Conditions de travail des policiers : « Quelque part, on est des sous-citoyens »
Une importante intersyndicale et des associations appellent à une « Marche de la colère », ce mercredi, afin de dénoncer les conditions de travail des policiers. Entre locaux insalubres, manque de matériel, retards de salaire et répercussions sur la famille, plusieurs fonctionnaires témoignent de leur quotidien.
Police à Marseille la nuit © Radio France / Emmanuel Leclere
« Quand vous êtes déjà au bord du précipice, les conditions de travail, ça peut suffire à tomber dans le vide » : la jeune femme qui use de cette métaphore est policière. 52 de ses collègues se sont suicidés entre début janvier et fin septembre. « Il y a évidemment des raisons personnelles, mais il y a aussi des raisons professionnelles : un manque de sécurité, une pression hiérarchique,… Cela va apporter dans votre vie personnelle un vrai poids supplémentaire« , ajoute Perrine Sallé, porte-parole de l’association des Femmes de forces de l’ordre en colère (FFOC).
Ce chiffre sans précédent a conduit les principaux syndicats de policiers, dont Alliance, Unité-SGP-FO, le Syndicat des commissaires de la police nationale (SCPN) ou le Syndicat des cadres de la sécurité intérieure (SCSI) à s’unir pour organiser, mercredi 2 octobre, à Paris, une « Marche de la colère », dont le départ doit être donné à 12h30, place de la Bastille. Si les suicides ont été le point de départ de ce rassemblement, la colère en question gronde depuis plusieurs mois dans les rangs de la police.
« C’est dégradant »
Une policière qui a officié en région parisienne raconte ainsi avoir vu un moteur de voiture lâcher, alors que sa patrouille partait porter secours à une femme battue par son compagnon. Aujourd’hui mutée dans un Centre de rétention administrative (CRA), elle officie dans une guérite dont elle affirme qu’elle « n’est jamais nettoyée« , avec, pour compagnie régulière, des rats qui viennent se nourrir des détritus qui encombrent les cours du CRA : « C’est dégradant. Qu’est-ce que l’État si on est représentant de l’État et que l’on doit vivre dans un milieu de travail comme celui-ci ? C’est ça la considération que l’on a ? Quelque part, nous sommes des sous-citoyens. Nous ne sommes pas payés dans les temps, avons des conditions de travail qui manquent d’hygiène, sommes en sous-effectifs donc ne pouvons pas poser nos congés comme nous le voudrions…« . Dans un commissariat, le plafond s’est effondré à cause des infiltrations d’eau. Les policiers d’un autre doivent composer avec les cafards et les punaises, ainsi que des remontées d’égout.
Plusieurs policiers déplorent également les conditions dans lesquelles ils ont démarré leur carrière : des retards administratifs entraînent un retard de salaire de plusieurs mois, et des difficultés à se loger, pour ceux, nombreux, qui démarrent dans le métier en région parisienne. L’un d’eux déplore que « les jeunes ne [soient] plus accueillis« , alors qu’ils quittent souvent le foyer familial pour la première fois, et se retrouvent confrontés aux réalités du métier. « Il faudrait que l’on prenne enfin en compte les difficultés que l’on peut rencontrer au travail, demande un jeune fonctionnaire de 24 ans.
« Ce n’est pas normal pour l’être humain d’être confronté à la mort, à la bagarre, à des femmes qui se font frapper par leur mari ou inversement »
« Cela doit être pris en compte, avoir, peut-être, une obligation de rencontrer une fois par an un psychologue pour parler des difficultés que l’on peut rencontrer. Je ne suis pas sûr qu’un policier veuille aller voir un psychologue de lui-même, ce serait un aveu de faiblesse« . Cette réserve a notamment été émise par plusieurs fonctionnaires, au moment du lancement par le ministère de l’Intérieur de la plateforme de prévention des suicides.
« Toujours envie de continuer »
Tous les policiers rencontrés disent aussi ressentir une défiance, sur les réseaux sociaux. « D’un point de vue général, lorsque l’on entend parler de la police, il y a un mal-être. Tout le monde ne comprend pas forcément quelles sont ses prérogatives , ce qu’elle a le droit de faire ou pas le droit de faire, et, malheureusement, il existe parfois des dérapages, qui sont très médiatisés, parfois trop, vite, on créé une histoire avant d’avoir tous les éléments. Les réseaux sociaux n’aident pas« , continue le jeune policier de 24 ans. Lui-même avoue « essayer de voir la personnalité » de son interlocuteur avant de dire s’il est policier. S’il n’est pas en confiance, il se dit « informaticien », domaine dans lequel il a assez de compétences pour faire illusion. Perrine Sallé, porte-parole des FFOC, raconte, elle, que des enfants invités, à la rentrée, à préciser la profession de leurs parents, préfèrent inscrire « fonctionnaire », inventer un autre métier, voire inscrivent « sans profession », de peur d’être pris à partie par leur camarade, parce qu’enfants de policiers.
Les policiers rencontrés semblent toutefois ressentir une certaine fierté à exercer leur métier. L’un d’eux assurer avoir « toujours envie de continuer » : « Cela fait quatre ans [que j’exerce »], et j’espère pour les quarante prochaines années. Peut-être plus, si on doit partir plus tard à la retraite. ».
Il s’agit de l’autre grand mot d’ordre de la Marche de la colère : la défense du régime spécifique des retraites. À ce stade, les fonctionnaires de police bénéficient d’une annuité de cotisation « offerte » tous les cinq ans travaillés, plafonnées à cinq annuités.
Source : France Inter
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