Commanditaires, troisième homme, profil des terroristes… Les dix zones d’ombre du procès Charlie Hebdo
Dix-sept morts. Deux lieux : Charlie et l’Hyper Cacher. Trois jours, les 7, 8 et 9 janvier 2015. Trois terroristes, frères Kouachi et Amédy Coulibaly, morts comme ils l’avaient prévu, sous les balles des forces de l’ordre censées dans leur imaginaire fou les envoyer au paradis. S’ouvre aujourd’hui à Paris le procès de leurs comparses. Au terme de l’enquête judiciaire, ils sont quatorze au total à avoir participé d’une façon ou d’une autre aux attaques de janvier 2015. Mais trois sont absents du box, les frères Belhoucine et Hayat Boumeddiene, enfuis en Syrie juste avant les attentats. Restent les onze qui sont attendus dans la salle d‘audience du palais de justice de Paris. Onze piteux complices des trois terroristes.
Une brochette d’anciens traîne-savates de banlieue, anciens dealers, trafiquants en tout genre, d’armes et de voitures volées, ayant tissé leurs liens au hasard de leurs rencontres en prison, la grande école de la délinquance. A première vue des seconds couteaux. Des demi-soldes qui ne paient pas de mine, et qui devraient s’avancer à reculons, tout tassés devant leurs juges. Durant l’instruction, ils ont tous renié le moindre islamisme combattant. Ils ont tous juré qu’ils n’avaient rien vu ni su de l’islamisme galopant des deux frères Kouachi et de Coulibaly, le caïd de Grigny.
Avec eux, l’enquête de l’anti-terrorisme a fait face à un bloc. Un bloc soudé. Un mur de déni. Un groupe aguerri de longue date à déjouer les enquêtes policières. Pour preuve, leur usage anormal des téléphones… Tous ont de nombreux numéros. Jusqu’à en changer tous les 7 jours ! Tous utilisent des lignes dédiées à certains interlocuteurs. Et ils coupent régulièrement leur portable pour déjouer les bornages et s’interdisent d’échanger par mail. Bref, ils évitent les traces, même si parfois, dans leur volonté de se cacher ils s’accablent, comme ce 6 janvier, à la veille des attentats, quand, quasi en même temps, certaines lignes de téléphone ont été brutalement coupées… A cette évidence près, l’enquête judiciaire a avancé dans un labyrinthe de silence. Un puzzle aux nombreuses pièces manquantes. Les onze qui vont faire face durant deux mois à ce tribunal spécial, et à des caméras pour l’histoire, resteront-ils muets ? Où aideront-ils la justice à comprendre les zones d’ombre ? Alors que le procès s’ouvre, elles sont encore nombreuses. Marianne en a recensé dix.
1. Qui sont vraiment les trois terroristes de janvier 2015 ?
A propos des frères Kouachi, les mêmes mots reviennent dans la bouche des survivants de Charlie : les deux hommes étaient « calmes », agissant « sans précipitation ». Ce matin du 7 janvier 2015, Saïd et Chérif Kouachi tuent de sang-froid. Plus exactement, Chérif tue de sang-froid. Aux yeux de tous les témoins, le cadet des Kouachi, né en novembre 1982 à Paris, apparaît comme le « chef » du duo. Il conduit les voitures. Il est le seul à être rentré dans la salle de rédaction de Charlie. C’est principalement lui, avec sa kalachnikov réglée en mode « coup par coup » qui donne la mort. Le tout en moins de deux minutes, entre 11h33 et 50 secondes et 11h35 et 56 secondes. Saïd est resté dans le couloir. Une fois dans la rue, c’est encore Chérif Kouachi qui se dirige à grandes enjambées vers le policier Ahmed Marabet et abat à terre à bout portant. « Tu voulais me tuer ? » lui demande-t-il cyniquement, avant de tirer.
Saïd Kouachi appuie sur la détente lui aussi (23 reprises contre 39 pour son frère) mais en retrait. L’ainé des frères, qui mesure 1 m 67, 11 cm de moins que son cadet, est asthmatique. Les policiers retrouveront de la ventoline dans leur voiture. Et puis sans ses lunettes, Saïd Kouachi n’y voit rien de loin. « Presque une cécité totale » dit son ophtalmo traitant soulignant aussi « une altération des reliefs » et des « déformations d’image importantes » lui interdisant de prendre un volant, même avec des lunettes sur le nez. L’autopsie des deux frères révélera un détail identique, ils s’étaient rasé les aisselles et le pubis. Autre constat, leurs analyses toxicologiques étaient négatives. Ni alcool ni stupéfiant. Une double volonté de mourir en martyr sans que l’enquête ne parvienne à déterminer comment ils ont été embrigadés et formé à pareille opération commando. « Ils étaient fusionnels », dit un membre de leur famille. Selon les juges d’instruction Nathalie Poux, David le Pas et Emmanuelle Robinson, les deux frères ont mûri leur opération dans le plus grand secret, y compris de leur épouse. Même détermination froide chez Amédy Coulibaly, 33 ans.
Quand il entre dans l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes, il tire à bout portant à trois reprises. Les survivants du magasin, pris ensuite en otage durant 4 heures, de 13h05 à l’assaut de 17h10 décrivent un « homme froid », « avec une attitude guerrière », « voulant mourir en martyr ». Mais ils décrivent aussi une « double personnalité ». « Au moment où on a mangé, il avait l’air humain, je le trouvais presque sympa, alors qu’il avait tué des gens froidement », dit une otage. Un autre le décrit « comme un enfant qui montrait ses jouets » devant ses armes.
Plusieurs heures durant, les otages ont droit « à un cours d’Islam pour analphabète », par un Coulibaly qui fanfaronne. Il se vante d’avoir « tué la fliquette », faisant référence à la fusillade de la veille à Montrouge au cours de laquelle la policière municipale d’origine antillaise Clarissa Jean-Philippe, 27 ans, a été tuée. « Il avait un discours formaté structuré et clair », dit un otage. « Il était très calme, très serein, très professionnel », confirme un autre. Comme les frères Kouachi, Amédy Coulibaly, ce 9 janvier 2015, a été formaté pour tuer et mourir. Sans peur et sans état d’âme. Mais par qui ? Et via quel entraînement ?
2. Qui sont les commanditaires ?
L’enquête a remonté plusieurs pistes mais de nombreuses questions demeurent. Dans une vidéo du 9 janvier 2015 diffusée le 14 sur internet, Al Qaida dans la péninsule arabique (AQPA) revendique l’attaque contre Charlie Hebdo. Durant 11 minutes Nasser Ben Ali Al Anassi cite aussi les faits commis par Amédy Coulibaly évoquant « une opération concomitante». Dès 2010, la revue officielle d’AQPA « Inspire » avait appelé à « l’exécution » de ceux « impliqués dans les caricatures du prophète », citant des publications danoise, suédoise et française.
Le numéro d’Inspire de l’été 2015 revient sur l’opération des frères Kouachi. Saïd Kouachi aurait été « formé et préparé militairement et psychologiquement ». Mais les enquêteurs peinent à comprendre lequel des deux frères s’est rendu au Yémen, via Oman, en 2011. Sur place, l’un des frères a pu rencontrer Peter Chérif, un ancien de la bande des Buttes Chaumont. La vidéo mise en ligne sur Youtube mènera les enquêteurs à un pseudonyme au Yémen et à des adresses IP qui se perdent en Belgique… Le 11 janvier, une autre vidéo est diffusée : « Coulibaly se venge des ennemis de l’Islam ». Coulibaly y fait allégeance « au calife Ibrahim », en fait Abou Bakr Al Baghdadi, le leader de l’Etat Islamique.
Le terroriste a été filmé dans son appartement avant les attaques, mais le film de revendication diffusé sur You tube est un montage réalisé après l’assaut. « Cela établit qu’Amédy Coulibaly avait un complice ou un commanditaire qui a effectué le montage et la diffusion », écrivent les magistrats. Les recherches ont conduit à trois sites internet via deux adresses hébergées par des serveurs américains. « Mais les investigations techniques ne permettaient pas de progresser sur l’identification des personnes ayant pu monter et diffuser cette vidéo de revendication », concluent les juges.
3. Que s’est-il passé en prison ?
Amédy Coulibaly, né le 27 février 1982 à Juvisy-sur-Orge d’une fratrie de 10 enfants, compte en 2015 sept condamnations à de la prison ferme pour vols, recel et affaires de stupéfiants. En 2005, il fait la connaissance de Chérif Kouachi en prison, à Fleury-Mérogis. Le cadet des frères Kouachi purge une peine de 3 ans dont 18 mois avec sursis pour association de malfaiteurs en vue de préparer des actes de terrorisme dans l’affaire dite de la filière des « Buttes Chaumont ». Interpellé alors qu’il s’apprêtait à rejoindre l’Irak, en 2005, il a été enrôlé par le recruteur d’Al Qaida Farid Beyettou. Devant les enquêteurs de ce premier dossier terroriste, Cherif Kouachi minimise sa volonté de mourir en martyr. Son frère Saïd est entendu mais pour sa part il est mis hors de cause. En 2005, Chérif Kouachi et Amédy Coulibaly sont incarcérés ensemble sept mois à Fleury. Puis ils s’y « retrouvent » l’année suivante, d’avril à novembre. C’est là qu’ils rencontrent Djamel Bhegal, arrêté en Irak puis incarcéré en France avant d’être assigné à résidence dans le Cantal.
En 2010, Amédy Coulibaly est interpellé dans le cadre d’une nouvelle affaire où il est question d’un projet d’évasion d’un terroriste algérien, l’ancien artificier des attentats de 1995, incarcéré à la centrale de Clairvaux. Le projet d’évasion capote mais Coulibaly, qui a fourni des armes, écope de 5 ans de prison. Affecté alors à la buanderie de la prison de Villepinte, il y fait la connaissance de nouveaux comparses. Coulibaly sera libéré en conditionnelle en mars 2014. Pas de doute, c’est en prison que le caïd de banlieue Amédy Coulibaly va devenir un djihadiste. A une époque, où ni les programmes de déradicalisation, ni les mesures de séparation strictes des détenus radicalisés, n’avaient encore été mis en place…
4. Les services de renseignement sont-ils passés à côté ?
Dès 2011, les frères Kouachi sont déjà dans le viseur de l’anti-terrorisme. En septembre 2011, un cyber café de Gennevilliers, à proximité du domicile de Chérif Kouachi, est surveillé pour des contacts internet avec des membres identifiés d’al Qaida. En octobre 2011, les services suspectent Saïd Kouachi de s’être rendu à Oman, porte d’entrée pour le Yémen. Les deux frères font l’objet d’une fiche S et de surveillances téléphoniques. Saïd Kouachi est même suivi entre juin et septembre 2012. Mais les filatures ne conduisent à rien de suspect.
En 2013, suite à une information sur un projet d’attentat imminent, leurs téléphones sont placés deux mois sur écoutes. Idem entre février et juin 2014. Mais toujours rien. « Il résulte des investigations réalisées que les frères Kouachi n’ont laissé que peu de traces derrière eux, comme le montrent la téléphonie et les exploitations informatiques ; ils ont veillé à ne pas attirer l’attention des services spécialisés, limitant leurs fréquentations, s’en tenant à leur cercle familial et communiquant discrètement », écrivent les juges. En clair, les deux frères ont déjoué les surveillances dont ils devaient savoir qu’ils étaient la cible.
Amédy Coulibaly, quant à lui, n’a peu besoin de prendre ses précautions… « Il n’a pas fait l’objet d’une surveillance par les services spécialisés », admettent les juges. Malgré ses visites en 2010 à Djamel Bhegal dans le Cantal et sa condamnation dans le projet d’évasion avorté. « En détention, il n’attirait pas l’attention sur sa pratique de l’Islam», écrivent les magistrats, admettant que Coulibaly n’a « jamais été un objectif de la DGSI ». Pourtant, les Chérif Kouachi et Amédy Coulibaly sont restés en contact. Notamment via leurs épouses, qui se sont rencontrées aux parloirs de Fleury-Mérogis. L’enquête suppose que dans la nuit précédant l’attaque de Charlie, Amédy Coulibaly se serait rendu à Gennevilliers à proximité du domicile de Chérif Kouachi.
Une rencontre pour un « go ». « C’est seulement après son rendez-vous avec Amédy Coulibaly que Cherif Kouachi contactait son frère pour le prévenir ou lui confirmer qu’ils passeraient à l’action dès lendemain », écrivent les juges. Le 7 janvier à 10h19, Chérif Kouachi, sur une ligne téléphonique unique, avertit Coulibaly « du top départ de l’action terroriste ». Enfin, autre découverte de l’enquête, une trace ADN de Coulibaly a été retrouvée sur un des fusils d’assaut des deux frères, signant un approvisionnement commun des armes. Autant d’éléments reliant les trois terroristes qui en amont ont échappé aux services de renseignement…
5. Quel rôle jouent leurs femmes ?
Une perquisition est conduite au domicile de Chérif Kouachi le 7 janvier à 16h40, soit cinq heures à peine après la tuerie de Charlie Hebdo. Sa femme Izzana Hamyd sera interrogée à de nombreuses reprises mais comme Soumya Bouarfa, mariée à l’ainé des Kouachi, elle sera mise hors de cause pénalement. Cette dernière, souffrant de sclérose en plaques et en fauteuil roulant, a certifié aux enquêteurs qu’elle ignorait tout des projets de son mari et qu’elle pensait ce matin du 7 janvier, qu’il rentrerait le soir même après avoir « fait les soldes avec son frère ». Même réponse de la part d’Izzana Hamyd.
Les deux femmes, amies d’enfance de Charleville-Mézières, ne se seraient rendu compte de rien. « Izzana Hamyd ne s’était jamais adressé à Saïd Kouachi et n’était jamais dans la même pièce que lui eu égard à leurs convictions religieuses », notent les juges. L’épouse de Chérif Kouachi a aussi indiqué que son mari ne pouvait pas avoir d’enfant. Elle savait pourtant qu’il avait cherché à rejoindre la Tunisie en 2011 mais avait été refoulé à l’entrée, puis qu’il s’était rendu en Turquie et à Oman d’où il était rentré « fatigué ». Mais sans se poser de question sur les motifs de ces voyages…
Izzana Hamyd a aussi reconnu avoir été amie avec Hayat Boumeddiene, la compagne de Coulibaly. Que le couple, en décembre 2014, était passé à l’improviste leur apporter des cadeaux, souvenirs de leur pèlerinage à la Mecque. A l’époque, se souvient-elle, les deux hommes seraient descendus discuter « une heure en bas de l’immeuble ». Autant les deux épouses Kouachi semblent avoir été tenues à l’écart, autant le rôle d’Hayat Boumeddiene, épouse religieuse d’Amédy Coulibaly depuis le 8 août 2008, apparaît central. L’enquête montre qu’elle prend un avion de Madrid vers Istanbul le 5 janvier 2015, deux jours avant les attentats. Auparavant, Hayat Boumeddiene achète le caméscope qui sera retrouvé dans l’Hyper Cacher, loue des voitures, et participe à plusieurs escroqueries bancaires pour acheter des véhicules et les revendre dans le but de sortir des espèces.
Le 5 janvier, Coulibaly l’accompagne à Madrid et rentre seul à Paris. Hayat Boumeddiene fuit la France en compagnie de plusieurs autres islamistes, notamment les frères Belhoucine, Mohamed et Medhi. Sur des écoutes téléphoniques depuis la Syrie, elle assurera d’abord à une amie d’enfance restée en France y « vivre comme une princesse », avant de souhaiter « mourir dans un bombardement ». Est-elle morte ou se cache-t-elle encore dans les ruines de l’Etat Islamique, en princesse déchue ? Selon une revenante de Syrie l’an dernier, Hayat Boumeddiene serait toujours en vie.
6. A-t-on échappé à un bilan bien plus lourd ?
Assurément. Le 7 janvier, fuyant les lieurs de leur massacre les frères Kouachi abandonnent leur Citroën C3 dans le nord de Paris après un simple accrochage avec une automobiliste place du Colonel Fabien. A l’intérieur de leur voiture, les policiers découvrent un chargeur de kalachnikov, un équipement de survie, des jumelles, un gyrophare bleu, un pare-soleil police, des cagoules noires, une caméra Go pro, mais aussi des bidons d’essence et un attirail pour fabriquer des cocktails Molotov. Accessoirement, Saïd Kouachi y a oublié sa carte d’identité ce qui va permettre de lancer leur traque… « Compte tenu du matériel retrouvé, il semble acquis que les frères Kouachi avaient d’autres projets criminels», notent les juges.
Autre constat glaçant, le 8 janvier à 8h, Amédy Coulibaly, sur sa moto, se trouve à proximité de la synagogue et d’une école juive de Montrouge (Hauts-de-Seine). Mais là aussi, un banal accident de la route qui vient d’avoir lieu, va probablement changer le cours des choses. A cause de accrochage entre deux automobilistes, un bouchon s’est formé et a nécessité la venue d’une équipe de trois policiers municipaux, dont Clarissa Jean-Philippe. A leur vue, pour une raison inconnue, Coulibaly «
passe à l’action » et tue la jeune policière. Son projet initial était-il de s’en prendre à l’école Juive comme Merah avant lui à Toulouse ? « Il est très vraisemblable, écrivent les juges, qu’Amédy Coulibaly avait prévu de s’attaquer à cette école et qu’il ait changé ses plans au dernier moment pour une raison imprévue »… Un banal accrochage routier.
7. La police parisienne était-elle préparée à ce genre d’attaque ?
Quand les frères Kouachi quittent les locaux de Charlie Hebdo, plusieurs patrouilles de police vont croiser leur chemin. Un premier équipage de la BAC du 11e arrondissement, avec trois fonctionnaires à bord, puis trois policiers VTT, arrive sur les lieux. Les policiers tirent mais sans pouvoir empêcher les deux frères de rejoindre leur voiture.
Ils démarrent et font face à un autre véhicule de police sérigraphié avec trois autres fonctionnaires à bord. Les frères descendent et tirent. La voiture de police recule, le policier à l’arrière tire à travers le pare-brise mais, là encore, ne parvient à toucher aucun des deux frères. Plusieurs policiers tirent, une douzaine de coups au total, les Kouachi ripostent, touchent à la cuisse Ahmed Merabet, qui tombe au sol. Lui n’a pas tiré un seul coup de feu, mais ne pourra pas se mettre à l’abri. Les deux terroristes remontent à bord de leur voiture, mais ne sont pas pris en chasse. La dernière voiture de police arrivée sur place étant bloquée involontairement par un automobiliste…
A l’évidence, les forces de police parisiennes n’étaient ni préparées ni équipées pour faire face à une telle scène de guerre. Ce n’est qu’après le 13 novembre suivant, de l’attaque de Bataclan, que les policiers de la Bac seront dotés d’un armement plus lourd. Le jour du Bataclan, armés de leur seule arme de poing, un commissaire et son chauffeur, entrant dans la salle de spectacle, arrêteront le carnage en neutralisant un des trois terroristes. Mais ce 7 janvier devant Charlie, aucun des tirs de la police ne stoppera les Kouachi.
8. Y avait-il un « troisième homme » avec les deux frères ?
Plusieurs témoins, des policiers et Marie Claire S. dont la voiture est percutée par la C3 des frères Kouachi dans le nord de Paris, assureront aux enquêteurs puis aux juges que les terroristes étaient trois à bord. « Le visage qu’elle a en tête, celui du passager avant, ne correspond pas aux photos des frères Kouachi », notent les juges. Un autre témoin de l’accident assure pour sa part que le passager avant était « de type africain ». Coulibaly ? A l’issue de l’enquête ces témoignages seront écartés. Les enquêteurs ont épluché des dizaines de caméras de vidéosurveillance le long du parcours (même si ce jour-là elles perdent leur trace porte de Pantin), et ont acquis la certitude que les frères Kouachi étaient seuls. « Il est en toute hypothèse certain que compte tenu de la vidéo surveillance du bureau d’accueil de Charlie Hebdo que seuls les frères Kouachi sont entrés dans les locaux du journal », écrivent les juges, pour lesquels « lorsque les frères Kouachi abandonnent la Citroën rue de Meaux, s’emparent d’une Renault Clio, il n’y a pas d’autre individu à bord».
9. Comment se sont-ils procuré les armes ?
Outre l’exploitation des téléphones, les traces ADN ont permis aux enquêteurs de mettre des noms sur les occupants de certaines voitures et aussi de confondre ceux qui avaient manipulé les armes des terroristes. Le premier à tomber, Willy Prevost, de Grigny lui aussi, était « l’homme à tout faire » de Coulibaly avec lequel il échangeait via une ligne de téléphone dédiée. Les enquêteurs établissent que Willy Prévost achète une partie du matériel (trois gilets tactiques, deux couteaux, un taser notamment…) et la Mégane Scénic de l’Hyper Cacher. Un autre ami de Coulibaly, Christophe Raumel, est là lui aussi lors des achats.
Avec Prévost (qui jure être chrétien quand d’autres le décrivent converti à l’Islam) Raumel s’occupe aussi d’enlever le « traceur » de la moto utilisée à Montrouge. Les deux hommes jurent qu’ils ignoraient le projet terroriste de Coulibaly. « Ils pensaient qu’il préparait un braquage », écrivent les juges… Nezar Pastor Alwatik assure la même chose, sans guère convaincre les magistrats. Lui a connu Coulibaly à la buanderie de la prison de Villepinte. « L’instruction établit qu’il partageait l’idéologie radicale en faveur de l’organisation Etat Islamique d’Amédy Coulibaly », relèvent les juges. Son ADN a même été retrouvé sur deux armes utilisées le 9 janvier.
A la buanderie, Coulibaly fait aussi la connaissance d’Amar Ramdani, qui l’emmène à Saïd Makhlouf, via lequel il entre en contact avec le réseau lillois de Mohamed Farès. Ce réseau Lillois, lui-même approvisionné via un expert qui remilitarise du matériel militaire venant des Balkans, procurera les armes de l’Hyper Cacher. Les armes de Charlie viennent pour leur part via un réseau de Charleville-Mézières, ville dont les épouses Kouachi sont originaires. Plus exactement de Charleroi en Belgique, où Metin Karasular, un garagiste, a acheté une mini Cooper au couple Coulibaly. Chez Karasular, les enquêteurs découvrent une « liste » de questions sur les prix des chargeurs de Kalachnikov et des munitions…
L’enquête établit que trois hommes, Abdelaziz Abbad, Miguel Martinez et Michel Catino, le vétéran du groupe âgé de 62 ans, effectuent des trajets jusqu’à Grigny pour acheminer le matériel. A chaque fois ou presque, une voiture «
ouvreuse » s’assure que la voie est libre de présence policière. Selon l’enquête le 30 novembre 2014, un peu plus d’un mois avant les attaques, les armes des Kouachi sont livrées à Grigny. Devant les enquêteurs, tous ont juré qu’ils ignoraient les intentions terroristes… évoquant plus volontiers des trafics de drogue. Pourtant, Abdelaziz Abbad, ami de Saïd Kouachi, coupe une ligne de téléphone le lundi 5 janvier à 17h…
10. Qui est vraiment Ali Riza Polat ?
Lui aussi, « le turc de Grigny », comme l’appellent certains, ou « Chichko », coupe une ligne de téléphone le 5 janvier à 18h43. Ce délinquant de l’Essonne d’origine Kurde, ami de très longue date de Coulibaly, trafiquant de drogue devenu lui aussi islamiste radical selon ses proches, est le principal complice dans le box. C’est d’ailleurs le seul à être poursuivi pour avoir participé à une entente en vue de préparer des actes de terrorisme et donc de complicité de terrorisme. Au lendemain des attentats, le 11 janvier, il s’envole depuis la Belgique pour le Liban via le Caire, puis tente de rejoindre la Syrie le 17, mais reviendra finalement à Bruxelles le 19. Le 21, il prend un vol pour Hong-Kong via Dubaï. Puis du 22 au 25, il est en Thaïlande avant de rentrer à Paris. Ses déplacements restent un mystère. Sur son ordinateur les policiers ont constaté une fréquentation assidue de sites pornographiques. Chichko s’est-il tout simplement accordé « quelques jours de bon temps » avec le reste des fonds ? Lui seul sait.
Selon l’enquête, dès août 2014, Ali Rizat Polat se rend en Belgique pour un premier transport d’armes. La méthode du duo Coulibaly Boumeddiene pour financer l’opération semble assez simple : via des faux documents ils obtiennent des crédits à la consommation pour l’achat de voitures. Ils les revendent et transforment ensuite les fonds en cash qui permettront de financer les achats d’armement. C’est Polat qui fait le contact avec le garagiste de Charleroi Metin Karasular pour la vente d’une Mini (vendue 12.000 euros alors qu’elle en vaut au moins 15.000). Chichko s’occupe de la logistique pour l‘achat des armes des frères Kouachi. Il écrit même cette « liste de courses » de munitions retrouvée par les enquêteurs comme étant une des principales pièces à conviction du dossier… Lui nie en bloc. Dément tout, ou presque. Il désapprouve les actes terroristes et n’utilise pas de téléphone portable. Mais le dossier l’accable. Y compris son propre passeport retrouvé scotché sous une table de son appartement, faisant état de ses déplacements inexpliqués. Le 6 janvier, dans l’après-midi, un de ses nombreux téléphones est en mode avion.
Cette nuit-là, Coulibaly se rend à Gennevilliers et rencontre Cherif Kouachi. Mais Ali Riza Polat soutient avoir fait un aller-retour en Belgique et y avoir même été verbalisé. Un alibi parfait. Sauf que l’enquête n’a jamais retrouvé trace de ces flashs. Et que cette nuit-là, outre la rencontre avec Chérif Kouachi, Coulibaly s’entretient avec Amar Ramdani et Nezar Pastor Alwatik. Comme dans une soirée d’adieux. Comment n’aurait-il vu aussi celui qui fait figure de principal lieutenant ? L’intendant de l’opération, Ali Riza Polat, encourt la perpétuité.
Source : Marianne
Laisser un commentaire