Expulsion des étrangers coupables de violences sexuelles : qu’a réellement « obtenu » Marlène Schiappa ?
La nouvelle ministre déléguée a répété, pas peu fière, une de ses victoires personnelles lorsqu’elle était secrétaire d’Etat : les étrangers coupables de violences sexuelles et sexistes seront « expulsés » du sol français. Mais que cache cette annonce ? Pas grand chose qui n’existe déjà.
Dans les colonnes du Journal du Dimanche daté du 12 juillet, Marlène Schiappa, récemment promue ministre déléguée auprès du ministre de l’Intérieur, a eu cette sortie qui a fait bondir : « L’an dernier, j’ai obtenu que soit actée l’expulsion des étrangers coupables de violences sexuelles et sexistes. C’est du bon sens : si la maison de votre voisin s’effondre, vous l’accueillez. Mais s’il se met à tabasser votre sœur, vous le virez ! »
Presque aussitôt, le 15 juillet, dans une tribune parue sur le site du même hebdomadaire, plusieurs militantes l’ont accusée de « fémonationalisme », de piloter des « diversions xénophobes », de réveiller le spectre de la « double peine ». Elles entendent par là qu’un étranger condamné par la justice écopera donc non seulement d’une peine pénale classique (prison, sursis, amende…), mais sera, en plus, expulsé du pays où il vit.
Bouillonnement tardif. Car cette annonce de Schiappa n’est pas neuve. C’est la répétition d’une intention formulée lors d’un entretien à Marianne en novembre 2019, où elle plaidait, pas peu fière, avoir arraché une « tolérance zéro vis-à-vis des actes de violences contre les femmes » à Edouard Philippe, alors Premier ministre. « Je ne vois pas qui pourra honnêtement nous dire qu’un citoyen étranger qui a violé une femme peut rester sur le territoire sans que cela pose problème ! », ajoutait celle qui était à l’époque secrétaire d’Etat chargée de l’égalité homme-femmes.
Mais la reprise, un peu partout, de cette sortie tonitruante, occulte un point qui est peu clair : qu’a réellement « obtenu » Marlène Schiappa ? Sans doute déjà ces deux petites phrases, glissées en fin de page parmi les 24 du compte-rendu du comité interministériel sur l’immigration organisé le 6 novembre 2019, sous la houlette de Philippe : « Les étrangers posant de graves problèmes d’ordre public doivent être éloignés. Ce sera le cas, désormais, des hommes condamnés pour violences sexuelles ou sexistes ». Comment cela sera-t-il fait ? Quelles « violences sexuelles et sexistes » sont ciblées ? Le document ne le dit pas. D’autant que cette expression est susceptible de désigner toute une palette d’infractions, allant des viols au harcèlement sexiste en passant l’exhibition sexuelle — un étranger exhibitionniste sera-t-il reconduit à la frontière ? Le flou règne. Le cabinet de Marlène Schiappa n’a pas eu d’éléments supplémentaires à fournir à Marianne, estimant qu’elle avait « déjà répondu » à cela.
Pas vraiment… Mais la source de ce mutisme se trouve peut-être ailleurs. Car ce que la ministre présente comme une victoire personnelle, tout en précisant que cela sera mis en œuvre « dans les meilleurs délais », « cela existe déjà », observe Denis Seguin, avocat au barreau d’Angers, et spécialiste en droit des étrangers. « Il y a un certain nombre d’infractions, notamment à caractère sexuel, pour lesquelles cette possibilité est déjà prévue par les textes : viols, viols aggravés, agressions sexuelles sur mineurs de moins de 15 ans ou sur personne particulièrement vulnérable, âgée ou malade », énumère le pénaliste.
Cette peine déjà existe pour les étrangers violeurs
Et pour cause : depuis 1970, n’importe quel tribunal et n’importe quelle cour d’assises est en droit de décerner une « interdiction de territoire français » (ITF), comme le dispose l’article 131-30 du Code pénal : « La peine d’interdiction du territoire français peut être prononcée, à titre définitif ou pour une durée de dix ans au plus, à l’encontre de tout étranger coupable d’un crime ou d’un délit. »
Sans être exhaustif, cette peine « complémentaire » peut donc être prononcée contre les étrangers auteurs de crimes sexuels, de certaines agressions sexuelles, mais aussi pour les meurtriers, les proxénètes, trafiquants, espions ou terroristes. Au juge pénal de statuer : en vertu de la séparation des pouvoirs, ni Marlène Schiappa ni aucun autre membre de l’exécutif ne peut dicter ses décisions à un juge.
Mais les magistrats y ont très souvent recours d’eux-mêmes. Selon les statistiques que nous a communiquées le ministère de la Justice, 2.042 de ces interdictions de territoire ont été prononcées en 2016, puis 2.211 l’année suivante et 2.919 en 2018. De source judiciaire, les violeurs étrangers sont « toujours » expulsés. « Les tribunaux n’ont pas d’états d’âme à prononcer un ITF », atteste aussi Me Seguin. « Dans mon expérience – qui concerne surtout le trafic de stupéfiants – les ITF accompagnent systématiquement les condamnations. »
Une expulsion automatique ?
Ce systématisme n’en est pas toujours un, puisque plusieurs lois ont limité cette possibilité. En 2003, une réforme pilotée par Nicolas Sarkozy, à l’époque locataire de la place Beauvau, exempt d’ITF tout étranger « qui justifie résider en France depuis qu’il a atteint au plus l’âge de treize ans », ou bien « qui réside régulièrement en France depuis plus de vingt ans ». Depuis la loi Defferre du 21 octobre 1981, il est également impossible d’expulser des mineurs et des individus mariés depuis au moins trois ans avec un Français ou une Française.
Schiappa abattra-t-elle ces garde-fous ? Pourra-t-elle automatiser l’expulsion, par le juge pénal, des étrangers auteurs de violences sexuelles ? Cela semble chimérique pour plusieurs raisons. Déjà, cela contredirait le principe constitutionnel d’individualisation des peines. Le Chancellerie précise elle-même, sur son site Internet, que « les peines automatiques entravent le pouvoir d’appréciation du juge ».
La question de l’exécution des peines
Et surtout, cela se heurterait aussitôt à la réforme pénale du 15 août 2014. Ce texte abolit justement tous les automatismes qui empêchaient au juge de prononcer une peine individualisée. Il y avait parmi elles les fameuses peines planchers. Et dans l’éventualité où ce texte serait par miracle contourné, une expulsion automatique des étrangers violeurs ou agresseurs se heurterait très certainement au Conseil constitutionnel, qui censure très fréquemment les peines automatiques, comme il l’a fait par exemple pour les peines automatiques qui accompagnaient les délits financiers, en juin 2010.
In fine, seuls des arrêtés d’expulsion pourraient être automatiquement émis par des préfets, mais les mineurs seraient exonérés. Lors des émeutes de 2005, Nicolas Sarkozy s’était tourné vers les préfets pour expulser tous les étrangers, en situation régulière ou non, coupables de violences urbaines. Une dizaine d’expulsions avaient eu lieu.
« Après, la question qui se pose n’est pas tant celle de l’arsenal législatif que l’exécution des peines », pointe Me Seguin. Car c’est un secret de polichinelle : les ITF et les arrêtés d’expulsion ne sont pas toujours exécutés, en raison de la difficulté et du manque de moyens policiers pour localiser le concerné.
Source : Marianne
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