Débarquement : la saisissante lettre d’Henri Fertet lue par Macron
Avant d’être fusillé à 16 ans par les nazis, ce résistant avait adressé une lettre à ses parents. Des mots bouleversants sortis de l’oubli par Emmanuel Macron.
Les moments d’émotion ne manquent pas lors de la célébration du 75e anniversaire du Débarquement. Mais l’un d’eux fut particulièrement intense. Mercredi 5 juin, Emmanuel Macron s’est distingué – dans le meilleur sens du terme – à Portsmouth, dans le sud de l’Angleterre, devant 300 vétérans, ainsi que la reine Elizabeth II, le président des États-Unis Donald Trump, la chancelière allemande Angela Merkel, le Premier ministre canadien Justin Trudeau…
Le président français a lu la lettre adressée par Henri Fertet à ses parents (que nous reproduisons ci-dessous) juste avant que le jeune homme ne soit fusillé par les nazis. L’Histoire a glorifié Guy Môquet mais, malheureusement, quelque peu oublié Henri Fertet. Le premier est mort en 1941, à l’âge de 17 ans, le second, lui, à l’âge de 16 ans, en 1943. L’un était communiste, l’autre catholique. Chacun de ces deux héros laissa une lettre tout aussi saisissante rédigée quelques minutes avant de marcher vers le peloton d’exécution. Mais, si celle de Guy Môquet est très célèbre – le président Nicolas Sarkozy l’avait fait lire dans toutes les écoles de France en 2007 –, le texte d’Henri Fertet, tout aussi fort, était, jusqu’à ce qu’Emmanuel Macron le (re)mette en lumière, beaucoup moins connu.
Exécuté le 26 septembre 1943
Qui était Henri Fertet ? Un jeune patriote, né le 27 octobre 1926 dans le Doubs au sein d’une famille d’instituteurs, lycéen à Besançon, qui s’engage à l’été 1942 dans le groupe de Marcel Simon, secrétaire local de la Jeunesse agricole chrétienne. Le groupe, en février 1943, rallie l’organisation des Franc-Tireurs et Partisans (FTP) et prend le nom de Groupe franc Guy Môquet. Le jeune résistant se signale par trois actions d’éclat : l’attaque du poste de garde du fort de Montfaucon, le 16 avril 1943, pour s’emparer d’un dépôt d’explosifs qui entraîne la mort d’une sentinelle allemande ; la destruction, le 7 mai, d’un pylône à haute-tension près de Besançon ; l’attaque, le 12 juin, d’un commissaire des douanes allemand afin de lui prendre son arme, son uniforme et, surtout, les papiers qu’il transporte. L’arrivée d’une moto l’empêche de se saisir des documents, mais Fertet tue le commissaire. Le 3 juillet 1943, le jeune résistant est arrêté en pleine nuit, chez ses parents. Condamné à mort le 18 septembre 1943, après quatre-vingt-sept jours de détention et de torture, il est exécuté le 26 septembre 1943 à la citadelle de Besançon en refusant qu’on lui bande les yeux et qu’on l’attache, comme il le précise dans sa missive.
Voici dans son intégralité la lettre que le jeune homme a laissée, et qu’il a signée « Henri Fertet au ciel, près de Dieu ».
« Chers parents,
Ma lettre va vous causer une grande peine, mais je vous ai vus si pleins de courage que, je n’en doute pas, vous voudrez encore le garder, ne serait-ce que par amour pour moi.
Vous ne pouvez savoir ce que moralement j’ai souffert dans ma cellule, ce que j’ai souffert de ne plus vous voir, de ne plus sentir peser sur moi votre tendre sollicitude que de loin. Pendant ces 87 jours de cellule, votre amour m’a manqué plus que vos colis, et souvent je vous ai demandé de me pardonner le mal que je vous ai fait, tout le mal que je vous ai fait. Vous ne pouvez vous douter de ce que je vous aime aujourd’hui car, avant, je vous aimais plutôt par routine, mais maintenant je comprends tout ce que vous avez fait pour moi et je crois être arrivé à l’amour filial véritable, au vrai amour filial. Peut-être après la guerre, un camarade vous parlera-t-il de moi, de cet amour que je lui ai communiqué. J’espère qu’il ne faillira pas à cette mission sacrée.
Remerciez toutes les personnes qui se sont intéressées à moi, et particulièrement nos plus proches parents et amis. dites-leur ma confiance en la France éternelle. Embrassez très fort mes grands-parents, mes oncles, tantes et cousins, Henriette. Donnez une bonne poignée de main chez M. Duvernet. Dites un petit mot à chacun. Dites à M. le curé que je pense aussi particulièrement à lui et aux siens. Je remercie Monseigneur du grand honneur qu’il m’a fait, honneur dont, je crois, je me suis montré digne. Je salue aussi en tombant, mes camarades de lycée. À ce propos, Hennemann me doit un paquet de cigarettes, Jacquin mon livre sur les hommes préhistoriques. Rendez Le Comte de Monte-Cristo à Emourgeon, 3 chemin Français, derrière la gare. Donnez à Maurice André, de la Maltournée, 40 grammes de tabac que je lui dois.
Je lègue ma petite bibliothèque à Pierre, mes livres de classe à mon petit papa, mes collections à ma chère petite maman, mais qu’elle se méfie de la hache préhistorique et du fourreau d’épée gaulois.
Je meurs pour ma patrie. Je veux une France libre et des Français heureux. Non pas une France orgueilleuse, première nation du monde, mais une France travailleuse, laborieuse et honnête.
Que les Français soient heureux, voilà l’essentiel. Dans la vie, il faut savoir cueillir le bonheur.
Pour moi, ne vous faites pas de soucis. Je garde mon courage et ma belle humeur jusqu’au bout, et je chanterai Sambre et Meuse parce que c’est toi, ma chère petite maman, qui me l’a apprise.
Avec Pierre, soyez sévères et tendres. Vérifiez son travail et forcez-le à travailler. N’admettez pas de négligence. Il doit se montrer digne de moi. Sur trois enfants, il en reste un. Il doit réussir.
Les soldats viennent me chercher. Je hâte le pas. Mon écriture est peut-être tremblée. mais c’est parce que j’ai un petit crayon. Je n’ai pas peur de la mort. J’ai la conscience tellement tranquille.
Papa, je t’en supplie, prie. Songe que, si je meurs, c’est pour mon bien. Quelle mort sera plus honorable pour moi que celle-là ? Je meurs volontairement pour ma patrie. Nous nous retrouverons tous les quatre, bientôt au ciel. Qu’est-ce que cent ans ?
Maman, rappelle-toi :
Et ces vengeurs auront de nouveaux défenseurs qui, après leur mort, auront des successeurs.
Adieu, la mort m’appelle. Je ne veux ni bandeau ni être attaché. Je vous embrasse tous. C’est dur quand même de mourir.
Mille baisers. Vive la France.
Un condamné à mort de 16 ans
H. Fertet
Excusez les fautes d’orthographe, pas le temps de relire.
Expéditeur : Henri Fertet au ciel, près de Dieu. »
Source : Le Point
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