Gilets jaunes fichés par l’AP-HP : un urgentiste dénonce une « violation complète du secret médical »
L’urgentiste Gérald Kierzek est « consterné ». C’est lui, en prenant son tour de garde aux urgences le 16 avril dernier qui a découvert que l’AP-HP avait activé l‘application SI-VIC, un fichier prévu initialement pour suivre les victimes en cas d’attentat terroriste. Sauf que depuis décembre, à l’initiative du ministère de la Santé, de samedi en samedi, ce fichier a bel et bien servi à tracer les gilets jaunes passés par l’hôpital. « Il y a leurs noms, leurs signes distinctifs, leurs blessures, confie le médecin à Marianne. Le système informatique est même prévu pour que dès qu’un service d’urgence enregistre une fiche, elle aille directement à la direction générale de la Santé et même au dessus. En clair, chaque service d’urgence peut permettre de localiser les blessés gilets jaunes … En violation complète du secret médical », peste l’urgentiste, « effaré ».
Selon lui, aucun des 17 chefs de service d’urgence de la région parisienne n’a osé dénoncer l’opération. Il a fallu qu’il tweete, puis que le Canard Enchaîné révèle l’existence de l’utilisation de ce fichier pour que l’AP-HP s’exprime. Une communication à reculons… Dans un premier temps, à Libération le 14 avril, le patron des hôpitaux parisiens, Martin Hirsch, a d’abord juré que les données n’étaient pas nominatives. Il se serait agi, selon le patron de l’AP-HP, d ‘un simple fichier permettant de dresser un tableau clinique des blessures. Puis après une deuxième fuite du Canard révélant que les fichiers contenaient bel et bien les noms de patients, l’assistance publique a changé son fusil d’épaule. Dans un communiqué du 20 avril, l’AP-HP, a reconnu l’existence de données nominatives, mais niant les données médicales, assurant que le SI-VIC était utilisé dans « le respect du secret médical ».
Patatras, les derniers extraits publiés par le Canard de cette semaine démontrent le contraire. La colonne « commentaires » reste truffée de données strictement médicales, portant bien sur la nature des blessures prises en charge : « tir flash Ball, plaie arcade », « flash Ball cuisse », « problème au poignet (suite coup de matraque) » .
« Une dérive dangereuse »
« On marche sur la tête », s’emporte Gérald Kierzek, dénonçant à Marianne « une dérive dangereuse ». « Bien sûr, c’est grave, ajoute-t-il. Le secret médical ne peut se lever que dans des cas extrêmement précis. Par exemple, si un enfant est en danger. Mais que l’hôpital devienne un centre de tri potentiel de la police, c’est anormal. Sans secret médical, les gens ne viendront plus se soigner ».
L’ordre des médecins, de son coté, a déjà mis en garde l’AP-HP de l’utilisation dévoyée de ce fameux fichier. La CNIL n’avait d’ailleurs autorisé son utilisation qu’après information des patients. Ce qui ne semble pas avoir été effectué. « Le pire, c’est que pénalement parlant, chaque médecin qui remplit ce document peut se retrouver poursuivi », se désole Gérald Kierzek.
Une pratique « inappropriée »
Dans un dernier communiqué en date, de ce mercredi 24 avril, l’AP tient cette fois une troisième version. Selon l’assistance publique, ce sont les soignants qui auraient mal compris les consignes. Reconnaissant que les onglets « commentaires » de l’application « ont pu être utilisés pour mentionner des éléments de nature médicale », l’AP admet désormais une pratique « inappropriée », mais certifie que cela n’a été le cas que « de façon marginale ». Dans une contorsion de communication, l’Assistance publique admet pourtant qu’un mémo de la direction accompagnait le fichier, précisant « que la case « commentaire » pouvait servir à « ajouter toutes les informations utiles concernant la pathologie ou le type de blessure ». L’exacte définition des informations couvertes par le secret médical…
Reste une série de questions : qui a demandé la mise en œuvre de ce fichier ? Le ministère de la Santé, ou même du ministère de l’Intérieur ? Autre inconnue à ce jour, que sont devenues les données collectées depuis décembre 2018 ? Un gilet jaune hospitalisé le 9 février dernier, ayant décidé de déposer plainte, la justice devrait chercher à comprendre. Si elle fait preuve de curiosité…
Source : Marianne
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