Classement sans suite pour le financement de la campagne de Macron à Lyon : mieux vaut en rire
Circulez, il n’y a rien à voir! La plainte de Stéphane Guilland, conseiller municipal Les Républicains, visant le financement de la campagne présidentielle d’Emmanuel Macron à Lyon, portait sur quatre chefs d’accusation: «détournement de fonds publics, abus de biens sociaux, recel de ce délit et financement irrégulier de campagne électorale». Elle a été déboutée par le parquet de Lyon le 20 janvier, classant ainsi l’affaire sans suite.
L’élu d’opposition contestait quatre infractions présumées: l’organisation d’une réception électorale alors qu’Emmanuel Macron était encore ministre, l’implication d’un cadre payé par la ville de Lyon dans la campagne, la location par la métropole d’une péniche pour une soirée de sympathisants, ainsi que l’utilisation par le candidat Macron de locaux parisiens loués par la métropole lyonnaise. En décidant de classer sans suite cette affaire, Nicolas Jacquet, procureur de Lyon, a ainsi estimé qu’aucun «détournement de fonds publics n’a été caractérisé» et que «les infractions au code électoral évoquées dans la plainte initiale ne sont pas constituées».
Afin d’analyser les enjeux de cette décision du parquet, Sputnik a interrogé Régis de Castelnau, avocat en droit public et auteur du blog Vu du Droit.
Sputnik : Comment expliquer cette décision du parquet de classer sans suite le financement de la campagne d’Emmanuel Macron à Lyon ?
Régis de Castelnau : Concernant la décision du parquet, autorité de poursuite sous la responsabilité du Garde des Sceaux, et donc du pouvoir exécutif on ne peut pour l’instant qu’émettre des hypothèses plus ou moins plausibles. Malheureusement, compte tenu des dérives des parquets depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir, et des protections judiciaires dont lui et son équipe ont pu bénéficier, celle d’une décision du procureur de Lyon justifiée en fait et en droit est la moins crédible.
Pour plusieurs raisons, la première c’est que les quelques informations dont on a disposé par la presse et ce que l’on nous informe aujourd’hui des motivations du classement sans suite sont quand même préoccupantes. Il y a ensuite la chronologie de cette affaire où l’enquête débutée avant la démission de Gérard Collomb de son poste de ministre prend fin à quelques semaines de municipales ou Emmanuel Macron aura bien besoin de Gérard Collomb. Et enfin, la concomitance de la nomination du procureur de la République Nicolas Jacquet au grade de chevalier de la Légion d’honneur quelques jours avant de rendre ce qui ressemble quand même à un service. Les faits eux-mêmes faisaient apparaître quatre infractions possibles :
D’abord l’organisation par la Métropole de Lyon dont Gérard Collomb est le président, d’une réception de Monsieur Macron ministre, alors qu’il était déjà en campagne électorale. La mise à disposition ensuite d’un cadre payé par la ville au service campagne de Lrem. Ensuite toujours la prise en charge par la métropole des frais de location d’une péniche pour un rassemblement de sympathisants Lrem pendant la campagne présidentielle. Et enfin l’utilisation par M. Macron lui-même de locaux parisiens loués par la métropole.
Sputnik France: Des infractions dans le financement de la campagne d’Emmanuel Macron à Lyon sont-elles constituées, selon vous?
Régis de Castelnau : La réponse du parquet sur le premier point est vraiment savoureuse. Il faut savoir que l’organisation de cette réception est probablement ce que le code électoral appelle un « don interdit d’une personne morale de droit public ». Il y en aurait même d’ailleurs deux puisque Emmanuel Macron utilisait les moyens de l’État pour sa campagne alors qu’il était ministre (ce qu’il a fait à de multiples reprises) et la dépense exposée avec des fonds publics par la mairie était elle aussi un apport en nature. Le parquet aurait estimé que la visite du ministre en juin 2016 « était bien en lien avec ses fonctions et ne constituait pas une visite de pré-campagne même si l’affluence à la réception qui la concluait s’est révélée bien supérieure à celles d’autres visites ministérielles en raison semble-t-il de l’intérêt que pouvait alors susciter monsieur Emmanuel Macron. » Défense de rire !
Pour l’agent public payé par la Métropole, mis à disposition militante d’Emmanuel Macron, il s’agirait là d’un « détournement de fonds publics ». Mais d’après ce que nous dit la presse, pour le parquet « si le chef de cabinet de Gérard Collomb Jean-Marie Girier a joué dès 2016 un rôle « certain » dans la campagne d’Emmanuel Macron, cela n’a pas été au détriment de son travail pour Métropole, grâce à la très grande puissance de travail de l’intéressé ». Difficile cette fois-ci d’éviter le fou rire.
Le sketch continue pour la péniche destinée à recevoir des sympathisants « si elle a bien été réservée via un compte mail de M. Girier à la métropole, la facture de 996 euros a été réglée par En Marche et figure dans ses comptes de campagne ». Fort bien mais le problème qui se pose là est l’existence d’une importante remise. Accordée à qui cette remise ? À la métropole bien évidemment puisque c’est elle qui avait passé la commande. Le problème réside bien là, car si accordée à ce moment-là, à la collectivité cette importante remise ne posait pas de problème, en revanche toute remise à des candidats en campagne est un financement indirect et donc interdit. Et le montant qui doit figurer dans le compte est bien celui de la valeur commerciale sans remise. Donc le fait que la petite manipulation de Monsieur Girier (commande par la ville et règlement de la facture par le compte de campagne) ait permis à Lrem de bénéficier d’une remise constitue l’infraction pénale de don interdit.
Enfin, les conditions d’utilisation par En Marche d’un local loué à Paris par la Métropole sont assez obscures, mais il semble qu’il y ait eu une seule utilisation pour une rencontre confidentielle entre les deux tours entre Emmanuel Macron et Alain Juppé. Si c’est le cas, cette fois-ci l’objection semble recevable. On aurait cependant aimé avoir des précisions sur l’utilisation prévue par la Métropole de cet appartement parisien dont le bail a été par la suite résilié.
Comment sont contrôlés les comptes de campagne des candidats à l’élection présidentielle ? Quelles peines encourent les candidats qui ne respectent pas la loi ?
Régis de Castelnau : La loi de 1990 sur le financement public de la vie politique reposait sur trois principes. Tout d’abord l’État prenait en charge le financement des partis politiques et des campagnes électorales. Ensuite les dépenses électorales elles-mêmes pendant les campagnes étaient limitées par des plafonds dont le dépassement était assorti de sanctions assez lourdes allant de l’annulation du scrutin à l’inéligibilité des fautifs en passant par le non-remboursement des dépenses par l’État. Enfin, le troisième principe était celui du contrôle de l’activité financière des partis politiques et des candidats aux élections. Le contrôle des « comptes de campagne » que chaque candidat doit faire tenir par un mandataire ad hoc se fait en deux temps. Par une autorité administrative indépendante, la Commission Nationale des Comptes de Campagne destinataires des comptes de tous les candidats. D’abord par le contrôle des recettes, les dons des personnes morales étant interdits et ceux des particuliers encadrés. Ensuite par la réalité des dépenses pour que celles-ci ne soit pas sous-évaluées dans le but d’échapper à l’application du plafond. Les comptes invalidés sont transmis aux juridictions compétentes en fonction de l’élection concernée et font alors l’objet des sanctions spécifiques.
Mais il est également prévu un certain nombre de sanctions pénales pour les contrevenants à la réglementation notamment sur les recettes. En effet, les prohibitions de contributions des entreprises privées mais aussi des personnes morales de droit public, pour éviter ce que l’on appelle « la prime au sortant », peuvent entraîner des condamnations pénales. Les dispositions sont prévues au Chapitre VIII, dans les articles 86 à 117, du Code électoral. Elles sont assez nombreuses et on ne va pas les énumérer ici. Simplement rappeler que depuis la promulgation de la loi de 1990 la jurisprudence a précisé, toujours dans le sens d’une plus grande sévérité, tout ce qui relevait des infractions au code de nature à altérer « la sincérité du scrutin ». On mentionnera bien sûr l’affaire Bygmalion qui devrait être jugé cette année devant le tribunal correctionnel de Paris. Dans ce dossier, le compte de campagne de Nicolas Sarkozy en 2012 avait été rejeté pour un problème d’imputation. Le président sortant avait profité d’un déplacement officiel pour réaliser le soir un meeting de campagne. Les mandataires financiers avaient, comme cela se fait couramment, réintégré 30 % du montant global du déplacement pour le candidat et 70 % pour le président c’est-à-dire l’État. La Commission Nationale a jugé que la bonne répartition était de 70 % pour le candidat et 30 % pour l’État…. Résultat invalidation du compte, non-remboursement des 11 millions d’euros pour la campagne et amende personnelle pour le candidat de 300 000 €… ce qui explique le fameux Sarkothon.
Cela ne surprendra personne que le compte de campagne d’Emmanuel Macron en 2017 n’ait provoqué aucun froncement de sourcils à la Commission Nationale. Ceux qui voient un lien avec l’augmentation de 52 % de la rémunération de son président quelques semaines plus tard ne sont que de bien mauvaises langues…
Le procureur de la République Nicolas Jacquet a ainsi décidé de classer sans suite cette affaire. Est-il légitime de questionner l’indépendance des magistrats du parquet vis-à-vis de l’exécutif ?
Régis de Castelnau : Comme je viens de le dire, certaines informations qui se télescopent peuvent alimenter les soupçons et nourrir le rejet des élites dans les Français aujourd’hui ne sont pas avares. Les réseaux bruissent de l’information de la Légion d’honneur attribuée le 1er janvier dernier au procureur de Lyon qui a pris trois semaines plus tard la décision de classement sans suite. Je pense sincèrement qu’il ne faut pas y voir un lien direct de cause à effet. Le zèle des parquets depuis près de trois ans au soutien d’Emmanuel Macron, pour poursuivre ses opposants, protéger ses amis et déployer un zèle incroyable dans la répression sans précédent contre le mouvement social des gilets jaunes, caractérise un ralliement sans état d’âme au bloc élitaire et à celui qui en est actuellement la tête.
En revanche vous posez la question de l’indépendance éventuelle des parquets vis-à-vis de l’exécutif. Je suis personnellement complètement opposé à cette mesure, car si les juges du siège doivent être impartiaux, leur indépendance étant un des leviers de leur impartialité, les procureurs qui ont l’énorme pouvoir de l’autorité de poursuite doivent dépendre de l’exécutif démocratiquement mis en place. Sinon, si les poursuites relèvent de la seule intention d’un magistrat, c’est la porte ouverte à l’arbitraire.
En revanche, ce qui est souhaitable c’est la séparation radicale entre les juges du siège et les membres du parquet. Il n’est pas normal que les procureurs soient aussi des magistrats et qui peuvent facilement passer de l’accusation au siège par des séries d’allers-retours que je trouve facheux.
Mais ceci est un débat auquel le corps n’est pas encore prêt.
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