Avec deux nouveaux suicides en seulement une semaine dans les rangs de la police nationale, la colère monte dans les rangs des fonctionnaires de terrain et notamment parmi ceux qui travaillent de nuit… Les mêmes qui protestaient en 2016. Les «nuiteux» en colère : à deux heures du matin dans la nuit du 4 au 5 janvier, une minute de silence a été observée par des dizaines de policiers devant la Direction départementale de la sécurité publique des Hauts-de-Seine (DDSP92) à Nanterre pour rendre hommage à Rémy, un policier quadragénaire affecté à l’état-major qui était la voix des policiers de nuit et leur dispensait les informations à la radio dans deux des quatre districts du 92.
Ce dernier s’est donné la mort avec son arme de service dans ces locaux même, la nuit du 30 décembre. Il s’agit du 59ème et dernier suicide dans les rangs policiers en 2019. Il a bientôt été rejoint dans la tragédie par le premier suicide policier de 2020 : un fonctionnaire affecté au service de protection des personnalités (SDLP) le 4 janvier. Lui aussi quadragénaire et père de trois enfants, qui avait déjà été désarmé par sa hiérarchie, s’est défenestré à son domicile du XXe arrondissement de Paris. Ces deux suicides marquent fortement les esprits au sein de la maison police et particulièrement dans le monde «très solidaire des nuiteux», ainsi que l’a précisé un membre du Collectif autonome des policiers d’Ile-de-France interrogé par RT France. Ce groupe sans mandat syndical créé à l’occasion du mouvement des policiers en colère qui a pris son essor entre fin 2016 et début 2017 défend sans relâche la cause des policiers en difficulté et a publié sur son compte Facebook la vidéo de cette minute de silence :
Auprès de RT France, ce membre du Collectif a précisé que cette nouvelle mobilisation symbolique avait dû se préparer dans la discrétion pour ne pas froisser la hiérarchie locale, «mais comme ça s’est fait spontanément, la hiérarchie a été obligée d’assumer». Et d’expliquer que les équipes de nuit constituent «un monde à part» : «C’est ce qui fait aussi que le soutien à Rémy soit si fort après sa disparition. Nous connaissions tous sa voix qui nous accompagnait partout la nuit. Bien des collègues se rendent compte aujourd’hui qu’ils ne connaissaient pas son visage et qu’ils auraient aimé le rencontrer.» Le geste du fonctionnaire n’a pas été expliqué pour le moment, mais en plein service, il s’est isolé, assis sur un fauteuil avant de suicider avec son arme. «C’était un collègue extrêmement dévoué, très apprécié, une vraie encyclopédie, qui travaillait tout le temps, qui faisait des heures énormes et pourtant il n’était que sous-brigadier. Il avait beaucoup dénoncé ce qui allait mal dans la police, il avait écrit notamment des rapports pour demander des effectifs, des formations pour les policiers de terrain et avait aussi relayé les inquiétudes légitimes sur la sécurisation des sites de travail qui pourraient être attaqués à tout moment par des individus dangereux.»
Le Collectif policier relaie également ce message : de nombreux policiers de terrain en Ile-de-France perdent actuellement leur habilitation à utiliser les fusils d’assaut, tels que le HK G-36 qui a servi à neutraliser l’assaillant de Villejuif, ou le pistolet à impulsion électrique, considéré comme une arme à létalité réduite : «Parfois, un bon coup de Taser, ça permet de calmer tout le monde très vite et de ne pas avoir à aller plus loin !», plaide le policier, qui assure que les fameux «recyclages» visant à renouveler les habilitations ne sont plus de mise pour nombre d’entre eux. «Le problème, c’est qu’il n’y a tout simplement plus les budget en Ile-de-France, mais eux [la haute hiérarchie policière], ça ne les dérange absolument pas ! Donc il nous reste la gazeuse et le pistolet», ajoute le porte-parole du collectif. Les policiers de terrain perdent donc une voix avec la disparition de ce fonctionnaire de l’état-major et le spectre du mouvement des policiers en colère repointe le bout de son nez, loin des salons feutrés de la place Beauvau où sont négociés des accords entre le ministère de l’Intérieur et les grandes organisations syndicales du secteur. Un malaise endémique Au-delà du phénomène récurrent du suicide dans la police, les collectifs et associations dénoncent le malaise endémique de la profession : «On a des collègues qui partent en pré-retraite dès qu’ils le peuvent. Et avant même de devenir policiers, certains quittent la formation au bout de quelques mois. Alors il faut imaginer l’état d’esprit de celui qui veut partir de la boîte mais qui ne peut pas, parce qu’il est isolé, divorcé avec des enfants à charge, c’est courant. Là, les deux qui se sont tués, c’étaient des quadras avec des enfants, ça en dit long sur le niveau d’usure et en plus, ils n’étaient pas affectés à la voie publique, ils travaillaient près de l’élite du métier. Les collègues en veulent beaucoup à la hiérarchie en ce moment et on sent bien qu’ils l’ont compris. On a même reçu un télégramme de la direction qui nous invite à participer à une cagnotte de soutien pour la famille de Rémy. C’est très rare !» Un autre télégramme a été récemment relayé par les hiérarchies dans les commissariats après ces deux suicides : celui qu’Eric Morvan, le directeur général de la police nationale (DGPN) avait envoyé au mois d’octobre 2019 et qui précisait les modalités d’emploi du numéro d’écoute mis à disposition des fonctionnaires de police 7/7 jours et 24/24 heures. Dans ce courrier, le DGPN invitait les chefs de service à s’impliquer dans le dispositif : «Sans l’implication personnelle de la hiérarchie pour la diffusion de ces informations et leur appropriation par les personnels, les mesures du plan seront sans réelle portée. Vous avez donc un rôle essentiel de communication, de sensibilisation et d’animation locales des dispositifs.» Deux suicides dans la police font resurgir le spectre du mouvement des policiers en colère L’importance de l’implication des hiérarchies locales a-t-elle été à nouveau rappelée après ces deux nouveaux suicides ? Ce serait parfois là que le bât blesserait, selon le Collectif de policiers d’Ile-de-France : «Sur ce coup-là, Morvan a raison ! Il faut absolument que les chefs soient comptables de l’état psychologique des agents. Le problème, c’est souvent que le corps des commissaires ne rend plus compte des problèmes au niveau hiérarchique supérieur… C’est-à-dire qu’ils les informent par téléphone ou par mail, mais, souvent, ils ne font plus de rapports, or, sans rapport, rien n’existe, c’est comme ça en police.» Alors, le fait même de produire des rapports faisant état de problématiques de ce type est devenu suspect, mal vu, car comme le précise le policier militant «Beauvau peut faire mine de ne pas savoir, tant qu’il n’y a pas de rapport, ni de tract syndical.» Et de dénoncer «une rupture dans la chaîne de l’information». Un sursaut, une vraie prise de conscience au ministère de l’Intérieur sont grandement attendus par les policiers des collectifs, des associations, de certains syndicats contactés par RT France, mais les chiffres s’accumulent et les mesures entreprises n’ont pas encore permis d’enrayer efficacement le phénomène. La mobilisation des policiers en colère avait pris racine au sein des forces de sécurité nocturnes en 2016, les mêmes qui se sont déplacés pour rendre hommage à leur collègue le 4 janvier 2020. Une mise en garde silencieuse adressée aux huiles de Beauvau ? A suivre… Alexandre Langlois, secrétaire général du syndicat ViGi-Police, était présent sur le plateau de RT France pour évoquer le sujet des suicides ce 6 janvier et il a déploré le peu d’efficacité des moyens déployés pour mettre fin au phénomène : «Des barbecues [et] une ligne téléphonique».
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