Fraude au CPF ou faux messages de la gendarmerie… Sur internet les arnaques s’adaptent
Avec la crise sanitaire, les tentatives d’arnaques visant les internautes français se multiplient et s’adaptent aux nouveaux secteurs lucratifs.
Impossible d’y échapper : en naviguant sur internet ou les réseaux sociaux, en consultant une messagerie électronique, ou encore plus simplement en répondant au téléphone, les sollicitations frauduleuses sont quotidiennes. Depuis quelques années, plus de la moitié des arnaques ont lieu sur internet (51%), loin devant les arnaques par téléphones et SMS (21%). Les plus sophistiquées combinent désormais plusieurs supports.
Fraude au compte personnel de formation
L’un des exemples récents est le démarchage téléphonique, direct ou consécutif à un formulaire rempli sur internet, qui vise à proposer des formations via le compte personnel de formation (CPF). Ce dispositif destiné aux salariés et aux chômeurs permet de se former tout au long de sa carrière. Depuis 2019, les crédits de formation sont en euros et sont directement utilisables par les bénéficiaires sur la plateforme Mon compte formation. Si la réforme avait pour objectif de démocratiser le recours au dispositif, elle a aussi involontairement donné le coup d’envoi à une véritable chasse frauduleuse aux comptes. En effet, il en existe 38 millions de comptes déjà actifs ou en attente d’activation. Chacun d’entre eux est crédité de 500 à 800 euros par an, jusqu’à un plafond de 5 000 euros. « Six mois après la mise en place de Mon compte formation, on a vu arriver des victimes qui nous disaient qu’elles s’étaient fait pirater leur compte par des escrocs », se souvient Jean-Jacques Latour, responsable expertise cybersécurité de la plateforme cybermalveillance.gouv.fr.
Les premiers mois, les arnaqueurs ont profité de la méconnaissance du dispositif pour soutirer par téléphone les numéros de sécurité sociale des victimes, sésame indispensable pour créer son compte CPF. Ensuite, il suffisait d’inscrire les victimes, à leur insu, à des formations fantômes et coûteuses pour vider le solde du compte. Mais, très vite, les bénéficiaires ont été alertés par cette pratique et les fraudeurs ont adapté leur stratégie. Désormais, ils proposent d’accompagner les victimes dans la création de leur compte, mais aussi dans le choix d’une formation, généralement à distance, dont le contenu est invérifiable. Une zone grise qui rend les contestations plus difficiles. « Une personne a commandé une formation en anglais qui a coûté 3 000 euros et elle a reçu une présentation PowerPoint de deux slides, indique Jean-Jacques Latour. Et donc, effectivement, elle a bien eu une formation… »
La Caisse des dépôts et consignations (CDC), qui gère la plateforme Mon compte formation, estime à plus de 15 000 le nombre de comptes ayant fait l’objet de « situations anormales », pour un préjudice qui dépasse les 15 millions d’euros. Une somme « à rapporter aux 2,5 milliards d’euros de dépenses en 2021 », tempère Michel Yahiel, directeur des politiques sociales de la CDC. « Quand on vous parle du CPF au téléphone, vous devez avoir un réflexe à mettre en place, c’est de raccrocher », conseille-t-il. Les vagues d’appels intempestifs pourraient drastiquement diminuer avec l’interdiction du démarchage dans le cadre du Compte personnel de formation actuellement à l’étude.
Les arnaques du quotidien
Une autre escroquerie en vogue prend la forme d’une « convocation » de la gendarmerie envoyée par messagerie électronique. On y lit que le destinataire a été surpris sur des sites pédopornographiques et doit s’acquitter d’une amende sous peine de poursuites judiciaires. Ces messages ne sont pas nouveaux. Ils sont très souvent envoyés depuis la Côte d’Ivoire par des « brouteurs ». Mais la nouvelle vague de messages expédiés depuis le mois d’août 2020 se distingue par « la massification, c’est-à-dire le volume d’e-mails transmis », analyse le capitaine Matthieu Audibert du commandement de la gendarmerie dans le cyberespace. Plusieurs enquêtes judiciaires sont en cours à ce sujet.
Quand les tentatives d’extorsion ne se retrouvent pas dans les messageries, elles prennent souvent la forme de faux sites marchands sur internet. C’est l’autre grande tendance des arnaques du quotidien auxquelles sont exposés les internautes, notamment au moment des périodes de soldes. « Les délinquants créent en moyenne entre 50 et 100 sites par jour parce que leur durée de vie va être, pour la plupart, relativement courte », alerte Laurent Amar, cofondateur de France Verif, une plateforme antifraude. Ils usurpent des vrais sites marchands ou se font passer pour des petits commerces en ligne. Ces sites sont devenus « totalement indécelables à l’œil nu » et « extrêmement faciles à réaliser » selon l’expert. Une fois les sommes empochées, les escrocs disparaissent avec l’argent.
Des trottinettes électriques aux masques anti-covid
Sur certains sites, l’arnaque est plus difficile à caractériser. Quelques clients vont être livrés, avec du retard ou vont recevoir des produits de mauvaise qualité, tandis que la majorité des commandes ne sera pas honorée. C’est ce qui est arrivé à Annie lorsqu’elle a voulu commander une trottinette électrique sur internet. « C’était pour Noël, raconte-t-elle. Je l’ai achetée 290 euros environ. On nous a dit qu’il fallait se reporter au site et on a vu que les containers avaient du retard. On a attendu et on n’a rien reçu. » Après plusieurs semaines, elle se renseigne sur internet et découvre qu’elle n’est pas seule dans ce cas. Même si quelques clients semblent avoir été livrés. « C’est véritablement ça qui est ingénieux, explique Laurent Feldman, avocat de plusieurs dizaines de clients lésés qui ont porté plainte contre le gérant du site. Vous commandez, vous payez, et pour une certaine partie des clients, vous êtes livrés. Mais pour 80% des gens qui commandent, vous n’avez rien, ni livraison ni remboursement. » Escroquerie ou simple difficulté économique ? La justice a finalement condamné le gérant, Victor G., pour pratiques commerciales trompeuses en 2019.
Mais le Français est de nouveau au centre d’une affaire judiciaire depuis 2020. À l’époque, il propose via plusieurs sites marchands en France et en Europe des masques, du gel hydroalcoolique ou encore des tests de dépistage du Covid-19, alors que ces produits manquaient cruellement en France. « Les gens se sont précipités, se souvient Me Laurent Feldman. Certains ont été livrés de masques dont la provenance était très suspecte, c’était du matériel inutilisable. La très grosse majorité n’a jamais été livrée. » Contacté, le gérant réfute les accusations et met en avant des problèmes économiques. « Effectivement, j’ai échoué une fois, j’ai connu des difficultés, se défend-il. J’ai sans doute commis des erreurs, mais je le reconnais. On a tous le droit de se planter et je me suis planté. Cela ne fait pas de moi un escroc. »
Selon les informations de la Cellule investigation de Radio France, Victor G. a été mis en examen dans cette affaire pour escroquerie en bande organisée, faux, usage de faux et pratiques commerciales trompeuses notamment. Il reste présumé innocent.
La fraude aux investissements
Moins massives, mais financièrement plus dévastatrices, les arnaques aux investissements constituent l’autre pan des escroqueries sur internet. Elles prennent la forme de publicité en ligne pour des placements à la fois sécurisés et fortement rémunérés. Cheptels bovins, whisky, diamant… Tout est prétexte à l’investissement frauduleux. Ces dernières années, des escrocs ont profité de l’envolée du bitcoin pour proposer à leurs victimes d’investir dans les cryptomonnaies. Intéressée par le sujet, Sarah* s’est « laissée informer » par un interlocuteur rencontré sur les réseaux sociaux. Il lui raconte volontiers comment il arrondit les fins de mois grâce à des placements dans les cryptomonnaies sur internet. Après plusieurs semaines de discussions, la victime, juriste de profession et mère de famille, se laisse tenter. Elle s’inscrit sur le site indiqué par son « conseiller » et place 400 euros. « Au début j’étais méfiante, je ne voulais pas mettre une grosse somme », indique-t-elle. Rapidement, elle voit apparaître sur son tableau de bord en ligne un rendement « correct par rapport à la somme investie ».
L’Autorité des marchés financiers (AMF) ne connaît que trop bien ce type de récit. Au fil des ans, le régulateur boursier a reçu les témoignages de nombreuses victimes d’arnaques aux investissements. La technique des escrocs est désormais bien connue. « Vous avez l’impression qu’ils ne vous demandent pas grand-chose, mais ce sont des techniques du type ‘pied dans la porte’, décrit Claire Castanet, directrice des relations avec les épargnants à l’AMF. On vous incite au départ à verser un peu d’argent. Après cette phase de mise en confiance qui vous a fait baisser votre vigilance, vous vous retrouvez finalement avec des sommes très importantes, qui ont été investies complètement à perte. »
C’est exactement ce qui est arrivée à Sarah. Après les premiers tests concluants, elle décide d’investir 10 000 euros. Une somme qui « dormait sur un livret à la banque et qui ne rapportait pas grand-chose là-bas ». Quelques jours après, elle souhaite retirer ses gains, mais la plateforme d’investissement invoque une taxe à payer de plusieurs milliers d’euros, puis une certification. « Il fallait absolument que je récupère ma mise de départ. J’étais dans un engrenage, alors j’ai payé », avoue-t-elle, écœurée. Mais ce n’est pas suffisant : la plateforme lui demande ensuite de faire un nouveau dépôt de 20 000 euros, avant de retirer son argent. Cette fois, elle comprend qu’il s’agit d’une arnaque et qu’elle ne reverra jamais son investissement. Le site était en réalité la copie d’une vraie plateforme de trading de cryptomonnaies. Cette mésaventure a coûté 36 000 euros à Sarah : « C’est une somme colossale pour moi. » Elle a décidé de porter plainte. Elle reçoit toujours des messages de celui qui l’a incitée à investir. Il lui explique qu’elle peut encore récupérer son argent si elle accepte de réinvestir sur une nouvelle plateforme de trading.
Deux autres arnaques à l’investissement ont fait des dégâts ces dernières années en France. En 2020, des épargnants croient faire une bonne affaire en plaçant de l’argent dans des places de parkings d’aéroports en Europe. Bilan : 50 000 euros de préjudice en moyenne par victime. Puis en 2021, c’est un investissement dans des chambres en Ehpad qui est proposé à des internautes crédules. Cette fois, l’arnaque coûte 70 000 euros en moyenne par dossier.
Pour réussir à les convaincre, les criminels s’appuient sur un discours de défiance à l’égard des banques. « C’est un grand classique de dire ‘ne faites pas confiance au secteur financier qui vous refuse des placements intéressants’ », explique Patrick Montagner, premier secrétaire général adjoint de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), le régulateur bancaire. Un discours porteur dans un contexte où les Français amassent de l’épargne tandis que les rémunérations des livrets restent très faibles.
Des enquêtes longues et incertaines
Ces arnaques sont le fait de réseaux criminels organisés. Le parquet de Paris estime leur préjudice à 500 millions d’euros par an. Avec des conséquences qui ne sont pas seulement financières. « On qualifie maintenant de plus en plus ces escroqueries, avec des faits de violences volontaires, parfois même ayant entraîné la mort dans certains dossiers, ou pour des faits d’extorsion, précise Nicolas Barret, premier vice-procureur au parquet de Paris. Quand une victime commence à être un peu réticente, elle se voit complètement pressurisée par téléphone et reçoit même des menaces. Donc on a des personnes qui vont perdre en poids, en santé, jusqu’à éventuellement décéder. »
Mais les enquêtes sont souvent compliquées. Il est difficile d’identifier les auteurs, souvent basés à l’étranger. « En Afrique de l’Ouest ou en Israël », précise Anne-Sophie Coulbois, commissaire divisionnaire à la tête de l’Office central de répression de la grande délinquance financière (OCRGDF). Le délai entre les premiers faits d’escroquerie et le moment où la victime va comprendre ce qu’il lui est arrivé, réduit également les chances de résoudre les affaires. D’où un appel à la vigilance de la part des autorités. Avec un conseil : face à une offre trop alléchante, il vaut mieux couper court à la discussion. Selon une étude de l’AMF, en gardant le contact avec l’interlocuteur, il y a une chance sur deux pour que l’on soit victime d’une arnaque.
*Le prénom a été modifié
Source : France TV Info
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