Covid-19: carotte ou bâton, Castex hésite
De nouvelles restrictions s’appliqueront en région parisienne à compter de mardi. Le Premier ministre veut doser entre mesures coercitives et incitations à la responsabilité
Jean Castex rencontre les représentants du secteur de l’hôtellerie et de la restauration
Le gouvernement confirme le passage de Paris en « alerte maximale » à compter de mardi, à l’instar d’Aix-Marseille et de la Guadeloupe, pour une période de 15 jours. Un protocole sanitaire renforcé permettra de maintenir les restaurants ouverts. De nouvelles mesures de restriction seront détaillées lundi pour l’agglomération parisienne, au cours d’une conférence de presse d’Anne Hidalgo et du préfet de police de Paris. D’autres restrictions pourraient suivre à Lyon, Lille, Grenoble et Toulouse dans les prochains jours.
Peut-on être à la fois rouge écarlate et ne pas l’être ? Depuis jeudi, Paris a, théoriquement, basculé en état d’alerte maximale. « Il faut à présent acter la bascule », se préparait-on à Matignon, dimanche. « Mais pas de gaieté de coeur », insiste l’entourage de Jean Castex. Voilà la stratégie sanitaire fondée sur la « responsabilité individuelle » qui s’éloigne de plus en plus, au profit de mesures restrictives que le Premier ministre, ex-« monsieur Déconfinement », redoute d’annoncer.
Sauf que la courbe des hospitalisations poursuit sa course. « La situation est très préoccupante, on découvre de nouveaux clusters tous les jours », confirme un élu à l’Hôtel de Ville de Paris. Selon les projections de l’AP-HP, 100 % des lits de réanimation seront occupés d’ici la mi-octobre au rythme actuel. De nouvelles restrictions pour l’agglomération parisienne doivent tomber entre dimanche dans la soirée et lundi.
Comme à Marseille, les bars de la capitale et de sa petite couronne vont fermer. Le sort des restaurants restait suspendu, dimanche à l’heure de mise sous presse, à l’avis du Haut Conseil de santé publique sur le protocole proposé par les restaurateurs. Si cette instance rattachée au ministère de la Santé donne son feu vert, Matignon autorisera les restaurants à rester ouverts. Mais aussi à rouvrir à Marseille et en Gadeloupe. « La décision sera donnée le plus vite possible pour donner de la visibilité », garantit-on dans l’entourage du Premier ministre.
Les restaurants, qui ont écoulé leurs stocks, attendaient une décision depuis 72 heures. « Qu’ils ouvrent ou ferment, l’absence de critères clairs du politique désorganise toute une filière économique, relève Philippe Moreau-Chevrolet, enseignant en communication à Sciences Po. Le gouvernement a du mal à endosser ses décisions. Castex s’abrite derrière l’administratif. Il avait annoncé des seuils, avec des restrictions associées. Aujourd’hui, c’est à la tête du client, entre Marseille et Paris, selon les négociations des secteurs. C’est très anxiogène. »
Déclinaison locale. Une fois l’alerte maximale confirmée par l’exécutif, les maires et les préfets annonceront leur « déclinaison locale » dès lundi, de la fermeture de lieux accueillant du public à la jauge des réunions dans l’espace public. Un partage de la communication entre pouvoir central et légitimité locale destiné à éviter un nouvel imbroglio marseillais.
La fronde des élus phocéens, fin septembre, a « brouillé l’alerte », accuse-t-on au sein de l’exécutif. Preuve, pour ce proche d’Olivier Véran, que « des messages trop soudains, trop coercitifs, saturent la bande passante et provoquent un effet ras-le-bol ». La situation se dégrade à Aix-Marseille. L’épidémie ralentit dans la population générale, mais progresse chez les personnes âgées. Déjà 34 % des lits de réanimation sont occupés en raison du Covid-19. « Il ne reste plus que 40 lits en soins critiques. S’il y a un accident grave de bus, tout sera saturé », s’inquiète-t-on au ministère de la Santé.
Critiqué pour le manque de concertation, Jean Castex met en scène sa volonté de dialogue. Après avoir reçu, jeudi dernier, les maires et présidents de métropoles de Paris, Lyon, Lille et Grenoble, il a encore échangé avec Anne Hidalgo dimanche. « Le gouvernement a pris conscience que son action ne serait pas soutenable s’il n’associait pas réellement les élus », approuve Emmanuel Grégoire, premier adjoint. La maire de Paris plaide pour un « dosage » des restrictions, sans fermeture totale des restaurants. « On ne peut pas être dans un stop and go permanent de nos activités », a-t-elle critiqué au micro de RTL-LCI… rendant plus difficile encore une décision de fermeture.
Seule certitude dans un océan d’hésitations : le « stop » généralisé est exclu. « Le confinement du printemps a été dramatique. Nous refusons de remettre l’option sur la table, même de manière territorialisée », soutenait-on dans l’équipe d’Olivier Véran ce week-end. « Nous disposons d’indicateurs de tendance qu’on n’avait pas en mars, confirme-t-on rue de Varenne. Le but, c’est de vivre avec le virus. La clé est la capacité à encaisser dans la population, le degré d’acceptabilité des mesures coercitives. »
A Matignon, on scrute donc d’autres chiffres que les indicateurs épidémiques. Selon l’institut Elabe, 73 % des Français se disent désormais inquiets, surtout dans les grandes villes. Une progression forte en quelques jours, dans toutes les classes d’âges. La première salve de restrictions du 23 septembre (fermeture des bars et restaurants à 22h dans 11 grandes villes, interdiction des rassemblements de plus de 10 personnes…) a elle aussi fait son chemin. Une majorité des sondés est aujourd’hui favorable « dès maintenant » à de nouvelles mesures d’interdiction, résignée à la fermeture des bars à Paris.
Echec. Le retour du bâton, c’est pour Castex l’échec de la stratégie de l’incitation. « On a échoué à adapter nos comportements. Mais c’est un échec collectif, de la société, qui n’est pas le fait du gouvernement », défend un conseiller de Matignon. Cet avis n’est pas le mieux partagé. La carotte a-t-elle été assez agitée ?
« L’essentiel des contaminations se font dans les lieux privés. Il a manqué un message clair, fort, de sensibilisation », accuse un élu parisien. Fin septembre, Olivier Véran a bien appelé les Français à réduire leur « bulle sociale », à éviter les sorties. Difficile d’influencer la sphère intime, angle mort de la stratégie sanitaire… « Tout le monde ne l’applique pas, reconnaît un conseiller de l’exécutif. Mais si une personne renonce à un dîner et évite un contact, c’est déjà une micro-victoire. Ces micro-victoires forment un océan. » Sans aller jusqu’à la coercition comme en Belgique ou au Québec, l’exécutif devrait formuler de nouvelles « injonctions » pour inciter à réduire les événements privés.
Mais pour embarquer la société, il faut de la transparence. Le 11 septembre, Jean Castex annonçait des hospitalisations en hausse pour la première fois depuis l’été… et la réduction de l’isolement de 14 à 7 jours. Le 23, la carte de France aux trois nuances de rouge était présentée par Olivier Véran ; dix jours plus tard, elle n’est toujours pas rendue publique en temps réel. « On y travaille, assure-t-on au ministère de la Santé. Il faut traiter les données pour les rendre lisibles, cela prend du temps. » Même critique de la part de la Fédération hospitalière des hôpitaux (FHF), qui pointe un « défaut important d’information » et des « données insuffisamment partagées » sur les projections et les capacités hospitalières, depuis avril, de la part de l’exécutif.
Si Jean Castex peut compter sur l’acceptabilité de l’opinion, seulement 35 % des Français, selon le sondage précité, lui font confiance pour lutter efficacement contre le Covid-19. C’est le niveau le plus faible enregistré depuis le début de l’épidémie. A l’inverse d’Edouard Philippe, l’actuel Premier ministre doit faire avec la lassitude. « Courir un marathon, ce n’est pas un 100 mètres, soupire un proche d’Olivier Véran. On jongle pour trouver le juste milieu, ni ‘‘embrassons-nous Folleville’’, ni paternalisme coercitif. » Ni la carotte, ni le bâton. Entre les deux.
Source : L’Opinion
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