Entre France et Espagne, les gendarmes ont aussi leur Erasmus
Avant d’être envoyés en poste à la frontière franco-espagnole, gendarmes français et membres de la Guardia civil sont formés ensemble durant plusieurs mois.
Le dispositif de formation commune entre gendarmes français et espagnols pourrait être étendu à d’autres pays. LP/Vincent Gautronneau
Le choc n’a pas été violent, mais les esprits s’échauffent. À proximité de la frontière, un Français vient de percuter la voiture d’une jeune espagnole. L’homme s’agace, refuse de faire un constat… Il sort un couteau de sa poche et frappe la jeune femme au ventre. Dans la minute, des gendarmes débarquent pour interpeller l’agresseur. Avec eux, des hommes en uniforme kaki. Il s’agit de la Guardia civil, l’homologue espagnol de la gendarmerie. Les deux unités ne font plus qu’une : en français et en espagnol, armes à la main, ils demandent au suspect de se coucher avant de l’interpeller. En réalité, cette scène ne s’est pas déroulée à la frontière espagnole, mais à l’école de gendarmerie de Dijon (Côte-d’Or).
Depuis deux ans, en Bourgogne ou à Valdemoro (Espagne), des volontaires de la gendarmerie et de la Guardia civil sont formés côte à côte, en français et en espagnol. Une formation commune unique en Europe durant laquelle les élèves bénéficient de 600 heures de cours, dont 180 heures de langues. À l’issue de cet « Erasmus des forces de l’ordre », tous seront affectés dans des unités à proximité de la frontière franco-espagnole. Une zone extrêmement sensible où leur connaissance du voisin sera essentielle.
120 membres de la Guardia civil espagnole ont terminé, le mardi 28 mai, leur formation au contact des gendarmes français. Au total, ils auront passé cinq mois en France, à l’école de gendarmerie de Dijon. L’an passé, 120 volontaires français avaient, eux, été faire leur formation à Valdemoro, en Espagne. L’objectif de ces échanges est de permettre aux deux unités de travailler en bonne harmonie à la frontière franco-espagnole, exposée à trois enjeux majeurs : la lutte contre le terrorisme, celle contre la criminalité organisée et le contrôle des flux migratoires.
Contre l’immigration clandestine et le terrorisme
« Nous avons toujours bien travaillé ensemble, notamment sur la question des nationalistes basques de l’ETA, souligne Félix Azon, directeur général de la Guardia civil. Mais nous avons de nombreuses autres problématiques qui méritent un travail un commun. » Ces derniers mois, la zone fait ainsi face à « un fort développement des filières d’immigration clandestine dans les Pyrénées-Orientales », a expliqué, en novembre dernier, Jean-Jacques Fagni, le procureur de Perpignan.
À l’issue de cet « Erasmus des forces de l’ordre », tous seront donc affectés dans des unités à proximité de la frontière. Exemple de l’activité criminelle de la zone, une grande partie du cannabis vendue tous les ans en France et en Europe du nord est passée ici, en provenance du Maroc. « L’autoroute A63 est un point de passage très important pour cette délinquance internationale, confie le colonel Laurent Lesaffre, patron de la section de recherches (SR) de Pau (Pyrénées-Atlantiques). Pour être efficace et lutter contre ces réseaux, travailler avec les Espagnols est essentiel. » Ces dernières années, la lutte contre le terrorisme ou le contrôle de l’immigration clandestine sont aussi devenus prépondérants le long des Pyrénées.
Or, « pour intervenir ensemble, il est important d’avoir une doctrine commune, un langage commun, souligne le général Santana Espadas de la Guardia civil. Plus on se connaît, plus nos opérations sont efficaces. » Ainsi, à la frontière espagnole, les gendarmes et leurs homologues espagnols sont amenés à collaborer au quotidien. Au Perthus (Pyrénées-Orientales), « un côté du trottoir est en France, l’autre en Espagne, souligne une gradée longtemps en poste dans les Pyrénées. Si un homme se fait agresser de l’autre côté de la rue, on ne va pas laisser faire. Mais il faut ensuite pouvoir échanger avec les Espagnols quand ils prennent le relais. » Et quand des troubles sérieux surviennent, les deux unités doivent s’épauler.
Des nécessaires échanges entre voisins
Les Espagnols ont d’ailleurs passé, durant leur formation, quelques jours au Centre national d’entraînement des forces de gendarmerie, pour travailler aux côtés des Français sur la problématique du maintien de l’ordre. Une capacité à faire bouclier commun qui pourrait s’avérer précieuse cet été, alors que des manifestants potentiellement violents sont attendus à Hendaye (Pyrénées-Atlantiques) et Irún (Espagne) pour un contre-sommet du G7.
Renseignements, opérations communes… Entre les deux unités, les échanges existent déjà. Mais « l’arrivée de jeunes gendarmes formés à Valdemoro renforce la liaison car ils parlent la langue et connaissent bien le fonctionnement de la Guardia civil, constate la chef d’escadron Lucie Alamargot, qui dirige la compagnie d’Oloron-Sainte-Marie (Pyrénées-Atlantiques). Côté français, avoir des gendarmes capables de communiquer facilement avec les Espagnols présents dans les stations de ski ou sur le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle est essentiel. »
Après des années d’échanges « basiques », la gendarmerie et la Guardia civil ont constaté que, pour travailler en bonne intelligence, connaître quelques mots d’espagnol ne suffit pas. « On manque de linguistes, admet le colonel Lesaffre. On a des gens qui peuvent se débrouiller en espagnol, mais quand on doit faire une filature en commun, tracer un go-fast ou réaliser des actes d’enquêtes et de procédure, il est essentiel de maîtriser le vocabulaire technique de l’autre. » Et si la SR de Pau ne bénéficie pas pour le moment de ces gendarmes formés en commun – qui manquent d’expérience pour rejoindre ce service d’enquêtes – « cette formation va nous bénéficier dans quelques années. Aujourd’hui, les forces de l’ordre ne peuvent être efficaces sans échanger avec leurs voisins européens. »
Un dispositif étendu aux autres pays ?
Cette formation commune entre les gendarmes français et la Guardia civil espagnole, inédite en Europe, les autorités françaises aimeraient l’étendre à d’autres pays. Le 28 mai à Dijon (Côte-d’Or), le patron de la police portugaise et un responsable des carabiniers italiens étaient ainsi présents et ont reconnu leur intérêt pour le dispositif. Des membres du Conseil de l’Europe ou de la Commission européenne ont aussi jugé le projet intéressant. « L’objectif de cette formation, c’est de construire l’Europe de la sécurité, explique le général Richard Lizurey, directeur général de la gendarmerie nationale (DDGN). On a commencé avec l’Espagne, mais notre ambition est d’associer le maximum de pays à ce projet. »
Nombre de problématiques de sécurité sont en effet désormais à prendre à compte au niveau européen. « Nous devons prendre des initiatives pour renforcer cet espace européen, confie le général Lizurey. Pour lutter contre la grande criminalité, qui ne connaît pas de frontière, il faut travailler collectivement. C’est la même chose dans la lutte contre les réseaux d’immigration illégale. » La frontière italienne est d’ailleurs, sur ce point, particulièrement exposée.
Des liens ténus avec les carabiniers italiens existent déjà, mais « une formation commune pourrait les renforcer », reconnaît d’ailleurs le représentant italien présent le 28 mai à Dijon. « Ces échanges doivent se poursuivre, estime le général Lizurey. Désormais il faut aller encore plus loin pour continuer à développer ce gendarme européen. Ce projet est essentiel pour l’avenir du continent européen. »
Source : Le Parisien
Laisser un commentaire