Comment les anticorps du lama pourraient nous sauver du coronavirus
Comment les anticorps du lama pourraient nous sauver du coronavirus
Le lama Winter, au premier plan, a produit des anticorps qui pourraient être dupliqués et utilisés pour combattre le coronavirus. (TIM COPPENS)
Le capitaine Haddock en sait quelque chose : le lama, cracheur invétéré, n’est pas spécialement connu pour respecter les mesures barrières que les humains tentent de mettre en œuvre pour limiter la progression du coronavirus. L’une des pistes pour combattre le Covid-19 mène pourtant à cet affable mammifère, capable de produire des anticorps particulièrement efficaces absents de notre système immunitaire.
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Des chercheurs belges et américains, dont l’étude a été publiée mardi 5 mai dans la prestigieuse revue Cell (en anglais), sont parvenus à isoler un anticorps de lama parvenant à s’attaquer in vitro au Sars-CoV-2, le coronavirus responsable de l’épidémie actuelle de Covid-19. Cette découverte, qui doit être confirmée par des essais cliniques sur des animaux, laisse espérer qu’un traitement puisse être mis au point pour soigner des personnes infectées, mais aussi en prévention. Explications.
Pourquoi les chercheurs se sont-ils intéressés au lama ?
Tout commence en 2016 lorsque des chercheurs du Centre de biotechnologie médicale de Gand (Belgique) et de l’université d’Austin (Texas) lancent une étude pour observer la réponse immunitaire du lama à deux célèbres coronavirus : Sars-CoV-1 (responsable de l’épidémie de Sras en 2003 en Asie) et Mers-CoV (à l’origine du syndrome respiratoire du Moyen-Orient). L’animal n’a pas été choisi au hasard : le lama, comme les autres camélidés (alpagas, dromadaires…) mais aussi certains requins, est connu pour produire (entre autres) des anticorps très particuliers, dont les autres espèces sont dépourvues. Ces anticorps de petite taille (appelés nanobodies), à la structure très simple, sont bien plus faciles à isoler et à manipuler.
Une femelle lama de neuf mois, prénommée Winter, reçoit alors pendant plusieurs semaines des injections de versions dégradées de Sars-CoV-1 et de Mers-CoV, permettant de provoquer la réponse immunitaire de l’animal sans l’infecter. Les scientifiques ont ensuite recherché dans le sang de l’animal les anticorps spécifiques à ces coronavirus afin de les isoler.
« Au départ, c’était un petit projet parallèle sur lequel nous travaillions de temps en temps », explique à franceinfo Xavier Saelens, l’un des deux coauteurs principaux. Mais en décembre 2019, alors que l’étude était quasiment bouclée, l’apparition du Sars-CoV-2 est venue bouleverser la donne, décuplant l’intérêt immédiat de ce programme de recherche. Etant donné les similitudes entre les virus du Covid-19 et du Sras, les chercheurs ont prolongé leurs recherches pour savoir si l’un des anticorps efficaces contre le Sars-CoV-1 l’était aussi contre le Sars-CoV-2. « Dix personnes ont travaillé à temps plein pendant trois mois », raconte Xavier Saelens. Une mobilisation couronnée de succès, puisque leur intuition a été confirmée.
Comment fonctionnent ces anticorps ?
Pour comprendre comment fonctionnent les anticorps, il faut d’abord s’intéresser à la manière dont le virus infecte les cellules. L’enveloppe du Sars-CoV-2 contient une protéine, appelée Spike (S), qui va venir s’accrocher sur des récepteurs (appelés ACE2) présents sur certaines cellules comme celles du nez, des poumons ou encore du cœur. C’est cette interaction entre S et ACE2 qui permet au virus de pénétrer dans la cellule et donc de proliférer.
Face à une telle menace, le corps produit naturellement des anticorps, d’abord génériques, puis, dans un second temps, spécifiques au pathogène ciblé. Souvent représentés schématiquement en forme de Y, les anticorps se fixent alors avec leurs deux bras sur l’agent pathogène (en l’occurrence, le virus) et le détruisent. « Dans le cas du coronavirus, il serait intéressant de pouvoir isoler des anticorps qui se fixent sur la protéine Spike, par laquelle le virus s’accroche aux cellules », explique Christophe Bécavin, chercheur à l’Institut de pharmacologie moléculaire et cellulaire (CNRS, université de Nice) et coauteur de cette étude relayée par Le Monde.
Or, dans le sang du lama Winter, les chercheurs belges et américains ont précisément réussi à identifier un anticorps capable de détruire cette protéine Spike présente sur le virus. Cet anticorps, baptisé VHH-72, possède une structure beaucoup moins complexe que ceux produits par le corps humain. Il peut alors être facilement isolé et dupliqué grâce aux techniques de biologie moléculaire.
Quels sont les débouchés thérapeutiques de cette découverte ?
L’anticorps VHH-72 isolé dans le sang du lama est « simple à reproduire » et pourrait être conçu sans difficulté à une échelle industrielle, assure Xavier Saelens. Ce petit anticorps est d’autant plus intéressant qu’il s’avère très stable dans le temps. Il pourrait donc être stocké facilement sous forme de médicament à injecter ou à inhaler pour combattre le coronavirus.
Une thérapie sous forme d’inhalation de cet anticorps paraît particulièrement prometteuse, puisque la muqueuse du nez serait justement la porte d’entrée de ce coronavirus, comme le suggère une récente étude internationale. « Le virus attaque en premier lieu le récepteur ACE2, très présent dans les cavités nasales, avant de se multiplier dans les voies respiratoires », explique Christophe Bécavin. Pour le moment, Xavier Saelens et ses équipes envisagent plutôt un traitement par injection, « plus conventionnel », plutôt que par inhalation, un mode d’administration moins éprouvé et qui nécessiterait des recherches supplémentaires.
Des essais cliniques sur des hamsters et des souris vont débuter prochainement. « On sait que cet anticorps est efficace contre le coronavirus, mais il faut maintenant voir s’il fonctionne sur un système complexe et s’il résiste à la réaction du système immunitaire », explique Xavier Saelens. Des résultats sont attendus d’ici deux mois. S’ils sont concluants, des essais sur des humains présentant des symptômes modérés du Covid-19 pourraient commencer.
Les chercheurs n’excluent pas une utilisation préventive de ces anticorps, qui pourraient, selon Xavier Saelens, « rester quelques semaines en circulation dans le sang ». Les personnes à risque ou en contact régulier avec le virus pourraient alors en bénéficier.
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