Contestations sociales : avis de gros temps pour l’exécutif
L’inquiétude gagne les rangs du gouvernement à un mois de la mobilisation du 5 décembre contre la réforme des retraites, qui s’annonce massive.
Paris, le 15 octobre, le personnel de l’hôpital public et les pompiers manifestaient ensemble pour dénoncer leurs conditions de travail et le manque de moyens. Hans Lucas/Léo Pierre
L’observation n’est pas anodine. Mercredi 30 octobre, l’un de ceux qui suivaient Emmanuel Macron dans sa déambulation à Rouen (Seine-Maritime), a senti comme « un petit relent de novembre 2018, lorsqu’il faisait son itinérance dans l’Est ». Pas un bain de foule, alors, sans que le président n’entende parler du pouvoir d’achat, du sort des retraités ou de la grogne qui montait. Tenus à distance, les premiers Gilets jaunes apparaissaient. On connaît la suite.
Et puis, il y a ce mécontentement, latent mais bien présent, qui continue de parcourir la population. « Le paradoxe, c’est que tout cela arrive dans une période où il y a plus d’embauches, un peu de croissance, des baisses d’impôts. Mais l’économie n’est pas une science exacte, c’est fait de chair et d’os. Il faut toujours être vigilant, quand les gens se disent ça va mieux, à cette envie française de redistribution », analyse un proche du Président.
« Il suffit d’une étincelle, le 5 décembre par exemple », observe un conseiller ministériel. L’appel à la grève reconductible lancé par les cheminots ce jour-là trouvera-t-il de l’écho au-delà du rail? Pour l’exécutif, cela vaudra épreuve du feu. D’autant qu’excepté la CFDT, qui ne se joindra pas aux cortèges, les centrales auront à cœur de montrer les muscles.
Le spectre de 1995
« Nous faisons face à un front syndical qui ne veut pas discuter. Laurent Berger est un peu seul », déplore un proche du chef de l’Etat. Plane le spectre de 1995 : le pays avait alors été paralysé par trois semaines de grève, déjà contre les retraites. « Bloquer les familles comme les cheminots l’ont fait aux vacances de la Toussaint, c’était une très grave erreur stratégique, parce qu’ils ont pris les gens en otage », se rassure un pilier du gouvernement.
L’heure est pourtant à l’inquiétude. Les ministres apparaissent « inquiets », « préoccupés », soucieux « de ne pas se faire prendre par surprise, comme avec les Gilets jaunes », selon plusieurs conseillers. L’un d’eux redoute « une agrégation de tous les conflits d’ici à la fin de l’année ». « C’est très tendu. La manifestation des pompiers, ultra-violente, est un bon indicateur du climat actuel », poursuit-il.
Après avoir visionné la vidéo des heurts ayant éclaté à Londres entre des manifestants du mouvement écologiste Extinction-Rebellion qui bloquaient le métro et des passagers, un ministre s’inquiète, lui, d’« une situation de tension entre les grévistes et les usagers ». « Cela peut vite dégénérer… » souffle-t-il. D’où cette recommandation d’un proche du chef de l’Etat : « Quand vous skiez sur des pistes difficiles, il faut avoir une attention redoublée. »
« Personne ne peut penser que ça va passer comme une lettre à la Poste »
Le président de la République le sait, c’est l’acte II de son quinquennat qui se joue cet automne. Qu’il recule sur les retraites, promesse emblématique de sa campagne, et sa capacité à réformer sera définitivement entamée. Qu’il franchisse l’obstacle sans y laisser trop de plumes, et il pourra envisager plus sereinement de se représenter en 2022. Aussi Emmanuel Macron affiche-t-il sa fermeté sur la refonte « systémique et universelle » des retraites, se contentant de lâcher du mou sur la date à laquelle le texte pourrait s’appliquer. « Le message principal qu’on veut envoyer aux gens, c’est : vous n’êtes pas concernés aujourd’hui, mais pour l’instant, ça ne passe pas », reconnaît un conseiller.
À Matignon, on a déjà sorti le paratonnerre. « Personne ne peut penser que ça va passer comme une lettre à la Poste », admet un conseiller d’Édouard Philippe. Le Premier ministre a pesé de tout son poids pour obtenir « une vraie concertation », après les premières pistes de travail dévoilées par le haut-commissaire Jean-Paul Delevoye. Et pour « réserver la réforme aux nouveaux entrants sur le marché du travail », ajoute un cadre de LREM.
Au sommet de l’Etat, on jure aussi n’avoir « aucun tabou » à prendre son temps. Une façon de montrer patte blanche. Car, comme l’assure un proche du chef de l’Etat en un clin d’œil au Juppé de 1995 : « Le pire, c’est d’être droit dans ses bottes ».
Source : Le Parisien
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