Comment Alexandre Benalla est-il devenu lieutenant-colonel à 26 ans ?
Le rapport de la commission du Sénat sur l’affaire Benalla, rendu public le 20 février, revient sur « la nomination atypique » de l’ancien conseiller de l’Elysée au grade de lieutenant-colonel dans la gendarmerie.
« L’utilité d’une telle nomination a été défendue par la gendarmerie nationale et par l’intéressé avec des justifications variables et qui demeurent peu convaincantes» estiment les rapporteurs, « pas convaincus de la pertinence de cette nomination ». « Pour qu’une telle anomalie ne se reproduise plus », ils jugent « nécessaire que la gendarmerie nationale renforce la transparence de ses recrutements et la rigueur des règles de sélection dans la composante « spécialiste » de sa réserve ».
Pour bien comprendre comment un tel « saut de grade » dans la réserve a pu être possible, il faut savoir que, dans la gendarmerie, « la réserve opérationnelle de niveau 1 se subdivise entre les réservistes de « sécurité publique » (environ 30 000) et les réservistes « spécialistes » (au nombre de 87 en octobre 2018). Ces spécialistes sont recrutés pour exercer des fonctions déterminées correspondant à une expérience ou qualification professionnelle civile, sans formation militaire spécifique. Le grade du réserviste spécialiste est temporaire (il dure le temps de la mission correspondante) et n’emporte aucune prérogative de puissance publique, ni de commandement, ni – pour la gendarmerie nationale – le port d’insignes ou de tenue », rappellent les sénateurs.
« Alexandre Benalla a intégré la réserve opérationnelle « de sécurité publique » à l’issue d’une préparation militaire gendarmerie (PMG), le 25 juin 2009, dans le département de l’Eure, où il a effectué pendant six ans comme gendarme-adjoint, au gré de ses convocations, un travail de sécurité publique générale. Entre 2009 et 2015, il a ainsi servi au total pendant 194 jours. Ayant donné satisfaction, il a été promu brigadier le 1er décembre 2015 », indique le rapport.
« Il a été radié à sa demande en novembre 2017, ayant intégré sous un autre statut, cette fois comme « spécialiste ». Il a obtenu cette intégration le 20 octobre 2017 au grade de lieutenant-colonel, à l’initiative du directeur général de la gendarmerie nationale, alors que les services instructeurs avaient, eux, envisagé un grade, inférieur, de commandant ». Il s’agissait de le faire participer à « un groupe de travail et de réflexion sur l’amélioration de la sécurité des emprises militaires de la gendarmerie ». Plusieurs attaques avaient récemment eu lieu et le Directeur général de la gendarmerie, Richard Lizurey, avait rencontré Alexandre Benalla dans l’avion de retour du voyage présidentiel aux Antilles.
« Cette nomination souffre ainsi particulièrement de la comparaison avec les profils habituellement intégrés comme officiers supérieurs à la réserve opérationnelle en tant que spécialistes. Selon les informations transmises par la DGGN, le vivier de la réserve opérationnelle des « spécialistes » de la gendarmerie nationale est particulièrement resserré : on ne compte actuellement que 87 personnes sous contrat à ce titre (17 au grade de commandant ou chef d’escadron et seulement 10 au grade de lieutenant-colonel). Les profils recherchés sont titulaires de compétences techniques rares ou pointues ou de diplômes universitaires ou d’études supérieures– juristes, psychologues, experts en sécurité, en intelligence économique, en hautes technologies, ingénieurs en informatique, en travaux cartographiques… » lit-on dans le rapport. Alexandre Benalla a expliqué que « ses diplômes (Master 1), son parcours (dans les métiers de la sécurité) et son poste (à l’Élysée) le qualifiaient pleinement pour ce grade d’officier supérieur ».
« Le Général Richard Lizurey a admis devant votre commission qu’un tel recrutement se justifiait en réalité moins pour des raisons de fond que pour des raisons d’affichage : l’octroi d’un grade militaire élevé était simplement le moyen de faire accepter un jeune chargé de mission de l’Élysée de 27 ans {En réalité, 26 ans à l’époque de sa nomination – jdm} à la table des haut gradés qu’il allait être amené à fréquenter », poursuit le rapport. En langage militaire, il a été « zinguer », une pratique relativement courante, mais sans doute pas avec un tel saut de grade et à cet âge…
Non sans ironie sénatoriale, les rapporteurs constatent enfin que « Alexandre Benalla a admis lui-même n’avoir finalement quasiment jamais participé aux travaux du groupe de réflexion pour lesquels il était si important de le doter du grade de lieutenant- colonel… »
Source : L’Opinion
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