Edouard Philippe: les secrets d’un départ
Les semaines précédant le remaniement, l’ancien Premier ministre a reçu à déjeuner Nicolas Sarkozy, François Baroin, Alain Juppé, François Fillon pour réfléchir à la suite… s’il était reconduit dans ses fonctions. Récit
Vendredi, Emmanuel Macron a choisi Jean Castex pour être son nouveau Premier ministre. Le maire de Prades et ancien secrétaire général adjoint de Nicolas Sarkozy à l’Elysée a remplacé Edouard Philippe. Le juppéiste, redevenu maire du Havre, aura passé 1 145 jours à Matignon. Il aurait aimé poursuivre sa mission. Dans cette perspective, pour nourrir sa réflexion, il a invité à déjeuner plusieurs prédécesseurs, un ancien chef de l’Etat, des ministres proches… en toute discrétion.
Matignon, jeudi 25 juin. Deux grands timides se font face. Edouard Philippe reçoit Alain Juppé. Entre eux, à un tel moment, ce déjeuner est forcément particulier. Pour le Premier ministre, le temps est suspendu. Dimanche, sera-t-il élu maire du Havre ? Les jours suivants, sera-t-il maintenu dans ses fonctions de chef de gouvernement par Emmanuel Macron ? L’héritier juppéiste ne sait pas à quelle sauce il va être mangé. Pour Edouard Philippe, le début de semaine a été compliqué. Lundi, il a débattu sur France 3 Haute-Normandie avec son adversaire havrais, le communiste Jean-Paul Lecoq. Il est sorti du plateau très agacé. Il ne s’est pas trouvé bon. « Je n’ai pas réussi à me concentrer », déplorera-t-il devant un proche. Avait-il la tête ailleurs ?
Ce jeudi, cela va mieux. Les murs du premier étage de Matignon tremblent sous son pas décidé. Il est content d’accueillir son ancien mentor. Depuis qu’il est rue de Varenne, il a pris l’habitude de le faire chaque année. Gilles Boyer, l’ami fidèle, qui a été son conseiller spécial durant ses deux premières années ici après avoir été le directeur de campagne d’Alain Juppé lors de la primaire, est là. Dans son agenda, ce déjeuner figure sous la mention « réservé ». En ce mois de juin, il y en a comme cela une dizaine. Au début, les initiales de ses invités y étaient indiquées. Très vite, elles ont disparu : Edouard Philippe n’aime que le secret.
Initialement, le repas était prévu quelques semaines plus tôt. Il avait dû être décalé. Apprenant qu’il avait été reprogrammé la veille du second tour des municipales, Thierry Solère avait râlé. « Qu’Edouard aille plutôt faire campagne au Havre, il déjeunera avec Juppé plus tard ! », avait lâché le conseiller politique officieux du Premier ministre. « Edouard » avait refusé. Qui d’autre qu’un ancien titulaire de la fonction pouvait comprendre sa situation ? Le jour venu, avec Alain Juppé, il balaye toutes les possibilités que le sort macroniste peut lui réserver. Quelle relance imaginer s’il est reconduit ? Quel avenir s’inventer s’il est éconduit ?
En 1997, l’ancien maire de Bordeaux était, lui, parti de Matignon à la suite d’une défaite électorale, celle des législatives de 1997 provoquées par la dissolution. Si la droite avait gagné, Jacques Chirac aurait tout fait pour garder un Premier ministre pourtant plombé. Edouard Philippe n’est pas dans ce cas. Loin de là. Dans les sondages, il est au faîte de sa popularité. Cela n’empêche pas – au contraire ? – Emmanuel Macron d’être très tenté de s’en séparer…
« Si j’osais, je dirais que c’est épanouissant », confiait-il en janvier. Même si le coronavirus a été une très rude épreuve, il se sent les capacités physiques, politiques de poursuivre sa mission
Entre animaux blessés
Rester ? Partir ? Le locataire de Matignon a toujours refusé de formuler la question ainsi. Il entend demeurer loyal à un Président qui en 2017 a choisi de lui faire confiance, quand rien ne l’y obligeait. « Ce n’est pas moi qui choisis la date de mon départ », a-t-il encore glissé à un proche ce printemps. Cela n’empêche pas de se projeter. Une partie de son entourage considère que ce serait mieux pour lui que son bail s’arrête après ces mille et quelques jours si agités. Lui a plutôt envie de continuer. Edouard Philippe aime tellement ce qu’il fait. « Si j’osais, je dirais que c’est épanouissant », confiait-il en janvier. Même si le coronavirus a été une très rude épreuve, il se sent les capacités physiques, politiques de poursuivre sa mission.
Pour nourrir sa réflexion, préparer l’après, quel qu’il soit, il a donc décidé de multiplier les déjeuners privés. Huit jours avant Alain Juppé, c’est un autre ancien Premier ministre qui est à sa table – on ne saurait que plus tard que ce serait une table des adieux. Ce 16 juin, c’est la troisième fois que François Fillon revient à Matignon depuis que le Havrais en est le locataire. En 2017, c’était pour un tête-à-tête. En janvier 2019, c’était à l’occasion de la cérémonie de remise de la légion d’honneur à la préfète du Gers et fille de Philippe Séguin, Catherine.
En cette veille de grand chamboulement, l’ex-candidat à la présidentielle n’est pas le plus mal placé pour phosphorer. En 2010, Nicolas Sarkozy a voulu se séparer de lui et mettre à sa place Jean-Louis Borloo ; il a su habilement se rendre irremplaçable….
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