Covid-19 : un amendement de l’Assemblée pour exonérer les ministres de responsabilité pénale ?
Le signal politique envoyé a de quoi laisser perplexe : ce mercredi 6 mai, l’Assemblée nationale a adopté en commission des lois un amendement des députés de la majorité censé affiner les contours de la responsabilité pénale des élus locaux, fonctionnaires ou chefs d’entreprise, en cas de faute non intentionnelle qui conduirait des tiers à être contaminés par le Covid-19. Dans le cadre de l’examen du projet de loi de prorogation de l’état d’urgence sanitaire, les députés ont donc précisé que la responsabilité des maires devaient être appréciée, “en cas de catastrophe sanitaire”, en fonction “de l’état des connaissances scientifiques au moment des faits”. Un ajout qui, sans être forcément décisif sur le plan du droit, laisse à penser que le gouvernement cherche à se dédouaner au cas où il serait mis en cause.
Que dit la loi ?
Appréhendant la réouverture des écoles avec le début du déconfinement, le 11 mai prochain, de nombreux maires redoutent que leur responsabilité pénale soit engagée au cas où un élève ou un enseignant serait contaminé par le Covid-19. Depuis 2000, cette responsabilité est définie par la loi Fauchon. Selon ses termes, “il y a délit en cas de faute d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s’il est établi que l’auteur des faits n’a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait”.
Le quatrième alinéa de l’article 121-3 du code pénal précise que “les personnes physiques qui n’ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter, sont responsables pénalement s’il est établi qu’elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elles ne pouvaient ignorer.” Autrement dit, les cas dans lesquels la responsabilité pénale des décideurs publics est effectivement engagée sont déjà limités par la loi.
Le gouvernement opposé à une atténuation
La modification de cet article fait l’objet d’une bataille au Parlement. Le Sénat, aux mains des Républicains et soucieux de soigner sa côte auprès des élus locaux, a voté mardi un amendement renforçant la protection des décideurs publics. “Nul ne peut voir sa responsabilité pénale engagée du fait d’avoir, pendant la durée de l’état d’urgence sanitaire (…), soit exposé autrui à un risque de contamination par le coronavirus SARS-CoV-2, soit causé ou contribué à causer une telle contamination”, à moins que les faits n’aient été commis “intentionnellement”, “par imprudence ou négligence”, ou “en violation manifestement délibérée d’une mesure de prudence ou de sécurité”.
Lundi, le Premier ministre, Edouard Philippe, s’était opposé à ce renforcement. « Préciser la loi, rappeler la jurisprudence, qui oblige le juge à tenir compte des moyens disponibles et de l’état des connaissances au moment où l’on a agi, ou pas agi, oui. Atténuer la responsabilité, je suis nettement plus réservé”, avait-il indiqué. Arrivé à l’Assemblée nationale, l’amendement du Sénat n’a donc pas simplement été supprimé… mais bel et bien remplacé par celui issu de la majorité, qui se borne à ajouter la prise en compte “de l’état des connaissances scientifiques au moment des faits” dans la loi. « Cet ajout ne modifie pas l’état du droit. Il ne fait que préciser, clarifier ce que peut être la jurisprudence. C’est la raison pour laquelle si cette solution-là me semble acceptable, celle de revenir à l’amendement proposé par le Sénat, qui crée des ruptures d’égalité, qui crée des distinctions de toute nature, ne me semble pas souhaitable« , a déclaré ce 7 mai la Garde-des-Sceaux Nicole Belloubet, défendant une addition réalisée pour « rassurer les décideurs« .
Des connaissances scientifiques déjà prises en compte
La prise en compte des connaissances scientifiques fait pourtant déjà partie des éléments d’appréciation pris en compte par les juges pour déterminer si la responsabilité pénale d’un décideur public doit être engagée ou non. C’est notamment le cas pour la responsabilité médicale, comme l’explique à Marianne Philippe Choulet, avocat spécialiste en droit de la santé. “Les médecins ne peuvent être condamnés que si la preuve est apportée, généralement par expertise, qu’ils ont agi contrairement aux données actuelles de la science”, explique-t-il. De sorte que l’amendement adopté par l’Assemblée nationale ne semble pas apporté grand chose : “On peut très bien s’en passer pour apprécier le contexte d’une faute éventuelle, résume un magistrat, c’est précisément le rôle du juge.” “Un élu ne peut pas être aveugle, nuance Philippe Choulet. A la limite, cet amendement renforce l’obligation qu’il a de se tenir informé.”
Mais plus que sur la connaissance scientifique elle-même, on peut supposer que la “préoccupation” des élus invoquées dans l’exposé des motifs par les députés macronistes porte surtout sur les moyens de mettre en oeuvre le déconfinement dans de bonnes conditions. “Sur cette question, le droit est avant tout jurisprudentiel”, rappelle l’élu de l’Eure. “Là, il y a une volonté de graver l’irresponsabilité dans le marbre”, estime-t-il. “Ça n’apporte absolument rien ni aux maires, ni aux chefs d’entreprises, ni aux responsables administratifs”, s’agace le sénateur centriste Hervé Maurey. “Soit on considère qu’ils ont écrit un truc pour dire qu’ils avaient fait quelque chose. Soit on va un peu plus loin, et on se demande si ce n’est pas destiné à protéger les ministres. Auquel cas l’Assemblée s’apprêterait à adopter un texte qui n’est d’aucune utilité aux maires, mais qui pourra servir à exonérer un membre du gouvernement lorsqu’il sera interrogé sur le manque de masques ou de test, en disant : ‘on ne savait pas qu’il fallait des masques’”, bénéficiant du principe de la rétroactivité de la loi pénale plus douce si le texte voté par l’Assemblée venait à être définitivement adopté.
“Les scientifiques ont eux-mêmes évolué »
De fait, le gouvernement, auquel on ne peut évidemment pas reprocher de ne pas en avoir plus su sur le Covid-19 que la communauté scientifique, n’a pas manqué de s’abriter derrière cette dernière. C’est par exemple le cas du Premier ministre, qui déclarait le 28 avril à l’Assemblée : “Les scientifiques ont eux-mêmes évolué. Au début, beaucoup nous disaient que le port du masque en population générale n’était pas nécessaire, que le risque du mauvais usage était supérieur aux avantages espérés. Et nous l’avons donc répété, je l’ai dit. Ils nous disent aujourd’hui, parfois les mêmes, qu’il est préférable, dans de nombreuses circonstances, de porter un masque plutôt que de ne pas en porter. Il me revient donc de le dire, et de faire en sorte que cela soit possible.” Il n’en reste pas moins que, dès son avis du 12 mars, le Conseil scientifique sur lequel Emmanuel Macron assurait le même jour fonder ses décisions, recommandait de “s’assurer de la disponibilité des moyens type gels hydro-alcooliques et masques chirurgicaux pour les population”.
La perspective de voir “l’état des connaissances scientifiques” servir d’excuse au gouvernement provoque l’ire de la droite sénatoriale : “Je ne veux pas d’un dispositif qui permettrait de poursuivre les petits, et de protéger les puissants”, s’est ainsi indigné le président de la Commission des lois, Philippe Bas, sur Public Sénat. “Je ne veux pas d’un dispositif qui permettrait de clarifier la responsabilité pénale du directeur d’école, du maire, du responsable d’une petite unité de production, et qui en profiterait pour créer une forme d’exonération de responsabilité pour le ministre, pour le préfet, pour le directeur d’Agence régionale de santé, qui eux fixent les règles.” Les députés LREM ont en tout cas réussi à produire l’effet inverse de ce que le gouvernement voulait éviter, en donnant l’impression de vouloir faire bénéficier les ministres d’une amnistie généralisée. “Ils ont été maladroits envers le Sénat, les juges, et les élus locaux. C’est une performance”, ironise Hervé Maurey.
Source : Marianne
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