui, il travaille à plein temps, car son salaire, quand il était à mi-temps, était moins élevé que sa prime d’invalidité.
Vous êtes en colère ?
Je suis écœuré. Je ne comprends pas que l’on soit obligé de se battre pour obtenir une indemnisation décente. Le policier risque sa vie pour protéger la société, mais il n’est pas protégé par celle-ci. Alors que notre société est confrontée à une violence toujours plus importante, l’État essaie de faire des économies sur le dos des policiers gravement blessés en service. C’est scandaleux lorsque l’on sait à quel point le processus d’indemnisation compte dans la reconstruction d’une victime. C’est la double peine.
Source : Le Parisien
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