Confinée dans la crise, la présidence Macron vire à la tragi-comédie
Emmanuel Macron. Photo © STEPHANE MAHE / POOL / AFP
Emmanuel Macron n’est pas un chef d’État souverain et laconique qui salue le travail des soignants de manière sobre et digne, c’est un acteur mélodramatique qui fait son numéro à la télévision, estime notre chroniqueur et politologue Guillaume Bigot.
Dans l’ancienne France, le décès du monarque était salué par l’exclamation : « Le roi est mort, vive le roi ! » Les travaux du médiéviste Ernst Kantorowitz nous ont appris que cette distinction entre l’enveloppe charnelle du souverain et son corps politique revêtait beaucoup de sens au Moyen-Age. Une telle dichotomie mériterait d’être appliquée à l’actuel chef de l’État.
Depuis 1962, le président de la République est revêtu du saint chrême démocratique. La magistrature suprême a, il est vrai, été pensée par Charles de Gaulle comme l’héritière directe des Capétiens.
Et c’est au prétexte d’assurer cette continuité avec les rois de France que le citoyen Macron a très tôt revendiqué une forme de transcendance, allant jusqu’à se recueillir en la basilique Saint-Denis et n’hésitant pas à user d’un pronom possessif pour désigner le seul souverain légitime en République.
« Mon peuple » : l’expression est parjure pour tout républicain. C’est à nous, le peuple, de nous approprier, le temps de son mandat, « notre président ». Pour le traduire dans une langue intelligible aux oreilles d’un banquier d’affaires : un DG ne saurait désigner le conseil d’administration qui l’a nommé comme « son » board.
Pendant quelques mois, ces petites dérives monarchistes sont passées inaperçues. Emmanuel Macron a en effet bénéficié d’un formidable effet contraste comparé à un « président normal » qui réussira trop bien à camper le citoyen lambda devenu chef d’État.
En comparaison de ce personnage un peu falot, photographié sur son scooter comme un livreur de pizza, le jeune président marchant seul, dans la pénombre, sur l’esplanade du Louvre, avait fait forte impression. Jupiter succédait à François Pignon.
L’affaire Benalla va lézarder cette stature impersonnelle. La France abasourdie comprend à cette occasion qu’Emmanuel Macron est capable de prendre tous les risques, de mettre en difficulté Beauvau et la Préfecture de police pour défendre un garde du corps qui s’est mis dans son tort. On ne touche pas au favori. Tel était le bon plaisir du locataire de l’Élysée.
Plus le temps passe et plus la personne privée va prendre de place au point de compromettre la fonction. Outre son goût pour la transgression (il transforme la fête de la musique à l’Elysée en gaypride) voire de la provocation (qu’ils viennent me chercher) ou encore du mépris (on croise des gens qui ne sont rien), Emmanuel Macron va avoir de plus en plus de mal à ranger son petit ego dans son armure étatique, incapable de résister à la tentation et de se mettre perpétuellement en scène.
Cette présentation de soi se veut grandiose, souvent guerrière, comme dans ces statues équestres des rois de France. On apercevra ainsi Macron Emmanuel en tenue de pilote de chasse ou répondre aux journalistes depuis le ponton du Charles de Gaulle.
Lorsque la pandémie éclate et que l’exécutif mobilise des moyens militaires pour soulager les hôpitaux civils, Emmanuel Macron saute sur l’occasion. Devant les tentes de campagne dressées à Mulhouse, il prend la pause de Clemenceau inspectant les tranchées. Silence dans les rangs, le virus nous écoute ! La mise en scène est d’autant plus décalée, qu’à l’occasion, Emmanuel s’affuble d’un masque qui manque aux soignants et dont ses services prétendaient la veille encore que son usage était contraire à la doctrine.
Sûrement agacé par l’incapacité de l’État à faire croire que le confinement est respecté dans les banlieues, Emmanuel Macron se rend dans un hôpital de Seine-Saint Denis. Une population, qui n’a cure de la distanciation sociale, entoure le marcheur à la sortie pour faire son selfie. Interrogé sur cette mise en scène contre-productive, Sibeth Ndiaye fera cet aveu : « Le président a besoin d’aller au contact, c’est important pour lui. » S’il en a besoin, si c’est important pour lui, c’est l’essentiel.
Emmanuel Macron ressemble à un enfant à qui l’on a offert une panoplie d’indien et qui se prend pour un Peau-rouge. Il refuse de retirer son déguisement. Il pense que la fonction et donc le corps politique qu’il incarne lui appartient, qu’elle est attachée à sa personne. Pour résoudre la crise des Gilets jaunes, Emmanuel macron avait organisé un « grand débat » pour permettre aux Français de s’exprimer.
Las, le président ne va pas écouter « son peuple » mais le convoquer pour que ce dernier l’écoute. Ce n’est pas le roi danse mais le roi parle. Pendant des dizaines d’heures, le communiquant cherche à impressionner ses interlocuteurs par sa maîtrise des dossiers, par sa verve, comme s’il repassait interminablement son grand oral de l’Ena, prenant la France à témoin.
Et lorsqu’Emmanuel Macron s’exprime de manière plus solennelle depuis l’Élysée, ce n’est pas en s’adressant, les yeux dans les yeux, à son cher et vieux pays. Au lieu de parler aux Français, de manière certes soigneusement réfléchi, mais aussi sincère et naturelle, Emmanuel Macron semble passer un casting pour l’Actors Studio.
Le théâtre a joué un rôle essentiel dans la formation du futur président. Mais la présidence de la République n’est pas un décor. Et s’il ne faut pas confondre la personne et la fonction, le titulaire ne peut jouer à occuper le rôle, il doit l’habiter.
Il en fait trop et cela produit plutôt une impression d’insincérité. Le Macron, qui avait essayé de faire pleurer dans les chaumières avec ses femmes seules qui n’arrivent pas à boucler leur fin de mois ou celui qui s’est livré dans un exercice compatissant à l’égard des soignants, illustre à merveille le paradoxe du comédien décrit par Denis Diderot :
« Le comédien excellent moins il sent ce qui dit, mieux il rend les signes extérieurs du sentiment. S’il envoie du feu, c’est qu’il est comme la glace. Les cris de sa douleur sont notés dans son oreille. Il sait quand il tirera son mouchoir, quand les larmes couleront. Ce tremblement de la voix, ces mots suspendus, ces sons étouffés ou traînés, ces frémissements des membres, ces vacillements des genoux, ces évanouissements, ces fureurs… Pure imitation, grimace pathétique, singerie sublime.»
Ce n’est pas un chef d’État souverain et laconique qui salue le travail des soignants de manière sobre et digne, c’est un acteur mélodramatique qui fait son numéro pendant trente minutes.
Dans ses remerciements, l’homme privé ne s’est pas effacé, comme sut si bien le faire Elisabeth II, pour rehausser la majesté de sa parole.
On dira que le président de la République française n’est pas la reine d’Angleterre. L’élu de la nation se devait de prononcer une allocution politique. Dont acte.
Mais dans la partie la plus politique de son intervention, le moi d’Emmanuel Macron a soigneusement su trier entre un message négatif et un autre, plus valorisant.
En cherchant à rendre compte des défaillances et des manques dont il est pourtant comptable (la première fonction du chef est d’assumer), il a adopté la posture du spectateur dégagé. Tel l’Étranger de Camus, Emmanuel Macron a posé un regard désabusé sur des événements qui le concernent mais semblent ne pas l’effleurer. S’agissant de la pénurie de masques ou de respirateurs, nous avons assisté à l’invention d’un président Meursault.
Si la question cruciale et en fait vitale des masques relevait d’un « on » indéterminé, Emmanuel Macron a recommencé à dire « je » dès lors que le discours pouvait être avantageux et la pose flatteuse. « Je » vais me réinventer. On ne lui en demandait pas tant.
Formidable aveu de la part d’un homme qui a été élu sur un programme qu’une pandémie vient de balayer et qui nous tient en substance ce langage : « Bon, ma politique ne vaut plus un clou mais l’essentiel, c’est moi. » Macron tente de séparer le corps politique du roi de son corps physique pour nous convaincre que seul le second importe. Même pour faire absolument le contraire de ce qui l’a fait élire, qu’importe puisqu’on le garde. Qu’importe le breuvage, pourvu que vous gardiez le flacon.
Comme si nous l’avions élu pour ce qu’il était comme personne et non pour le projet qu’il portait. Macron agit comme s’il était une sorte de mannequin, de porte manteau institutionnel.
La collection Macron automne-hiver 2020 est passée de mode. Qu’à cela ne tienne, je vous prépare la printemps-été 2020, celle du monde d’après.
Plus effarant encore, cet entretien surréaliste donné au Financial Times, où le président joue les spectateurs engagés. On l’entend disserter sur le monde d’après, avec flegme et détachement, et se livrer à cet aveu sidérant : « Je m’abandonne à mon destin. »
Source : Valeurs Actuelles
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