Déclaration sur les violences policières illégitimes
JORF n°0028 du 2 février 2020
texte n° 58
texte n° 58
Déclaration sur les violences policières illégitimesNOR: CDHX2003043X
ELI: Non disponible
Assemblée plénière – 28 janvier 2020 Adoption 20 voix « pour », 14 voix « contre », 6 abstentions
1. Depuis la fin de l’année 2018, et tout au long de l’année écoulée, de nombreux cas de violences policières – certaines ayant des conséquences dramatiques – ont été documentés et attestés. Dès le premier trimestre 2019, des institutions nationales (1) et internationales (2) de défense des droits de l’homme ont fait part de leurs fortes préoccupations à ce sujet dans le contexte du mouvement dit des « gilets jaunes ». Malgré ces interpellations, la liste des manifestants blessés et mutilés n’a cessé de s’allonger et, en ce début d’année, l’actualité met de nouveau en avant l’usage disproportionné de la force et des armes dites non-létales par les forces de l’ordre.
2. La CNCDH est consciente des graves difficultés et violences auxquelles sont confrontées les forces de l’ordre, jusqu’à l’épuisement et au suicide, dans un contexte où se sont succédé depuis plus de quatre ans l’état d’urgence, la crise des « gilets jaunes » puis un conflit social prolongé.
Cependant la CNCDH ne peut admettre la rhétorique de la « riposte », à laquelle ont eu recours les pouvoirs publics, renvoyant dos-à-dos les agissements des forces de l’ordre et les violences commises par certains manifestants. On ne saurait transformer, dans un Etat de droit, les agents du maintien de l’ordre en des combattants en lutte, alors que les policiers sont des professionnels formés et habilités à faire un usage légitime et proportionné de la force.
Cependant la CNCDH ne peut admettre la rhétorique de la « riposte », à laquelle ont eu recours les pouvoirs publics, renvoyant dos-à-dos les agissements des forces de l’ordre et les violences commises par certains manifestants. On ne saurait transformer, dans un Etat de droit, les agents du maintien de l’ordre en des combattants en lutte, alors que les policiers sont des professionnels formés et habilités à faire un usage légitime et proportionné de la force.
3. La CNCDH tient en effet à rappeler que l’usage de la force par les policiers s’inscrit dans un cadre légal très précis : il doit être nécessaire au maintien de l’ordre et strictement proportionné (3). Cette exigence de proportionnalité vaut de manière générale pour toute intervention policière, y compris les opérations de maintien de l’ordre public lors des manifestations. La multiplication des violences policières observées depuis plus d’un an non seulement porte atteinte à l’intégrité physique des personnes visées, mais aussi dégrade la crédibilité des forces de l’ordre soumises à un devoir d’exemplarité (4). Elle engendre également des craintes parmi les citoyens, parfois tentés de renoncer à prendre part aux manifestations. La CNCDH est très préoccupée par cet effet dissuasif des violences policières sur l’exercice de la liberté de manifester et s’inquiète des entraves pesant sur la liberté d’informer et le droit de témoigner.
La disproportion des réactions policières est manifeste dans certains cas : le matraquage de personnes au sol ou l’usage des LBD pointés sur le visage de manifestants sont inadmissibles et doivent faire l’objet d’une condamnation ferme et définitive de la part des plus hautes autorités politiques.
La disproportion des réactions policières est manifeste dans certains cas : le matraquage de personnes au sol ou l’usage des LBD pointés sur le visage de manifestants sont inadmissibles et doivent faire l’objet d’une condamnation ferme et définitive de la part des plus hautes autorités politiques.
4. Les récentes déclarations du Président de la République et du ministre de l’intérieur, insistant sur le devoir d’« exemplarité » des forces de l’ordre et de respect de l’« éthique » (5), vont dans le bon sens. Pour autant, une remise en question plus fondamentale s’impose.
Or, à ce jour, aucun examen critique du commandement, de la mobilisation d’unités non spécialisées dans le maintien de l’ordre, des techniques d’intervention, ou encore du suréquipement des forces de l’ordre, n’a abouti. La seule initiative en ce sens, le séminaire d’experts réunis en juin 2019 par le ministre de l’intérieur en vue d’un « nouveau schéma national pour le maintien de l’ordre », tarde à faire connaître ses éventuelles recommandations. Par ailleurs, le mal-être des policiers n’est peut-être pas sans lien avec la crise de la fonction et de l’encadrement des forces de l’ordre.
Or, à ce jour, aucun examen critique du commandement, de la mobilisation d’unités non spécialisées dans le maintien de l’ordre, des techniques d’intervention, ou encore du suréquipement des forces de l’ordre, n’a abouti. La seule initiative en ce sens, le séminaire d’experts réunis en juin 2019 par le ministre de l’intérieur en vue d’un « nouveau schéma national pour le maintien de l’ordre », tarde à faire connaître ses éventuelles recommandations. Par ailleurs, le mal-être des policiers n’est peut-être pas sans lien avec la crise de la fonction et de l’encadrement des forces de l’ordre.
5. Soucieuse d’un apaisement privilégiant le dialogue et la négociation et souhaitant le rétablissement d’un lien de confiance et du respect mutuel entre la police et la population, la CNCDH appelle les pouvoirs publics à engager une réflexion plus globale sur l’usage de la force publique, s’agissant en particulier des modalités du maintien de l’ordre, en y associant des représentants des forces de l’ordre et de la société civile. Le traitement judiciaire des violences imputables à certains membres des forces de l’ordre – notamment les enquêtes qu’elles suscitent, ou bien encore l’asymétrie des procédures en cas de plaintes croisées des manifestants et des policiers – ne peut rester à l’écart de cette réflexion.
6. Pour sa part, la CNCDH a décidé d’engager des travaux sur les relations entre la police et la population qui s’appuieront sur un certain nombre d’auditions de toutes les parties prenantes et aboutiront à la publication avant l’été d’un avis assorti de recommandations. Cette réflexion doit permettre de dépasser le seul cadre de l’encadrement des actions répressives. C’est toute la conception du rôle des forces de l’ordre pour assurer la sûreté (et non seulement la sécurité) des citoyens qui est en jeu, depuis les périodes de crises jusqu’à la fonction de « gardiens de la paix » au quotidien. L’obtention d’un climat plus serein, dans toutes les occasions où se trouvent confrontés les forces de l’ordre et des citoyens, en dépend.
Le respect des droits de l’homme n’est pas un obstacle au maintien de l’ordre, mais bien au contraire un gage de cohésion sociale, c’est une exigence incontournable de garantie d’une police républicaine, au service de tous, et de respect des libertés individuelles et collectives.
Le respect des droits de l’homme n’est pas un obstacle au maintien de l’ordre, mais bien au contraire un gage de cohésion sociale, c’est une exigence incontournable de garantie d’une police républicaine, au service de tous, et de respect des libertés individuelles et collectives.
(1) Défenseur des droits, rapport annuel d’activités 2018.
(2) Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Mémorandum sur le maintien de l’ordre et la liberté de réunion dans le contexte du mouvement des « gilets jaunes » en France, 26 février 2019 ; Déclaration commune du Président-Rapporteur du groupe de travail sur la détention arbitraire, du rapporteur spécial sur la situation des défenseurs des droits de l’homme, et du rapporteur spécial sur les droits à la liberté de réunion pacifique et d’association, 14 février 2019 ; Haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, 6 mars 2019.
(3) L’exigence de proportionnalité dans l’usage de la force est prévue par les textes internationaux (not. le code de conduite pour les responsables de l’application des lois adopté par l’Assemblée générale des Nations Unies le 17 décembre 1979, résolution 34/169) comme par le droit français : art. L. 435-1, al. 1er (pour l’utilisation des armes) et R. 434-18 (pour l’usage de la force physique) du code de la sécurité intérieure.
(4) A l’occasion des évènements de mai 1968, le préfet de police Maurice Grimaud avait adressé un courrier aux policiers dans lequel il écrivait que « frapper un manifestant tombé à terre, c’est se frapper soi-même en apparaissant sous un jour qui atteint toute la fonction policière ».
(5) « C’est l’honneur de la police qui est en jeu, on ne fait pas de croche-pied à l’éthique, sauf à s’abaisser, à abaisser la police » : extrait des vœux de M. Christophe Castaner à la police nationale, 13 janvier 2020.
Source : LégiFrance
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