Coronavirus : la mafia s’installe dans les failles de l’État italien… et pourrait bien remonter en France
Durant le confinement en Italie, la mafia et les organisations criminelles ne semblent pas avoir arrêté leurs activités. La mafia italienne profite-t-elle de la crise pour s’installer dans les failles de l’Etat italien ?
Atlantico.fr : Durant le confinement qui a commencé le 9 mars en Italie, la mafia a-t-elle arrêté ses activités comme les autres entreprises du pays ?
Fabrice Rizzoli : Au contraire ! Elle a multiplié les fraudes et notamment celles par internet. Elle est très présente sur le secteur des livraison médicales. C’est typiquement le réflexe des mafias et des organisations criminelles de profiter de l’occasion d’une crise comme celle-ci, on appelle cela : la criminalité de l’opportunisme.
Les mafias liées au contrôle des territoires, elles, vont tenter d’avoir un contrôle plus direct sur les populations. C’est sur ce secteur que les mafias italiennes sont les plus connues. En essayant d’être plus proches des populations les plus démunies avec la distribution de paniers alimentaires, elles cultivent du capital social. Leur objectif est de communiquer mais elles ne le font pas à tous les pauvres, seulement ceux qui ont de l’intérêt. Une de leur cible importante, c’est d’ailleurs les entrepreneurs à qui elles prêtent de l’argent le temps de cette crise.
En prêtant aux entrepreneurs, la mafia tente-t-elle de substituer à l’État pour gagner en influence ? Profite-t-elle de la crise pour s’installer dans les failles de l’État Italien ?
L’État peut être défaillant de deux manières, soit il ne donne pas assez, soit il peut être en retard à cause de la lourdeur de sa bureaucratie. Mais lorsque l’on aborde le problème de l’État, il y a aussi le problème des banques. En Italie, surtout au du sud du pays, il arrive que les banques soient complices de la mafia et elles vont tenter de se substituer à elles.
Il y a quelques sources, des entrepreneurs, qui ont témoigné. Ils ont révélé que les mafieux ne sont pas venus réclamer l’argent de prêts pendant le confinement. La mafia a bien compris que la société était dans une situation de crise, elle s’est dit que durant cette période il ne fallait pas prélever de remboursements car le commerce ne tourne pas. Cela vient du consensus social, on montre que l’on comprend la population.
Elle va aider les travailleurs de l’économie « au noir » qui est répandue dans le sud de l’Italie. La mafia arrive, sait que vous êtes en difficulté et vous propose des paniers alimentaires. Cela lui permet de mettre un pied dans les maisons où elle n’avait pas accès et dire : « Nous, on pense à vous ». Cela en fait des personnes vulnérables après la crise car il y aura toujours quelque chose à payer d’une manière ou d’une autre. Une fois que la crise sera fini, il faudra protéger un stock d’armes ou de drogue, fournir des informations ou voter pour la bonne personne afin de rembourser. Rien n’est gratuit et l’activité mafieuse va reprendre de plus belle après le confinement. Pour le moment, elle investit sur l’avenir.
Cet investissement va-t-il s’avérer payant au niveau politique pour des organisations criminelles ?
L’Italie est un pays profondément européen et « européaniste ». À force d’entendre des propos racistes de la part de la Hollande qui n’a aucune leçons à donner par son statut de paradis fiscal ou de l’Allemagne, un pays connu pour son blanchiment d’argent sans mesure, la population va sentir le caractère anti-sud de ces discours. Il y a un risque important qu’un pays profondément européen se dise que si l’ Union Européenne la lâche il y a des avantages à se tourner vers la mafia. Cela peut être une hypothèse à ne pas mettre de côté.
On voit bien que la mafia ne tire que des avantages de cette crise mais à contrario peut-elle être un frein pour ses activités ?
Le Covid-19 la gène car la distanciation sociale empêche la vente ou le racket. Les vieux mafieux sont aussi impactés car ils ne peuvent plus se déplacer et cela devient très compliqué pour qu’ils puissent transmettre leurs ordres. Le contrôle aux frontières aussi a entraîné des saisies de drogue spectaculaires.
On peut citer l’anecdote d’un mafieux calabrais qui s’est fait prendre dans sa planque car un complice venait lui donner à manger. Lors d’un contrôle de police, il a présenté une attestation avec une adresse lointaine ne correspondant pas à son chemin, les policiers ont donc compris qu’il ne pouvait pas se rendre chez lui. En Calabre, les petits villages sont reliés les uns aux autres, ils ont compris et l’ont suivi. Lorsqu’ils ont vu qu’il rentrait dans une maison qui n’était pas la sienne, ils sont intervenus et ont pu arrêter un mafieux calabrais planqué depuis trois ans.
On parle de l’Italie mais le crime organisé est présent dans tous les pays, en France comme d’autres pays. Comment réagit-il face à la crise ?
En France, l’État ne fournit pas de sources et pour lui il n’est pas question qu’il informe les citoyens de ce qu’il sait. Le rapport du SIRASCO n’est pas public alors qu’en Italie c’est public depuis 1992 même avant l’avènement d’Internet. Il n’y a pas de source et la justice tourne pour le moment au ralenti. Pourtant on sait qu’il est très actif en ce moment à Marseille et à Nice.
Au Mexique, on constate que les cartels utilisent la même méthode de consensus social utilisée par la mafia italienne. Ils sont spécialisés dans ce qui est spectaculaire, soit dans la violence lorsqu’ils installent des corps pendus au-dessus des routes, soit dans la distribution de colis à l’effigie du Chapo Guzman. La communication durant la crise est une manière de montrer que l’on est proche des populations.
Source : Atlantico
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