Disparition d’un homme à Nantes, des questions sur une charge dangereuse de la police
L’intervention des policiers – charge violente, utilisation de LBD – venus disperser une soirée lors de la Fête de la musique est très critiquée, y compris au sein de la profession, où l’on parle d’« un ordre aberrant ».
Des sapeurs-pompiers pilotent un drone au-dessus de la Loire, à l’endroit où Steve Maia Caniço semble avoir disparu le 25 juin. SEBASTIEN SALOM-GOMIS / AFP
La polémique gonfle à mesure que les espoirs s’amenuisent. Les recherches pour retrouver Steve Maia Caniço, jeune homme de 24 ans porté disparu à Nantes lors de la nuit de la Fête de la musique, demeurent infructueuses, cinq jours après les faits. Dans le même temps, les interrogations s’amoncellent sur l’intervention des policiers qui, en voulant mettre fin par la force à une soirée organisée quai Wilson, ont provoqué un mouvement de foule et la chute de plusieurs participants dans la Loire, repêchés par la suite.
Mais l’hypothèse d’une chute fatale cette fois-ci prend de plus en plus d’ampleur. Mercredi en fin de journée, le ministre de l’intérieur, Christophe Castaner, n’a pas écarté l’idée que la disparition du jeune homme soit « peut-être » liée à l’opération policière, sur laquelle le ministre a dit vouloir faire « toute la transparence ».
Fait peu commun, ce sont des rangs même des policiers qu’ont émergé les premiers doutes sur le bien-fondé d’une telle opération, le long d’un quai dépourvu de parapet. C’est d’abord sous le sceau du « off » que certains fonctionnaires ont fait part de leurs réserves. « On n’intervient jamais au bord de l’eau ou sur un pont, même s’il y a des garde-corps, c’est trop risqué », confiait au Monde un haut gradé, expert en maintien de l’ordre, quelques heures après le signalement de la disparition. Au commissariat central Waldeck-Rousseau de Nantes, un policier parlait mardi de « branle-bas de combat » : « Tout le monde rase les murs, on sait qu’il va falloir trouver un responsable. »
« Un ordre aberrant »
C’est finalement un membre du syndicat Unité SGP Police, majoritaire au ministère de l’intérieur, qui s’est chargé de rompre le silence, mardi 25 juin. Philippe Boussion, secrétaire régional, a pointé « la responsabilité » du commissaire qui a assuré le commandement de l’opération, l’accusant d’avoir « commis une faute grave de discernement » en donnant à ses troupes « un ordre aberrant ». Une sortie peu goûtée par les autres syndicats, alors qu’une enquête de l’inspection générale de la police nationale (IGPN) a été ordonnée.
Les différents témoignages recueillis par Le Monde permettent de reconstituer une partie des événements quai Wilson. Une dizaine de sound systems (des murs d’enceintes qui diffusent de la musique) avaient été installés le long de la Loire, avec une tolérance des autorités jusqu’à 4 heures du matin. Mais à l’heure dite, alors que la plupart des installations coupent le son, la dernière située au bout du quai décide de jouer les prolongations.
Une vingtaine de fonctionnaires de la compagnie départementale d’intervention (CDI) et de la brigade anticriminalité (BAC) sont dépêchés pour mettre fin aux festivités. La musique est arrêtée une première fois. Mais sitôt les forces de l’ordre parties, les organisateurs remettent le son. Les policiers rebroussent chemin en direction de la fête et sont alors victimes de nombreux jets de bouteilles et projectiles en tous genres, selon Johann Mougenot, directeur de cabinet du préfet de Loire-Atlantique. La compagnie de CRS affectée à Nantes ce soir-là, spécialisée dans ce genre d’intervention, est, à ce moment-là, en centre-ville. Elle n’arrivera que plus tard sur les lieux.
« Confusion à son comble »
Les policiers pris à partie répliquent par une trentaine de tirs de grenades lacrymogènes et de grenades de désencerclement. Ils font également usage de lanceurs de balles de défense (LBD). « Il y avait des gens qui couraient dans tous les sens pour échapper aux lacrymos, relate Aliyal, étudiante, qui participait à la fête. J’ai vu des gens tomber à l’eau qui criaient pour que les bateaux des secours viennent les chercher. » Les images diffusées sur les réseaux sociaux attestent de la violence de l’intervention et de la grande confusion qui règne alors sur le quai.
« Jamais de la vie un policier ne partirait des lieux s’il sait qu’il y a encore quelqu’un dans l’eau », Benoît Barret, secrétaire national pour la section province d’Alliance
A la vue des personnes dans l’eau, les policiers contactent les secours. Selon la préfecture, sept personnes ont été repêchées par les pompiers, quatre par une association de sauvetage mandatée par la ville de Nantes pour la soirée, et trois autres ont regagné la terre ferme par leurs propres moyens. Tous les fonctionnaires contactés s’accordent sur le fait qu’à aucun moment ils n’ont eu connaissance d’une personne disparue. « Jamais de la vie un policier ne partirait des lieux s’il sait qu’il y a encore quelqu’un dans l’eau », assure Benoît Barret, secrétaire national pour la section province d’Alliance.
L’hypothèse d’une noyade a pourtant traversé les rangs des sauveteurs dès les premières heures, selon les témoignages recueillis par Le Monde. « D’emblée, on a reçu le signalement d’une personne ayant coulé, raconte un homme qui était au cœur du dispositif d’intervention. Des gens tentaient d’éclairer l’eau avec leur téléphone, mais on n’y voyait rien. La confusion était à son comble. Et il y avait aussi pas mal de gaz. » Un pompier, sous couvert d’anonymat, abonde en son sens : « Pour nous, il y a toujours eu suspicion d’une personne manquant à l’appel. »
« Il faut assumer les responsabilités quand ça m… »
Fallait-il utiliser cet arsenal à proximité immédiate de l’eau ? Au sein des forces de l’ordre, la question divise. Pour Arnaud Bernard, secrétaire départemental d’Alliance police nationale, le syndicat majoritaire à Nantes, les troupes n’ont fait que répliquer à une agression. Cinq fonctionnaires ont été blessés dans l’intervention :
« La petite vingtaine de policiers mobilisés n’est pas venue pour déloger les fêtards mais pour leur demander de couper le son. La preuve, c’est que ces fonctionnaires se sont présentés au départ sans casque de maintien de l’ordre, ni jambières. Et lorsque la situation s’est envenimée, ils ont tiré les grenades lacrymogènes à la main et non avec un lanceur Cougar. »
Mais pour certains, les conditions d’intervention n’étaient pas réunies. « Il y a des règles dans la police nationale, des choses qui se font, d’autres non. Il faut assumer les responsabilités quand ça m… », soutient Stéphane Léonard, secrétaire départemental du syndicat Unité SGP Police. Le responsable des opérations, poursuit-il, « aurait pu imaginer que ces gens n’allaient pas obtempérer facilement alors qu’ils étaient en pleine fête. Est-ce qu’il était judicieux d’intervenir à ce moment-là ? Pourquoi a-t-il donné l’ordre d’agir aussi rapidement sans attendre les renforts de CRS ? Et puis, avant d’évoluer au milieu d’un public alcoolisé, on s’assure que ses effectifs sont équipés du matériel adéquat. »
« La première erreur, c’est sûrement d’avoir laissé un concert, avec de l’alcool et certainement davantage, s’organiser dans ce lieu », Laurent Le Tallec, délégué UNSA-Police à Nantes
En attendant, l’heure est à la recherche des responsabilités. Deux hommes étaient chargés des opérations ce soir-là. Thierry Palermo, directeur départemental adjoint à la sécurité publique, dirigeait les unités depuis la salle de commandement et devait être entendu par l’IGPN mercredi. Le commissaire Grégoire Chassaing, mis en cause par Unité SGP Police, menait les hommes sur le terrain. Sollicités par Le Monde, les deux hommes n’ont pas réagi.
Les policiers montrent également du doigt la mairie et la préfecture. « La première erreur, c’est sûrement d’avoir laissé un concert, avec de l’alcool et certainement davantage, s’organiser dans ce lieu dont on sait qu’il peut être dangereux : ça nous arrive de repêcher dans la Loire des fêtards qui sortent des bars alentours », explique Laurent Le Tallec, délégué UNSA-Police à Nantes. Johanna Rolland, maire PS de Nantes, a adressé mardi un courrier au préfet de Loire-Atlantique dans lequel elle demande que « la lumière soit faite, extrêmement rapidement », sur les circonstances de l’opération policière.
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