Crise au Niger : franchement, qu’espérait-on d’autre ?
Voici ce qu’en dit un intellectuel camerounais, qui résume tout :
« Quand la Chine vient avec les projets infrastructurels, l’Inde avec des projets agricoles, le Japon avec des écoles primaires, l’Allemagne avec la coopération universitaire de haut niveau, la Russie avec la coopération sécuritaire de pointe, tout ce que la France nous propose, c’est la promotion de l’homosexualité ! Et après, ils vont s’étonner du “sentiment anti-français”. »
Le récent coup d’État au Niger était parfaitement prévisible. Un grand nombre d’experts l’avaient anticipé. Il est la résultante de nombreux facteurs, anciens pour certains, de circonstance pour d’autres.
Nucléaire militaire ou civil, défense, police, administration, économie, énergie, industrie, commerce extérieur, endettement, éducation et formation, santé, culture, démographie, famille, cohésion nationale, ascension sociale, liberté de la presse, excellence intellectuelle, littérature, diplomatie, autorité de l’Etat, prestige en Europe et dans le monde… Dans tous les domaines où la France était autrefois, et à fort juste titre, fière de sa force, de son influence ou de son excellence, on peut dire qu’elle a, en une quarantaine d’années, depuis Mitterrand, totalement gâché ses atouts et ses chances. Un véritable suicide avec, en plus, un acharnement systématique, presque satanique, dans l’auto-destruction.
L’Afrique, un grand atout gâché par la France
L’Afrique n’est pas le moindre de ces atouts gâchés. En effet, nous y avions tout : la connaissance profonde, par la colonisation, puis la décolonisation, des mentalités, des peuples et des personnes. Nous avions les meilleurs africanistes au monde. Nos relations étaient intimes avec les plus hauts dirigeants africains publics et privés. Elles le sont encore parfois : par exemple, il n’est un secret pour personne que de nombreux chefs d’Etat africains se retrouvent dans les mêmes loges maçonniques que certains politiciens ou hommes d’affaires français. Nous y partagions, ce qui est essentiel, la même langue. De nombreuses entreprises travaillaient en Afrique. Elles y travaillent encore, non répertoriées dans les statistiques d’import/export (les seules que l’on regarde), puisqu’elles opèrent localement. Elles emploient et forment, à ce titre, un grand nombre de personnes, ce qui est extrêmement utile pour les pays et donc, politiquement, d’une importance essentielle pour l’influence de la France en Afrique. Par exemple, le groupe Castel est le premier employeur au Cameroun, et son activité y est surtout locale. Et ne parlons pas du groupe Accor, ou du groupe Bolloré.
La gauche déteste l’Afrique
Comment avons-nous fait, dans ces conditions, pour gâcher de telles chances ?
Il me semble que le cœur de l’affaire, c’est le fait que la gauche au pouvoir, depuis les années 80, au fond déteste l’Afrique, comme elle déteste tout ce qui n’entre pas dans son logiciel idéologique germanoprantin », fait de petitesse, de morgue et d’exclusion. Pour le dire autrement, elle abhore tout ce qui est un tant soit peu traditionnel et conservateur, comme l’est l’Afrique. Cette « fracture » a marqué toute la période, à l’exception, notable, de la présidence de Jacques Chirac, qui aimait et comprenait l’Afrique. Car Chirac n’était pas un progressiste, mais un conservateur, qui n’avait, il est vrai, pas le courage de s’assumer comme tel. Mais ce n’est pas exactement la même chose.
Ainsi, deux discours ont été tenus, dont la permanence a miné progressivement notre crédit :
Le premier, paradoxalement, est le discours anti-colonial. Oubliant que la colonisation est au départ un projet de gauche, la « gauche bobo » moderne n’a cessé, pour se valoriser idéologiquement [1]de dénigrer son propre passé, jusqu’à affirmer que « Oui, la colonisation est un crime contre l’humanité [2]». Il est facile de refaire l’Histoire, surtout si l’on ne fait pas l’analyse, en regard, des régimes autochtones antérieurs[3]. On met dans le même sac la question de l’esclavage, en faisant un symbole de la culpabilité perpétuelle des « blancs », alors que cet épisode de l’Histoire est d’abord celui d’une prédation des noirs par d’autres noirs.
Le but de ce développement n’est pas de rouvrir les dossiers de ces deux questions facilement polémiques. Ce travail est à faire par les historiens, avec toute la distance qui convient, et avec des méthodes scientifiques, et non pas idéologico-médiatiques. Il convient cependant d’affirmer que ce qui compte avant tout, dans une relation politique, diplomatique ou commerciale, c’est sa propre attitude. Si l’on est fier de soi-même, et que l’on assume courageusement son passé, quel qu’il soit, les contreparties ont confiance en vous, et des partenariats solides peuvent se nouer. Si l’on commence par s’approcher en battant sa coulpe, rien de bon ne peut sortir. Les dirigeants et les peuples africains le savent mieux que personne, qui tentent d’exploiter à leur profit, si on leur tend la perche, cette relation frelatée, mais qui ne sont pas dupes de la réalité[4].
Une politique perverse
Il en est résulté une sorte de politique perverse, où la France, qui a initié, dans la plupart de ces pays, les processus d’indépendance, a tenté, pour asseoir une sorte de « néocolonisation idéologique », de se présenter à la fois comme une « mère », possessive et infantilisante, comme une coupable et, pour couronner le tout, comme une donneuse de leçons[5]. C’est le deuxième discours qui nous a perdus.
En effet, oubliant que les processus politiques sont loin d’être parfaits en Afrique[6], nous n’avons cessé d’exiger d’eux la « démocratie », tout en couvrant, lorsque cela nous arrangeait, les « tripatouillages » électoraux, le népotisme et la corruption. Depuis combien de temps les Sassou-Nguesso, les Paul Biya, les Bongo, les Eyadema, les Ouattara sont-ils au pouvoir ? Si nous exigeons la démocratie, il faut assumer cette exigence jusqu’au bout, et pas seulement lorsqu’elle sert nos intérêts. Et si on ne l’assume pas, il faut laisser les régimes régler eux-mêmes leurs affaires sans intervenir. On ne peut pas, en effet, fustiger et condamner les coups d’Etat militaires, vouant les « dictatures » aux gémonies, et en même temps cacher les « coups d’Etats civils », dont nous sommes nous-mêmes, au passage, des spécialistes[7]. De plus, nous avons assorti cette exigence de « démocratie » d’une autre, celle des « droits de l’Homme ». Outre le fait que nous devrions, dans ce domaine, d’abord donner l’exemple, nous appliquons en Afrique ce qu’il faut bien appeler une « fausse bonne idée ». Car si elle est en théorie satisfaisante, et qu’elle fait plaisir à nos intellectuels de salon, dans la pratique, elle ne fonctionne pas : elle a les mains propres, mais elle n’a pas de mains. Mais c’est pire encore : en réalité, elle est un alibi. Nous la brandissons lorsqu’elle nous arrange, et nous la cachons quand elle nous dessert. Aucun africain n’est dupe de cette hypocrisie.
Notre incohérence fondamentale
En fait, lorsque les peuples et les opposants africains à la France disent qu’ils ne veulent plus de nous, ce qu’ils critiquent, c’est notre incohérence fondamentale, et par ailleurs le fait que nous ayons fait de l’assistanat (comme en France !) le principe même de notre politique. Voulons-nous leur liberté ou non ? Voulons-nous leur indépendance ou non ? Voulons-nous leur développement ou non ? Voulons-nous une approche concrète et pragmatique (c’est ce qu’ils attendent !), ou bien la permanence (et jusqu’à quand ?) de ce « ficelage », cet infâme brouet idéologico-politique dont personne n’a rien à tirer, ni les africains, ni nous-mêmes ? Ce que nous payons aujourd’hui, c’est notre incapacité à sortir de cette contradiction première. Nous ne voulons pas accepter les africains pour ce qu’ils sont, mais nous voulons qu’ils deviennent ce que nous voudrions qu’ils soient. Vieille litanie révolutionnaire française !
Pendant toute notre Histoire depuis l’indépendance, et bien plus encore depuis la prise de pouvoir par la gauche en 81, et alors même que la « concurrence » se développait progressivement (Chine, Russie, Turquie, USA, Maroc, Qatar[8], Arabie saoudite, etc…), nous avons tenté de concilier idéologie et pragmatisme sans jamais y parvenir.
Notre force abandonnée : la « françafrique »
L’un des exemples les plus flagrants de cette contradiction est la façon dont nous nous sommes piégés nous-mêmes avec le concept de « françafrique ». Le commerçant international que j’ai été pendant 40 ans peut affirmer que d’abord, dans toutes ses pérégrinations africaines, jamais il n’a subi de reproches du type « Vous, les français ! », mais aussi que dans presque tous les pays du monde, ce qui compte avant tout, ce n’est pas la lettre d’un contrat, mais l’esprit de celui-ci, les intentions, que l’on devine à travers la relation interpersonnelle. Un jour, après m’avoir fait attendre pendant près d’un an pour faire notre première affaire, l’un de mes clients saoudiens avait fini par acquiescer. Devant mon étonnement, il m’avait dit : « I wanted to be sure that if, some day, we have a problem with you, we can sit down and talk »[9]. Foin de clauses compliquées, d’artifices et d’avocats, ou même de la taille de mon entreprise, ce qu’il voulait, c’était établir une relation de confiance. Et il lui fallait du temps pour s’assurer de ma « qualité », de mon sérieux et de ma sincérité. Les Asiatiques, les Africains raisonnent de même. Le mode de fonctionnement contractuel anglosaxon n’est pas partagé dans la plupart des pays du monde où ce qui compte, selon la coutume médiévale, c’est « le lien d’homme à homme ». C’est cela qu’exprimait autrefois la « françafrique », une caractéristique dont auraient bien aimé disposer, à l’époque, tous nos concurrents étrangers. S’il convenait, sans doute, d’en gommer les aspects les plus négatifs, il fallait, évidemment, en conserver le principe. Or la gauche, et Mitterrand le premier, ont été si heureux, en critiquant ces liens, de montrer à quel point leurs prédécesseurs étaient fautifs, et eux-mêmes vertueux, qu’ils ont détruit ce qui faisait notre force. Il faut remarquer d’ailleurs que Mitterrand, conformément à ses habitudes, était le dernier à respecter ses propres principes, puisqu’il avait nommé, en charge des affaires africaines, son propre fils Jean-Christophe, que les dirigeants du continent nommaient drôlement « Papamadit »… Comme abandon de la « françafrique », on pouvait mieux faire…
Les racines de la crise sahélienne
Les racines de notre perte d’influence en Afrique remontent donc à loin, et l’on retrouve tous ces ingrédients non seulement dans la crise du Niger, mais aussi dans celles, plus anciennes, des autres pays du Sahel.
Comme je le montre dans deux précédents articles[10], nous avons très mal pris, dès le départ , la question sahélienne : L’africaniste Bernard Lugan le clame depuis des années : le principal problème qui a trait au Sahel est le fait qu’y cohabitent les peuplades nomades pastorales, peu nombreuses, mais guerrières, au nord, et des ethnies plus nombreuses, sédentaires et cultivatrices au sud. Depuis toujours, les guerriers du nord ont tenté, par les razzias et la rapine, d’assurer leur domination sur les peuples du sud. Or la décolonisation, puis l’application stricte de la loi électorale occidentale « un homme, une voix », ont permis un renversement politique définitif, et la victoire éternelle des « dominés » du sud, plus nombreux [11], sur les anciens « dominants » du nord. Ce piège, qui nous arrangeait dans le « ficelage » politique de ces pays, a non seulement augmenté la rancœur des peuples du nord[12], mais a aussi permis, dans plusieurs pays, que s’instaurent, sous couvert de « démocratie », des habitudes de népotisme et de corruption, et partant, d’inefficacité politique. Pourquoi, en effet, se lancer dans des aventures politiques et dans des réformes dangereuses, lorsqu’on est « bien protégé » par le système et par la France, et qu’il suffit de donner le change et de ne rien faire, en s’enrichissant si possible au passage ?
La guerre civile du Mali de 2012, et l’intervention de la France avaient pour substrat la situation de blocage politique décrite ci-dessus. Malgré, ou peut-être à cause des « processus démocratiques » dont la France était très fière, faisant du Mali un exemple à suivre, la corruption des élites y était notoire. Pour cette raison, l’armée, négligée et mal entraînée, se trouvait incapable, en janvier 2013, de repousser les insurgés venus du nord. Cela arrangeait d’une certaine façon la France, qui « tenait » ainsi son allié malien en rênes courtes. Elle « fit le job » en quelques jours. Mais, pour les mêmes raisons, elle ne profita pas de cette occasion inespérée pour imposer aux dirigeants maliens de l’époque les réformes politiques et institutionnelles indispensables : lutte contre la corruption, redressement de l’armée déliquescente, et surtout, mise en route d’un processus de décentralisation pour, enfin, intégrer les peuples touaregs minoritaires dans un vrai projet politique motivant.
Du coup, la France devint « l’otage de son otage ». Piégée au nord, où elle s’était donnée une mission de lutte contre le djihadisme au-dessus de ses forces, insuffisamment organisée pour une véritable guerre contre-insurrectionnelle durable et coûteuse, et surtout sans avoir imposé les réformes politiques nécessaires pour obtenir l’appui des chefs et des populations du nord (une disposition indispensable dans la guerre contre-insurrectionnelle), ni interrompu la corruption qui se perpétuait à Bamako « sous son aile », elle s’enferra peu à peu dans un « piège sahélien » dont elle ne parvint plus à sortir.
De même, elle ne saisit pas au bond la possibilité de ratifier, en 2015, l’Accord d’Alger, craignant de donner trop de place à l’Algérie et de perdre son hégémonie politique sur le Mali.
Dans ce contexte devenu particulièrement grave, et dans la situation de blocage du pays, dont on ne sait plus si la France le déplore ou l’encourage (les deux, sans doute…), on peut considérer que les deux tentatives de coup d’Etat du jeune Assimi Goïta, en 2020, puis 2021, étaient sinon légales, du moins légitimes. Il faut remarquer d’ailleurs qu’après sa deuxième prise de pouvoir, le 24 mai 2021, il prit la peine de la faire ratifier, le 28 mai, par la Cour constitutionnelle malienne. Elle est donc, aujourd’hui, non seulement légitime, mais aussi légale.
Mais là aussi, la France prit une attitude « légaliste » et autoritaire. Au lieu de tenter de profiter des velléités réformatrices du nouveau pouvoir pour le mettre au pied du mur, et lui demander ce qu’il comptait faire, lui, pour sauver le pays, elle mena la fronde contre lui via la CDEAO, encouragea le blocus du pays, retira ses troupes sans concertation préalable, mit un ultimatum pour le retour au pouvoir civil. Une tentative de mise à mort politique, alors que, selon la tradition africaine, il eût fallu « s’asseoir et discuter ». Mais y a-t-il encore un pilote dans l’avion Afrique-France ? Qui est aujourd’hui le « monsieur Afrique » français ?
Alors qu’une transition assez courte était négociable (Goïta demandait 3 ans), la France « se fâcha » et se cabra. Ce qui devait arriver arriva : le pouvoir malien, logiquement, se raidit aussi. La population malienne prit fait et cause pour lui, et le légitima. Aujourd’hui la France est isolée et battue, politiquement et diplomatiquement. Après ce premier domino, les suivants (Guinée en septembre 2021, puis Burkina en janvier 2022) tombèrent rapidement, puis le Niger il y a quelques jours.
La crise du Niger
L’affaire du Niger n’a pas exactement la même origine qu’au Mali : Dans ce pays, grâce, certainement, à la « tradition » politique imposée par Seyni Kountché, un ancien dirigeant d’une grande rigueur[13], la corruption et l’inefficacité n’avaient sans doute pas autant cours que dans des pays comme le Mali. Ce n’est donc pas l’indignation des militaires devant la déliquescence du pouvoir qui a provoqué le putsch.
Il semble bien, selon la thèse défendue par le géopoliticien français Alexandre Del Valle, que l’origine du coup d’Etat y soit, dans ce cas, un différend grave existant entre les chefs de l’armée et l’ancien président Mohamed Bazoum, au sujet de la politique à mener contre les djihadistes, les militaires ayant voulu, pour assurer la protection du pays, à tout le moins un dialogue et une coordination avec les pays voisins du Mali et du Burkina, et le président Bazoum, sous l’égide de la France (qui voulait poursuivre la « punition » et l’isolement de ces deux pays), l’ayant refusé. Cette thèse semble en effet assez plausible. En effet, la non-coordination des politiques sécuritaires est tout à fait contraire au bon sens, et par ailleurs, l’alignement trop ostensible sur la France est devenu une vraie faiblesse politique.
Par rapport à cela, et même si l’on ne peut en être certain, l’intervention effective des troupes de la CDEAO est assez peu probable. Cela tient en grande partie à la configuration des pays dans les frontières issues de la colonisation.
En effet, le découpage, à l’indépendance, des « nouveaux » pays, a été fait selon les frontières administratives antérieures, sans avoir comme principe l’unicité des ethnies dans chacun d’eux. Ceci a eu le double effet d’exacerber les tensions intra-étatiques (puisque plusieurs ethnies peuvent en principe se disputer le pouvoir dans chaque pays), mais aussi de diminuer les tensions inter-étatiques, puisque, le plus souvent, ce sont les mêmes peuples que l’on retrouve de part et d’autre d’une frontière (ainsi les Yorubas à la frontière nigériano-béninoise, ou les Haussa à la frontière nigériano-nigérienne). De fait, si les guerres civiles ont été nombreuses et très violentes (cf la guerre du Biafra, ou celles du Rwanda ou d’Angola), il n’y a que très peu d’exemples de guerres entre pays limitrophes[14].
En effet, une guerre entre deux pays voisins ferait que certains soldats devraient se battre contre leurs « frères », et par ailleurs, le pays « vainqueur » se trouverait très fragilisé par le fait qu’il pourra ensuite être facilement déstabilisé par des attaques terroristes venant de l’autre côté de sa frontière[15]. C’est pour cette raison que le Parlement nigérian est très réticent à une telle intervention. Une telle « jurisprudence » risquerait de mettre toute l’Afrique, à terme, à feu et à sang, d’autant que, en plus, les pays qui n’ont pas l’accès à la mer se sentent souvent « rackettés » par leurs voisins du sud. Il existe donc une frustration des pays du nord qui ne demanderait qu’à s’exprimer.
Par contre, il est fort possible que la CDEAO tente de « retourner » certains chefs de la nouvelle junte, ou certaines tribus touareg, ceci afin de miner progressivement la coalition militaire. C’est probablement ce qui se passe en ce moment, à la faveur des « palabres ».
Quelle sera donc la détermination des putschistes (ils ne peuvent sans doute pas accepter la position maximaliste de la France qui leur interdit de s’entendre avec leurs voisins sahéliens pour assurer leur sécurité) ? Quel sera l’appui qu’ils pourront recevoir du Mali et du Burkina dans leur tentative, appuyée, certainement, par la Chine et surtout la Russie, qui a intérêt à étendre sa zone d’influence sahélienne ? Quelles seront la détermination et l’habileté de la CDEAO pour, sans radicaliser le peuple nigérien, miner la junte de l’intérieur, ou trouver une solution de compromis (une transition limitée dans le temps, ou un arrêt du « diktat » de la France ?), terrorisés que sont, certainement, certains de ces potentats par le risque que la contagion politique s’étende dans leurs propres pays ? Nul ne le sait à ce jour.
On peut cependant remarquer que, dans ce cas également, la France a été particulièrement maladroite. En effet, au lieu de laisser les belligérants régler leurs comptes, tout en les appuyant et les manipulant au mieux par-derrière, elle s’est dépêchée de s’afficher en première ligne, avec des déclarations péremptoires, alors que les USA, par exemple, ont été beaucoup plus malins. De fait, ces derniers ne parlent que de « crise », alors que la France a dit qu’elle « condamne fermement le putsch militaire illégitime ». Clairement, après de telles paroles, si les putschistes ont finalement gain de cause, la France en sortira encore un peu plus isolée et affaiblie.
De toute façon, les choses en sont, globalement, à un tel point de défiance vis-à-vis de la France, non seulement au Sahel, mais aussi ailleurs, qu’on peut penser qu’à terme, nos jours sont comptés, ainsi, probablement, que ceux de la CDEAO. Ces organisations sont trop vieillies par rapport à la « nouvelle donne » africaine. Quel gâchis !
Les rêveries politiques d’Emmanuel Macron
Car à toutes ces maladresses diplomatiques et militaires, il convient de rajouter les erreurs politiques personnelles d’Emmanuel Macron lui-même, que ce soit sa « sortie » sur la « climatisation » lors de sa visite au Burkina Faso en Novembre 2017, ou encore le Sommet Afrique-France de Montpellier, le 8 Octobre 2021, clairement orienté pour monter (en l’absence des chefs d’Etats africains !), les « élites » africaines contre leurs pouvoirs politiques respectifs, ou encore sa visite catastrophique à Kinshasa, le 4 Mars 2023, conclue par une soirée arrosée dans une boite de nuit locale… Toutes ces interventions n’étaient pas uniquement de la maladresse. Elles proviennent du fait qu’Emmanuel Macron, un pur progressiste, plus encore que ses prédécesseurs socialistes, déteste et méprise le système politique africain très conservateur. Au lieu de l’accepter tel qu’il est, et de faire au mieux avec lui, il a tenté de mettre de son côté, d’une façon très ostensible et maladroite, les intellectuels et la jeunesse africaine, de façon à faire pression sur les pouvoirs politiques dans le sens d’une possible « libération ». Fomenter une révolution progressiste en Afrique ? Quel drôle de projet politique[16]… Rêvait-t-il d’une « Gay Pride » un jour à Abidjan, à Yaoundé, ou même à Bamako ? Si c’était cela, il a bien raté son affaire. Il s’est mis à dos toute l’Afrique, non seulement les pouvoirs, mais aussi les peuples. Il a, de ce fait, gravement accéléré la descente aux enfers de la France sur ce continent.
L’Afrique, futur géant du monde
Et ceci est d’autant plus dommageable que l’Afrique, qui aura dans 30 ans le quart des habitants de la planète, constitue aujourd’hui la principale opportunité de croissance et de développement pour le monde[17]. Pour cette raison, elle intéresse toutes les puissances. Et c’est au moment où tous se battent pour s’y construire une place de choix que nous, qui y avions la primauté, et pour qui l’Afrique représente, du point de vue politique et économique, la profondeur stratégique qui nous manque, faisons tout ce qu’il faut pour nous en faire chasser honteusement. L’Afrique, clairement, a senti que l’avènement d’un nouveau monde multipolaire lui offre de nouvelles et grandes opportunités. Après une période difficile pour les peuples, la sortie du sous-développement, pour de nombreux pays ou régions du continent africain, est peut-être maintenant à portée de vue. C’est en tout cas le fondement de son « nouveau nationalisme ». Sur cette base, elle veut trois choses : du concret, du concret et du concret[18]. C’est ce que nous ne voulons pas lui donner. Une marque de plus, s’il en fallait, de notre stupidité idéologique, raison principale de notre déclin.
Voici ce qu’en dit un intellectuel camerounais, qui résume tout :
« Quand la Chine vient avec les projets infrastructurels, l’Inde avec des projets agricoles, le Japon avec des écoles primaires, l’Allemagne avec la coopération universitaire de haut niveau, la Russie avec la coopération sécuritaire de pointe, tout ce que la France nous propose, c’est la promotion de l’homosexualité ! Et après, ils vont s’étonner du “sentiment anti-français”. »
Malheur aux faibles et aux orgueilleux irréalistes que sont nos élites et nos gouvernants. Malheur a nous, qui n’osons pas les chasser. « Vae victis », comme disait Brennus…
[1] Et accessoirement pour forcer sa politique anti-patriotique, permettant de « fasciser » plus facilement ses opposants politiques conservateurs, dont elle fait un bouc émissaire très utile, tout en flattant son électorat d’origine immigrée. Funeste politique…
[2] Macron à Alger, en Février 2017.
[3] Que l’on se rappelle, par exemple, les sacrifices humains perpétrés par le dernier roi d’Abomey Béhanzin https://www.valeursactuelles.com/clubvaleurs/histoire/la-traite-des-rois-africains
[4] Plusieurs dirigeants africains, dont Rawlings du Ghana et Kérékou du Bénin, ont reconnu publiquement la responsabilité africaine de l’esclavage. Par ailleurs, au début des années 1980, à ma question « Comment se fait-il que l’on fasse de l’esclavage une question polémique entre noirs et blancs, alors que c’était le résultat d’un commerce ? », le conservateur du Musée de Gorée, le célèbre intellectuel sénégalais Boubakar Joseph Ndiaye, m’avait un jour répondu « Cher Monsieur, je passe mon temps à dire à mes collègues africains que lorsqu’il n’y a pas de vendeurs, il n’y a pas d’acheteurs, et ça les énerve au plus haut point ! »
[5] Existe-t-il un « cocktail » politique plus repoussant que celui-là ?
[6] Mais le sont-ils ailleurs, en France ou aux USA, par exemple?
[7] En particulier l’invalidation des concurrents. N’est-ce pas, François Fillon ?
[8] Par leur soutien aux djihadistes
[9] « Je voulais être sûr que si, un jour, nous avons un problème avec vous, nous pouvons nous asseoir et discuter ».
[10] srp_mali2.pdf (francoismartin-geopolitique.fr) et srp_gachis.pdf (francoismartin-geopolitique.fr)
[11] Puisqu’en Afrique, le vote est toujours ethnique. L’ethnie majoritaire peut donc garder le pouvoir pour toujours.
[12] A qui les trafics d’armes, de drogue et de migrants ont ensuite donné les moyens de leurs ambitions.
[13] Lorsqu’il était au pouvoir, Seyni Kounché avait l’habitude, fréquemment, de se rendre devant l’entrée de ses ministères, le matin aux heures d’ouverture, et d’y scruter l’arrivée de ses fonctionnaires en regardant ostensiblement sa montre. Inutile de dire qu’à défaut de vérifier la qualité du travail, il s’assurait au moins d’une ponctualité exemplaire… Seyni Kountché — Wikipédia (wikipedia.org)
[14] La guerre entre le Rwanda et le Zaïre en était un excellent exemple, mais elle avait des causes géopolitiques et non régionales.
[15] J’ai eu moi-même l’occasion de faire, en « taxi de brousse », la route Niamey-Maradi-Zinder-Kano, de même que, plusieurs fois, la route Accra-Lomé-Cotonou-Lagos. Je peux attester du fait que les frontières y sont particulièrement poreuses, comme toutes les frontières terrestres africaines, qui ne sont pas des protections, mais d’abord des lieux et des occasions de trafics.
[16] Ceci est confirmé par la pathétique tentative d’envoyer au Cameroun, en Juin de cette année, notre “Ambassadeur de France pour les droits LGBT”. La “conversion” de l’Afrique au wokisme est véritablement l’un de nos objectifs politiques. Refus du Cameroun d’accueillir l’ambassadeur des droits LGBT+ de Macron – Boulevard Voltaire (bvoltaire.fr)
[17] srp_africain.pdf (francoismartin-geopolitique.fr) et Développer l’Afrique (démographie, ressources, défense…) – François Martin – YouTube
[18] Et en premier lieu, de l’énergie abondante et bon marché, et des infrastructures. Puis des structures sécuritaires, une agriculture performante et des moyens de formation professionnelle dignes de ce nom.
Source : https://lecourrierdesstrateges.fr/2023/08/17/crise-au-niger-franchement-quesperait-on-dautre-par-francois-martin/
Source : L’Echelle de Jacob
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