État d’urgence sanitaire : camouflet pour le ministère de la Justice
En retoquant la prolongation automatique des détentions provisoires imposée par Nicole Belloubet pendant le confinement, la Cour de cassation a ouvert la voie à la libération de prisonniers.
Le Conseil d’État n’y avait rien trouvé à redire, mais la Cour de cassation a fait voler le dispositif en éclats. Pendant un mois et demi, de fin mars à mi-mai, durant la durée du confinement lié à l’épidémie de coronavirus, la chancellerie a imposé, par voie d’ordonnance, la prolongation automatique – sans juge ni débat – des détentions provisoires. Concrètement, là où une personne condamnée définitivement a pu, en fin de peine, sortir quelques mois plus tôt de prison pour raisons sanitaires, le ministère de la Justice a allongé la détention provisoire de personnes non encore jugées, c’est-à-dire présumée innocentes.
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Objectif : alléger la charge de travail des juges, touchés de plein fouet par l’épidémie. Mais pendant des semaines, les magistrats ne se sont pas entendus sur l’interprétation qu’il convenait de donner aux textes réalisés dans l’urgence. Certains ont décidé de tenir des débats, comme ils le font habituellement ; d’autres ont suivi la chancellerie. Plusieurs voix, en particulier chez les avocats, mais aussi chez une minorité de magistrats, se sont élevées contre ce qu’elles qualifiaient de net recul des droits de la défense et de violation flagrante des libertés individuelles.
Un net recul des droits de la défense ?
La Cour de cassation a fini par se prononcer mardi 26 mai 2020. En réalité, sa décision faisait peu de doute. Fin avril, des notes blanches adressées à la chancellerie et écrites par de hauts magistrats alarmaient déjà sur le fait que la prolongation automatique des détentions provisoires pourrait ne pas être conforme à la CEDH (Cour européenne des droits de l’homme). Sans surprise, deux questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) ont donc été transmises au Conseil constitutionnel.
Le sort de personnes détenues étant en jeu, la Cour de cassation a également considéré qu’elle n’avait pas à surseoir à statuer en attendant la décision du Conseil constitutionnel. Et les magistrats de décider que tout prisonnier dont la détention provisoire a été prolongée automatiquement serait libéré si sa situation n’était pas réexaminée à « bref délai » par un juge judiciaire. Une manière de « neutraliser » le dispositif pris dans l’urgence par la garde des Sceaux, Nicole Belloubet, selon le professeur de droit public Nicolas Hervieux.
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Ce « bref délai » variera selon que la personne détenue est soupçonnée d’un délit (ce délai sera alors d’un mois) ou d’un crime (trois mois). Prenons l’hypothèse où la prolongation automatique d’une personne soupçonnée de meurtre est intervenue le 2 mai. La justice aura jusqu’au 2 août pour examiner le bien-fondé du maintien en détention. Si elle ne s’est pas prononcée à temps, le prisonnier devra être immédiatement libéré.
Des garde-fous
Pour prévenir les abus, la Cour de cassation a posé de nombreux garde-fous. En prévoyant un délai de trois mois pour les infractions les plus graves (les crimes), elle laisse le temps aux magistrats de s’organiser pour convoquer à nouveau le détenu, avant d’être contraints le cas échéant de le libérer. Tous les prisonniers qui ont vu prolonger automatiquement leur détention provisoire et qui ont par la suite déposé une demande de mise en liberté (DML) à laquelle le juge a répondu par la négative ne sont pas non plus concernés. Ceux-là resteront en prison.
En clair, seules pourraient sortir les personnes placées en détention provisoire pour un délit, dont la détention a été prolongée de plein droit il y a plus d’un mois et qui n’ont déposé aucune demande de mise en liberté (DML). La chancellerie n’était pas en capacité, à l’heure de la publication de cet article, de chiffrer le nombre de détenus concernés. Cela pourrait tout de même toucher plusieurs dizaines de prisonniers. Y aura-t-il dans le lot des personnes poursuivies pour apologie du terrorisme, violences conjugales ou agressions sexuelles ? L’hypothèse, qui deviendrait le cauchemar de Nicole Belloubet, ne peut être écartée.
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Sortiront également les détenus dont les juges auront omis de contrôler la situation dans les délais impartis par la Cour de cassation. Des erreurs de procédure sont donc tout à fait possibles, mais fortement restreints. Était-ce à la Cour de cassation de sauver les meubles de cette façon ? On peut en douter. « La Cour de cassation a ajouté de l’arbitraire à l’arbitraire », peste Me Thomas Bidnic.
Une chose est certaine : les magistrats pénalistes, qui ont déjà travaillé d’arrache-pied pendant la période du confinement, vont se retrouver avec une nouvelle surcharge de travail. Plusieurs centaines de prisonniers vont devoir être convoqués à nouveau.
Source : Le Point
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