Frédéric Veaux : un « flic de carrière » chargé de réformer la maison police
Les flics ont un nouveau patron. Un des leurs. Un ancien de la police judiciaire, passé par la DGSI et devenu préfet. Il s’appelle Frédéric Veaux. Après plusieurs semaines de tergiversations au sommet de l’Etat, c’est finalement lui qui a été choisi pour succéder à Eric Morvan au poste de directeur général de la police nationale (DGPN).
En décembre, Eric Morvan a décidé de jeter le gant et de quitter la scène sans tambour ni trompette, sans pot de départ et sans explication. Les syndicats de police, depuis plusieurs semaines, le disent « éreinté et amer ». Lui, selon son entourage, dément les deux termes. « Le directeur est en pleine forme, mais il est tout simplement fatigué de l’absence de volonté politique pour réformer la police, confie un de ses proches. Selon cette source, Eric Morvan a proposé plusieurs chantiers depuis deux ans, mais rien n’a vraiment suivi. Il en a eu par dessus la casquette… »
Réformer la préfecture de police de Paris
Autre raison avancée du « ras-le-bol » du DGPN démissionnaire, ses relations avec Christophe Castaner, pas toujours au beau fixe. Tout comme celles avec le préfet de police de Paris, Didier Lallement. Carrément orageuses. « Il y a eu un coup de téléphone au cours duquel ils se sont échangés des noms d’oiseaux et qui s’est très mal terminé », confie une source au ministère de l’Intérieur. Les raisons de ce bras de fer ? Dans le cadre du livre blanc de la police, en cours de discussion, il est question de réformer la puissante préfecture de police de Paris. « Cela provoque des réticences de la part du préfet de police, qui ont entrainé de grosses tensions avec le DGPN, explique un syndicaliste. Sur le papier, le directeur général de la police est ‘au-dessus’ du préfet, mais dans les faits, le préfet de police est à la tête d’un Etat dans l’Etat. » « Ubuesque ! » selon Eric Morvan.
D’autant qu’avec la montée de la délinquance à Paris, la future création d‘une police municipale, et la nécessité de mieux articuler les forces policières, la réforme de la préfecture paraît… une nécessité. « Eric Morvan trouve navrant les blocages venus de la PP et l’absence de recadrage politique devant ces désaccords», dit un de ses proches. « Il est tout aussi contrarié, depuis des mois, par les doublons entre la police et la gendarmerie ! Un exemple, pourquoi la police de son coté et la gendarmerie de l’autre ont chacun leurs propres équipes techniques et scientifiques et leurs experts en informatique ! Cela paraît évident, là encore, qu’il faut réorganiser. Mais, selon Eric Morvan, faute de volonté politique rien ne bouge… »
Les questions demeurent
Le directeur change, mais les questions demeurent. C’est désormais Frédéric Veaux qui va devoir gérer les sujets qui ont eu raison de son prédécesseur. Ce Bordelais d’origine a pour lui de bien connaître la boutique. Il a deux cordes à son arc : une solide expérience en police judiciaire (il a été en poste à Lille et en Corse notamment) et dans le renseignement. Proche de Bernard Squarcini au moment de l’arrestation d‘Yvan Colonna, Frédéric Veaux devient en 2010 l’adjoint du directeur du nouveau service de renseignement intérieur voulu par Nicolas Sarkozy, fusion des RG et de la DST. « Au départ, Veaux n’avait pas d’expérience en matière de renseignement. Squarcini l’a choisi comme numéro 2 parce qu’il estimait que c’était un professionnel et quelqu’un de confiance, raconte un proche des deux hommes. En outre, Squarcini avait anticipé la judiciarisation des questions de renseignement, et l’expérience de Veaux en matière de PJ lui a été utile.»
Mais à la chute du « Squale », dans les premiers jours de l’ère Hollande-Valls, son adjoint prend la direction du placard. « Valls a refusé de nommer Frédéric Veaux préfet, et il est retourné à son corps d’origine, la DCPJ ». Il y restera quatre ans, entre 2012 et 2016, avant d’obtenir ses galons de préfet et d’hériter du poste… de Laval en Mayenne. Pas franchement un spot de grande délinquance ou de risque terroriste, la préfecture de Laval est réputée calme. Pourtant Frédéric Veaux va y gérer une crise nationale : l’affaire Lactalis et la contamination à la salmonelle d’une usine de lait pour bébé. C’est lui, à la tête des services sanitaires, qui décide la fermeture de l’usine de Craon… « Frédéric Veaux est un homme de sang froid », dit un ancien collaborateur. Nommé en janvier 2019 à Mont-de-Marsan, dans les Landes, il n’y connait pas de grosses manifestations de gilets jaunes.
Un nom en haut de la « short list »
« Quand au début de l’année, il a fallu chercher un successeur à Eric Morvan, son nom est apparu dans la première short list », raconte un policier du ministère. Frédéric Veaux a alors rencontré Christophe Castaner et Laurent Nunez, mais cela ne s’est d’abord pas forcément bien passé. D’autant que la première consigne venue de l’Elysée était alors de trouver un « jeune »… Depuis trois semaines, une grosse douzaine de candidatures ont donc été étudiées. Le président a personnellement conduit quelques entretiens individuels… Pour finalement revenir à un des trois choix de départ. « Frédéric Veaux a de l’expérience, et dans le contexte cela reste un atout. D’autant qu’à 63 ans, en cas de désaccord, il pourra dire non…» confie une source syndicale.
Rarement un DGPN n’aura pris les rênes de la maison police dans une situation aussi tendue. Tant en interne, qu’en externe puisqu’avec la crise des « violences policières », le baromètre de confiance des français envers leur police serait en chute libre. « J’appelais de mes vœux la nomination d‘un ‘flic de carrière’ à ce poste ce qui est le cas », se réjouit David Le Bars, le patron du syndicat des commissaires, qui espère que le choix d’un « policier expérimenté » sera « un signal de réforme ambitieuse ». Frédéric Veaux, nommé aujourd’hui en conseil des ministres, devrait partager le petit bureau de DGPN avec Eric Morvan jusqu’au départ de celui-ci le 7 février. Le temps d’une passation de pouvoir.
Source : Marianne
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